Lundi 15 juin 2015
«L’uberisation du monde»
Maurice Levy
C’est le patron de Publicis, Maurice Levy, qui a inventé ce concept dans un entretien accordé au Financial Times. Il a dit précisément «Tout le monde a peur de se faire ubériser, de se réveiller un matin pour s’apercevoir que son business traditionnel a disparu ».
Garrett Camp qui a fondé UBER avait pour objectif de réduire le nombre de véhicules particuliers et de devenir acteur d’un écosystème de transports partagés. Noble entreprise !
Le cœur du produit est une application lancée à San Francisco en 2010 sur iOS (apple) et Android(les autres smartphones et tablettes) pour mettre en relation des personnes souhaitant être véhiculées et des chauffeurs de voitures.
Quand on saisit Uber sur son ordinateur et qu’on clique sur le premier résultat on tombe sur ce site :
Dans un premier temps Uber a mis en relation des clients avec des VTC (voiture de transport avec chauffeur) qui sont des exploitants professionnels. Depuis ils ont fait mieux en créant UberPop qui met en relation des clients et des simples particuliers transformés en chauffeurs
Bien sûr pour le consommateur c’est un service facilement accessible et moins cher que les taxis.
Pour l’entreprise Uber c’est aussi un service très lucratif. Dans cet article vous lirez que UBER double son CA tous les 6 mois et qu’elle a vraiment la côte auprès des investisseurs.
Pour le chauffeur VTC nous sommes dans l’univers de l’autoentrepreneur, précaire et qui peut gagner convenablement sa vie en travaillant plus que beaucoup : http://rue89.nouvelobs.com/2014/02/20/pierre-chauffeur-vtc-a-paris-3-460-euros-mois-monde-requins-250117
Donc si vous êtes consommateur et que vous avez un emploi, au sens classique de ce terme, et que vous gagnez convenablement votre vie, vous êtes très content de faire appel à Uber. Mais un jour, comme le dit Maurice Levy, vous allez avoir une surprise : votre métier aura été ubérisé. Vous trouverez une analyse de cette évolution dans cet article de l’Expansion : http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/l-economie-francaise-va-t-elle-se-faire-uberiser_1635189.html#fstmMWEvzOhGeZZG.99
Quelques extraits : « Concurrencés par les VTC, les taxis ont peur de disparaître. Concurrencés par Airbnb, les hôteliers peinent à remplir leurs chambres. Amazon menace les libraires et les éditeurs. Google tient la presse sous assistance publicitaire. Des professions, installées depuis des lustres, découvrent qu’elles sont fragiles. Dans un entretien accordé au Financial Times, le PDG de Publicis, Maurice Lévy, résume: « Tout le monde commence à avoir peur de se faire uberiser. De se réveiller un matin pour s’apercevoir que son business traditionnel a disparu ». Mais Uber n’effraie pas que les patrons.
La nouvelle économie digitale ne s’attaque pas seulement aux professions en voie de vieillissement. Les auteurs d’un rapport sur la fiscalité des géants du Web, remis au ministère des Finances en 2013, signalaient que « les gains de productivité générés par l’économie numérique ne se traduisent pas par des recettes fiscales supplémentaires pour les grands Etats ». Les bénéfices fuient les pays développés pour les paradis fiscaux. En cause, un droit fiscal « inadapté ». Pierre Collin et Nicolas Colin, les rapporteurs, mettaient en garde contre une « spirale mortifère ». Le numérique gagnant tous les secteurs d’activité, les marges pourraient être délocalisées et manquer au PIB. Une situation « sans précédent historique », prévenaient-ils.
C’est aussi contre une « distorsion fiscale » que met en garde l’économiste de l’OFCE Guillaume Allègre, à propos des stars de l’économie collaborative que sont Uber et Airbnb. Dans un post de blog sur Libération.fr, il met en garde: l’économie collaborative risque d’entraîner une « perte sociale importante ».
Airbnb s’attaque à « la rente » des propriétaires d’hôtels bien placés au centre-ville, ce qui est favorable au consommateur. Mais le fait que le « travail collaboratif » du propriétaire qui loue son bien ou du locataire qui le sous-loue ne soient pas soumis aux mêmes charges que celui de l’hôtelier est une « distorsion », qui devient « maximale » à mesure que le travail collaboratif devient plus courant – à plus forte raison s’il n’est pas déclaré.
Attention, avertit également Guillaume Allègre: l’économie collaborative ne bénéficie pas des économies d’échelle de l’économie traditionnelle. Le travail collaboratif occasionnel étant « très peu productif », il est aussi « très peu rémunéré ». Pour le plus grand profit des tycoons du secteur
[En anglais, tycoon signifie magnat ou homme d’affaires prospère (appelé autrefois également nabab).]
« Le travail collaboratif crée une distorsion fiscale très importante avec le travail salarié, précise Guillaume Allègre à L’Expansion. Il réduit l’avantage d’avoir un emploi salarié, puisque les micro-revenus qu’il procure sont parfois cumulables avec le chômage ou des allocations parentales. On risque d’avoir une économie à deux vitesses, avec d’un côté des salariés à plein temps, de l’autre des précaires qui cumulent des micro-revenus ».
Si le travail collaboratif se répand, d’aucuns seront tentés de rester plus longtemps hors-emploi salarié, augmentant d’autant la charge des cotisations sociales des salariés. Une situation intenable à long terme, surtout si les bénéfices des entreprises qui emploient ces nouveaux travailleurs ne participent pas assez aux recettes sociales et fiscales. « Le statut d’auto-entrepreneur a, le premier, creusé une brèche dans la norme de la société salariale », rappelle Guillaume Allègre. Auto-entrepreneur, précisément le statut de nombreux chauffeurs Uber… Le CDI et ses charges sociales importantes? De l’histoire ancienne pour l’économie du partage. »
J’ai aussi entendu une émission sur ce sujet <« Uberisation » : l’avènement de l’auto-entrepreneur ? Le mot de l’éco par Isabelle Chaillou samedi 23 mai 2015>
Je cite : «Cette crainte, on la retrouve chez les chauffeurs de taxis face à la concurrence d’Uber et de ses services de VTC (Voitures de transports avec chauffeurs). Alors, ce que fait Uber, c’est de mettre directement en relation le consommateur qui a besoin de se déplacer avec des chauffeurs indépendants. Ils ne sont ni des artisans taxis, qui ont besoin d’acheter à prix d’or leurs licence, ni des salariés d’une compagnie de taxi.
Et c’est un peu le même modèle qu’on retrouve avec Airbnb, qui vous permet de louer une chambre ou un appartement directement auprès du propriétaire. C’est de l’économie collaborative.
A la base de ce phénomène, il n’y a pas de nouveaux services, il s’agit toujours d’aller d’un point à un autre dans une voiture ou encore de trouver une chambre pour un week-end ou quelques jours de vacances. Rien de neuf sous le soleil.
Ce qui est nouveau, et ça n’est possible que grâce à la révolution numérique, aux smartphones et aux applications, c’est la désintermédiation, plus besoin de passer par une société de taxi, plus besoin de passer par un hôtel. Entre le client et le service dont il a besoin, il n’ y a plus qu’un clic, et qui dit moins d’intermédiaires, dit aussi moins de coût et donc des tarifs attractifs.
Le succès d’Uber est évidemment l’exemple le plus criant. Créée en 2009, l’entreprise est aujourd’hui présente dans 58 pays, génère un milliard de chiffre d’affaire et représente une valorisation boursière de 40 milliards de dollars, c’est colossal, c’est plus que toutes les compagnies aériennes américaines réunies. Une uberisation qui s’étend peu à peu à tous les secteurs de l’économie. C’est en effet le cas pour les transports et l’hôtellerie mais les acteurs de cette uber économie ont déjà d’autres idées en tête. Aux Etats-Unis, Uber expérimente ainsi un service de livraison à domicile et Amazon, le géant de l’internet a lancé une plateforme de services à la personne : travaux d’électricité, plomberie, jardinage ou encore cours de maths ou de yoga.
L’uberisation de l’économie, à terme, c’est aussi celle du monde du travail. Cette « uber économie » n’a plus besoin de salariés, seulement d’une force de travail disponible au coup par coup. Des travailleurs indépendants donc, mais précarisés et privés des avantages du salariat (protection sociale et salaires fixes). Au fond, l’uberisation de l’économie, c’est l’avènement de l’auto-entrepreneur. En France, ils sont déjà près d’un million, au Royaume-Uni, plus de 4 millions soit près de 15 % des travailleurs, quant aux Etats-Unis, certaines études (MBO Partners) prédisent que d’ici 2020, c’est à dire demain, il y a aura plus d’auto-entrepreneurs que de salariés.»
Enfin <L’expansion a réalisé un dossier intitulé : En route pour l’Uberisation, l’invasion des barbares>
Ces évolutions semblent inéluctables.
Force est de constater que notre modèle économique et social actuel va être violemment secoué.
Comment financer la santé, la retraite et tous les autres pans de notre Etat Social avec une économie uberisé ?