Jeudi 22 septembre 2022

« L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou. »
Iris Brey

L’inceste est un phénomène massif dans notre Société.
Ce n’est que récemment que cette réalité a été dévoilée et que les personnes intègres qui veulent savoir, le savent.

A la sortie du livre de Camille Kouchner, j’avais commis une série de mots du jour du <15 février 2021> jusqu’au <24 février 2021> avec au centre de cette série, le livre de Dorothée Dussy « Le berceau des dominations » qui vient enfin d’être rééditer.

Ce livre fut une révélation pour beaucoup.

Le 23 janvier 2021, le président de la République a annoncé la création d’une commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)

Rapidement cette Commission lançait un vaste appel à témoignages.

Elle a reçu 6 414 témoignages reçus, elle vient de dresser le bilan des lourdes séquelles que présentent, encore à l’âge adulte, celles et ceux qui ont été victimes de violences sexuelles durant l’enfance.

Un traumatisme qui continue d’affecter leur santé physique et mentale, ainsi que leur vie familiale, sexuelle et professionnelle. Le rapport livre également de nombreux chiffres sur le profil des victimes.

On apprend que dans 25% des cas, les victimes avaient moins de 5 ans

Dans l’immense majorité des cas (81%), l’agresseur est un membre de la famille : père, grand-frère, demi-frère, grand-père, cousin, oncle, beau-père

Un ouvrage collectif <La culture de l’Inceste> vient de paraître.

Sonia Devilliers, dans son émission : <L’invité de 9h10> avait invité Iris Brey et Juliet Drouar qui codirigeaient l’écriture de ce livre écrit par 14 thérapeutes, universitaires et militantes.

Annie et moi avons été si marqué par cette émission que nous avons immédiatement acheté ce livre. C’est Annie qui a commencé à le lire et le trouve remarquable.

Dans cette émission Iris Brey rappelle que Claude Levi-Strauss affirmait que l’inceste constituait un interdit, un tabou.

Ce que ce grand homme disait était faux, totalement, radicalement faux.

Ce qui est interdit c’est le mariage incestueux, c’est le mariage qui est un évènement public qui oblige à l’alliance de deux familles différentes, c’est-à-dire pratiquer l’exogamie et non l’endogamie.

D’ailleurs Claude Levi-Strauss abordait cette question par le prisme des alliances entre familles , alors que Dorothée Dussy et les personnes qui étudient l’inceste aujourd’hui analyse ce crime sous le projecteur des violences sexuelles.

Mais la relation sexuelle incestueuse, à l’intérieur de la famille, est tellement massive : 7 millions de victimes en France, que dire que cette pratique constitue un interdit, un tabou est un mensonge.

Et Iris Brey a eu cette phrase qui révèle la vérité :

« L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou »

C’est ce qu’éclaire parfaitement le témoignage que vient de publier « L’Obs » le 21 septembre 2022 : « La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques »

L’Obs a changé le nom de la victime et l’a appelé Nina. Nina s’est exprimée  en mai, devant la Ciivise et c’est après cette intervention que l’Obs l’a rencontrée.

Nina a 42 ans, elle a été victime d’inceste.

Voilà ce qu’elle a dit à l’Obs :

« J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. En février dernier, quelques semaines après avoir assisté à une première réunion publique de la Ciivise à Paris, j’ai parlé pour la première fois à ma famille.
En révélant l’inceste toujours tu, je l’ai simplement perdue. Ma famille a disparu.
Au-delà des seuls agresseurs, les réactions de mes proches ont été les mêmes : déni, menaces de suicide, chantage affectif : « Tu te rends compte de ce que tu nous fais ? » Sans compter l’invitation « à passer à autre chose »…
Comment faire famille avec eux désormais ?
Comment gérer cet isolement et cette douleur supplémentaires ?
Une seconde rencontre de la Ciivise était prévue à Paris en mai. J’y suis retournée, et cette fois, parce qu’il en allait de ma survie je crois, j’ai pris le micro pour témoigner tout haut.

J’ai dit ce qui arrive quand, comme moi, on révèle l’inceste à 42 ans. J’ai dit les quarante ans de silence, l’amnésie traumatique, l’angoisse, les difficultés relationnelles…
J’ai dit la déflagration, l’empêchement de vivre vraiment.
A la manière d’une rescapée de guerre ayant déserté un terrain miné, j’ai rejoint ce soir-là, en réalité, tant d’autres gueules cassées, tant de femmes formidables devenues depuis des alliées.
Elles m’ont dit les réactions de leurs proches, identiques à celles des miens quel que soit leur milieu social.
Les mêmes mots de nos mères et de nos frères nous reprochant d’avoir « détruit la famille », « regrettant notre absence » à telle ou telle fête de famille…
Je ne suis plus dans la solitude de l’enfant incesté qui se tait. J’ai trouvé des alter ego.
Nous nous comprenons dans notre chair, dans nos histoires, nos souvenirs traumatiques et leurs manifestations incongrues et implacables.
Le simple bruit d’une porte de frigo qu’on referme, un parfum… et tout peut ressurgir.
[…]

J’ai dit aussi ma frustration et mon ire. Parce qu’au fil des ans, je suis devenue cette victime résiliente tant souhaitée par moi-même dans un premier temps, et par l’ensemble de la société.
Et j’en ressens à présent une grande insatisfaction et une colère immense.
La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques.
Une parole qui se libère ? Pour quoi faire si elle retombe comme un caillou qui ricoche sur la surface plane d’une eau limpide sans laisser la moindre trace ? On parle encore et encore, nos paroles s’entremêlent, et puis quoi ? Rien. C’est un désastre. Comme je l’ai dit ce soir-là à la Ciivise, cela me fait penser à un charnier de victimes qui se débattent avec leurs paroles et, en surplomb, les agresseurs, la société, la justice et l’Etat qui nous regardent tentant de sauver notre peau, notre santé mentale, notre intégrité. Quant à la résilience, elle ne doit pas et ne peut pas suffire à laver les agresseurs de leurs crimes sexuels. Ce serait trop simple.
[…]

Que se passe-t-il pour une victime d’inceste une fois qu’elle a parlé ? Depuis ma prise de parole, non suivie d’une action en justice pour ma part, il ne s’est rien passé. J’ai cherché un nouveau thérapeute. Un psychiatre de 70 ans a évoqué mon narcissisme et mon sentiment de culpabilité, m’invitant à m’engager dans un long processus thérapeutique et balayant littéralement d’un revers de la main l’inceste dont j’ai été victime. Pour lui, ce n’était qu’un détail. Pour la première fois de ma vie, je me suis opposée à un professionnel de santé et j’ai pointé du doigt son incompétence et affirmé mon refus de me soumettre à une cure psychanalytique longue, onéreuse et inadaptée, dans laquelle la domination se (re) joue encore et encore, à plusieurs endroits.

Je n’ai plus besoin de cela, j’ai besoin d’autre chose. Mais de quoi ?

[…] Le tabou est tel que tout est incomplet ou inexistant : la réponse de la justice, la réponse de la société, la réponse politique.

Il y a quelques jours, un ouvrage majeur a paru. « La Culture de l’inceste », coordonné par l’autrice Iris Brey et l’art-thérapeute Juliet Drouar.
Sa lecture, qui m’a donné le vertige, me hante et m’accompagne. L’essai me répète que mon parcours individuel n’a rien de honteux ni de singulier, que mon histoire est au cœur d’un système patriarcal bien rodé qui promeut et permet l’inceste.
L’anthropologue Dorothée Dussy y explique aussi que l’inceste structure la société, qu’il est le socle des dominations patriarcales. A défaut de justice, nous cherchons collectivement du sens et des réponses. A défaut de tout ce qui n’existe pas encore.

[…] On souffre aujourd’hui toujours de l’inceste. On en meurt aussi. Depuis le début de l’année, la mort rôde dans le « grand club des victimes résilientes » que j’ai intégré. Une amie m’évoque le suicide de la fille d’un ami, cet été, violée par son oncle. Une autre, violée toute son enfance par son frère, se confronte à nouveau à ses souvenirs traumatiques et me confie aussi son envie de mourir. L’acteur Johann Cuny, sur les réseaux sociaux, témoigne lui aussi du suicide de sa sœur Adèle, victime d’inceste à 7 ans.
Combien d’autres ? Depuis que j’ai libéré ma parole, je vois et je relève désormais l’impact des violences sexuelles commises dans l’enfance, dans la chair, le psychisme, durant toute une vie.
[…]

J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. Mais le silence revient toujours, sans un bruit, recouvrir l’inceste.
C’est un linceul déployé sur chacun de nos témoignages, aussi puissants soient-ils.
Un linceul crasse jeté simultanément sur des milliers d’enfants qui ne seront pas protégés cette nuit du ou des membres de leur famille, incesteur(s), agresseur sexuel dominant, dont l’autorité fait foi.
Qu’attendons-nous pour agir ? »

Oui vraiment ce qui était tabou c’était d’en parler.

Et aujourd’hui encore le déni est la réponse la plus fréquente et non l’écoute et l’accueil bienveillante de la parole, comme le montre ce témoignage !

A voir aussi cette émission de Mediapart <L’inceste est partout> avec Iris Brey, Juliet Drouar et Dorothée Dussy. La basketteuse Paoline Ekambi est aussi venue apporter son témoignage.

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