Lundi 26 février 2024

« Pour résister, il faudrait une armée d’adultes ! »
Judith Godrèche

Nous ne sommes pas sortis de la pédophilie, de l’inceste, de la violence faite aux femmes et aux enfants.

Le mot du jour a souvent parlé de ces sujets, en montrant combien ces crimes sont incroyablement nombreux et ont été odieusement banalisés.

Aujourd’hui c’est Judith Godrèche qui occupe le devant de la scène.

Je l’ai écoutée sur France Inter <Je n’ai jamais été attirée par Benoît Jacquot mais j’ai été son enfant femme>

Elle raconte, l’emprise, la violence, les coups, la peur à la journaliste Sonia Devillers dont j’ai apprécié la qualité d’écoute et la sensibilité pour accompagner ce témoignage avec dignité et douceur.

Interrogé par Le Monde, Benoît Jacquot nie l’ensemble des accusations. Il insiste sur le caractère « amoureux » de cette relation longue.

Et puis, il y eut aussi Jacques Doillon.

Elle a exprimé une parole forte aux César 2024 : <Je parle mais je ne vous entends pas>

La rentrée littéraire fut marquée par un livre remarquable de Neige Sinno : « Triste Tigre », dans lequel elle raconte son inceste subi entre l’âge de 4 à 7 ans.

Entre temps, il y eut les accusations nombreuses et cohérentes contre Gérard Depardieu et aussi Gérard Miller pour des viols et des violences faites aux femmes. Dans le monde du journalisme il y a PPDA

J’ai écouté le témoignage d’Anouk Grinbert, <Depardieu est comme ça parce que tout le monde lui permet d’être comme ça>

L’émission <L’Esprit Public> du 25 février est revenue, de manière plus globale, sur ces sujets : <Metoo du cinéma : le procès d’une époque ?> en soulignant notamment le caractère symbolique du cinéma :

« Le 7ème art a aussi une responsabilité particulière en ceci qu’il véhicule les stéréotypes, comme celui de la jeune fille sexy qui séduit les hommes bien plus âgés qu’elle. »

Ce sont souvent des actes qui ont été commis au vu et au su de beaucoup de monde.

Des parents, des adultes, des femmes et des hommes étaient là !

Ils n’ont rien dit, rien fait, ils n’ont rien empêché.

Dans l’interview avec Sonia Devillers, Judith Godrèche exprime cette supplique :

« Pour empêcher cela il aurait fallu une armée d’adultes. Pour résister il faudrait une armée d’adultes. »

Alors, on peut se lancer dans de multiples analyses sur le patriarcat, sur la libération des mœurs de mai 68 qui a été délétère sur certains points pour les femmes et les enfants.

Aujourd’hui j’en resterai uniquement sur ce point-là : « il faut une armée d’adultes ».

Des adultes qui connaissent la Loi et qui empêchent quand un homme qu’ils connaissent et qu’ils voient ne s’empêche pas.

On en revient à ces mots du père d’Albert Camus : « Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… »

Albert Einstein, n’a pas toujours été un modèle de vertu et d’éthique, mais il a écrit une phrase très juste :

« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.
Albert Einstein Comment je vois le monde (1934)

Des adultes qui protègent les enfants !

Mais aussi des adultes qui protègent d’autres adultes quand ce qu’ils voient, entendent ou savent n’est pas acceptable.

Encore faut-il être clair dans sa tête sur ces sujets.

Aussi, je partage aujourd’hui une initiative du département de Seine Saint Denis reprise par  la maison de l’égalité homme femme de Grenoble et qui tente d’évaluer les violences à l’intérieur d’un couple : <Le violentomètre>

Cet outil utilise un code couleur Vert, Orange et Rouge qui qualifie des comportements.

Le vert, correspond à des attitudes qualifiées de saine, comme par exemple : « le partenaire accepte tes décisions et tes goûts »

L’orange correspond à une situation dans laquelle il faut être vigilant et dire Stop, par exemple : « le partenaire rabaisse tes opinions et tes projets »

Pour le rouge qui est le dernier stade, il faut se protéger, demander de l’aide car il y a danger par exemple « Pète les plombs lorsque quelque chose lui déplait ».

Je ne reproduis pas ici cette échelle que vous trouverez derrière ce lien : <Le violentomètre>

Des adultes ce sont des humains qui posent des limites et avant tout qui se posent des limites à eux-mêmes.

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Jeudi 22 septembre 2022

« L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou. »
Iris Brey

L’inceste est un phénomène massif dans notre Société.
Ce n’est que récemment que cette réalité a été dévoilée et que les personnes intègres qui veulent savoir, le savent.

A la sortie du livre de Camille Kouchner, j’avais commis une série de mots du jour du <15 février 2021> jusqu’au <24 février 2021> avec au centre de cette série, le livre de Dorothée Dussy « Le berceau des dominations » qui vient enfin d’être rééditer.

Ce livre fut une révélation pour beaucoup.

Le 23 janvier 2021, le président de la République a annoncé la création d’une commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)

Rapidement cette Commission lançait un vaste appel à témoignages.

Elle a reçu 6 414 témoignages reçus, elle vient de dresser le bilan des lourdes séquelles que présentent, encore à l’âge adulte, celles et ceux qui ont été victimes de violences sexuelles durant l’enfance.

Un traumatisme qui continue d’affecter leur santé physique et mentale, ainsi que leur vie familiale, sexuelle et professionnelle. Le rapport livre également de nombreux chiffres sur le profil des victimes.

On apprend que dans 25% des cas, les victimes avaient moins de 5 ans

Dans l’immense majorité des cas (81%), l’agresseur est un membre de la famille : père, grand-frère, demi-frère, grand-père, cousin, oncle, beau-père

Un ouvrage collectif <La culture de l’Inceste> vient de paraître.

Sonia Devilliers, dans son émission : <L’invité de 9h10> avait invité Iris Brey et Juliet Drouar qui codirigeaient l’écriture de ce livre écrit par 14 thérapeutes, universitaires et militantes.

Annie et moi avons été si marqué par cette émission que nous avons immédiatement acheté ce livre. C’est Annie qui a commencé à le lire et le trouve remarquable.

Dans cette émission Iris Brey rappelle que Claude Levi-Strauss affirmait que l’inceste constituait un interdit, un tabou.

Ce que ce grand homme disait était faux, totalement, radicalement faux.

Ce qui est interdit c’est le mariage incestueux, c’est le mariage qui est un évènement public qui oblige à l’alliance de deux familles différentes, c’est-à-dire pratiquer l’exogamie et non l’endogamie.

D’ailleurs Claude Levi-Strauss abordait cette question par le prisme des alliances entre familles , alors que Dorothée Dussy et les personnes qui étudient l’inceste aujourd’hui analyse ce crime sous le projecteur des violences sexuelles.

Mais la relation sexuelle incestueuse, à l’intérieur de la famille, est tellement massive : 7 millions de victimes en France, que dire que cette pratique constitue un interdit, un tabou est un mensonge.

Et Iris Brey a eu cette phrase qui révèle la vérité :

« L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou »

C’est ce qu’éclaire parfaitement le témoignage que vient de publier « L’Obs » le 21 septembre 2022 : « La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques »

L’Obs a changé le nom de la victime et l’a appelé Nina. Nina s’est exprimée  en mai, devant la Ciivise et c’est après cette intervention que l’Obs l’a rencontrée.

Nina a 42 ans, elle a été victime d’inceste.

Voilà ce qu’elle a dit à l’Obs :

« J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. En février dernier, quelques semaines après avoir assisté à une première réunion publique de la Ciivise à Paris, j’ai parlé pour la première fois à ma famille.
En révélant l’inceste toujours tu, je l’ai simplement perdue. Ma famille a disparu.
Au-delà des seuls agresseurs, les réactions de mes proches ont été les mêmes : déni, menaces de suicide, chantage affectif : « Tu te rends compte de ce que tu nous fais ? » Sans compter l’invitation « à passer à autre chose »…
Comment faire famille avec eux désormais ?
Comment gérer cet isolement et cette douleur supplémentaires ?
Une seconde rencontre de la Ciivise était prévue à Paris en mai. J’y suis retournée, et cette fois, parce qu’il en allait de ma survie je crois, j’ai pris le micro pour témoigner tout haut.

J’ai dit ce qui arrive quand, comme moi, on révèle l’inceste à 42 ans. J’ai dit les quarante ans de silence, l’amnésie traumatique, l’angoisse, les difficultés relationnelles…
J’ai dit la déflagration, l’empêchement de vivre vraiment.
A la manière d’une rescapée de guerre ayant déserté un terrain miné, j’ai rejoint ce soir-là, en réalité, tant d’autres gueules cassées, tant de femmes formidables devenues depuis des alliées.
Elles m’ont dit les réactions de leurs proches, identiques à celles des miens quel que soit leur milieu social.
Les mêmes mots de nos mères et de nos frères nous reprochant d’avoir « détruit la famille », « regrettant notre absence » à telle ou telle fête de famille…
Je ne suis plus dans la solitude de l’enfant incesté qui se tait. J’ai trouvé des alter ego.
Nous nous comprenons dans notre chair, dans nos histoires, nos souvenirs traumatiques et leurs manifestations incongrues et implacables.
Le simple bruit d’une porte de frigo qu’on referme, un parfum… et tout peut ressurgir.
[…]

J’ai dit aussi ma frustration et mon ire. Parce qu’au fil des ans, je suis devenue cette victime résiliente tant souhaitée par moi-même dans un premier temps, et par l’ensemble de la société.
Et j’en ressens à présent une grande insatisfaction et une colère immense.
La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques.
Une parole qui se libère ? Pour quoi faire si elle retombe comme un caillou qui ricoche sur la surface plane d’une eau limpide sans laisser la moindre trace ? On parle encore et encore, nos paroles s’entremêlent, et puis quoi ? Rien. C’est un désastre. Comme je l’ai dit ce soir-là à la Ciivise, cela me fait penser à un charnier de victimes qui se débattent avec leurs paroles et, en surplomb, les agresseurs, la société, la justice et l’Etat qui nous regardent tentant de sauver notre peau, notre santé mentale, notre intégrité. Quant à la résilience, elle ne doit pas et ne peut pas suffire à laver les agresseurs de leurs crimes sexuels. Ce serait trop simple.
[…]

Que se passe-t-il pour une victime d’inceste une fois qu’elle a parlé ? Depuis ma prise de parole, non suivie d’une action en justice pour ma part, il ne s’est rien passé. J’ai cherché un nouveau thérapeute. Un psychiatre de 70 ans a évoqué mon narcissisme et mon sentiment de culpabilité, m’invitant à m’engager dans un long processus thérapeutique et balayant littéralement d’un revers de la main l’inceste dont j’ai été victime. Pour lui, ce n’était qu’un détail. Pour la première fois de ma vie, je me suis opposée à un professionnel de santé et j’ai pointé du doigt son incompétence et affirmé mon refus de me soumettre à une cure psychanalytique longue, onéreuse et inadaptée, dans laquelle la domination se (re) joue encore et encore, à plusieurs endroits.

Je n’ai plus besoin de cela, j’ai besoin d’autre chose. Mais de quoi ?

[…] Le tabou est tel que tout est incomplet ou inexistant : la réponse de la justice, la réponse de la société, la réponse politique.

Il y a quelques jours, un ouvrage majeur a paru. « La Culture de l’inceste », coordonné par l’autrice Iris Brey et l’art-thérapeute Juliet Drouar.
Sa lecture, qui m’a donné le vertige, me hante et m’accompagne. L’essai me répète que mon parcours individuel n’a rien de honteux ni de singulier, que mon histoire est au cœur d’un système patriarcal bien rodé qui promeut et permet l’inceste.
L’anthropologue Dorothée Dussy y explique aussi que l’inceste structure la société, qu’il est le socle des dominations patriarcales. A défaut de justice, nous cherchons collectivement du sens et des réponses. A défaut de tout ce qui n’existe pas encore.

[…] On souffre aujourd’hui toujours de l’inceste. On en meurt aussi. Depuis le début de l’année, la mort rôde dans le « grand club des victimes résilientes » que j’ai intégré. Une amie m’évoque le suicide de la fille d’un ami, cet été, violée par son oncle. Une autre, violée toute son enfance par son frère, se confronte à nouveau à ses souvenirs traumatiques et me confie aussi son envie de mourir. L’acteur Johann Cuny, sur les réseaux sociaux, témoigne lui aussi du suicide de sa sœur Adèle, victime d’inceste à 7 ans.
Combien d’autres ? Depuis que j’ai libéré ma parole, je vois et je relève désormais l’impact des violences sexuelles commises dans l’enfance, dans la chair, le psychisme, durant toute une vie.
[…]

J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. Mais le silence revient toujours, sans un bruit, recouvrir l’inceste.
C’est un linceul déployé sur chacun de nos témoignages, aussi puissants soient-ils.
Un linceul crasse jeté simultanément sur des milliers d’enfants qui ne seront pas protégés cette nuit du ou des membres de leur famille, incesteur(s), agresseur sexuel dominant, dont l’autorité fait foi.
Qu’attendons-nous pour agir ? »

Oui vraiment ce qui était tabou c’était d’en parler.

Et aujourd’hui encore le déni est la réponse la plus fréquente et non l’écoute et l’accueil bienveillante de la parole, comme le montre ce témoignage !

A voir aussi cette émission de Mediapart <L’inceste est partout> avec Iris Brey, Juliet Drouar et Dorothée Dussy. La basketteuse Paoline Ekambi est aussi venue apporter son témoignage.

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Mercredi 25 février 2021

«Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter même en rêve.»
Khalil Gibran, vos enfants, « Le prophète »

C’est la première fois que j’utilise le même texte pour deux mots du jour. Je l’avais utilisé il y a bien longtemps, tout au début de l’aventure du mot du jour en décembre 2012.

Mais comme exergue j’utilise un autre des vers de ce poème qui parle des enfants.

Les enfants qui n’appartiennent pas à leurs parents qui ne peuvent en faire leur objet de domination, leur objet d’exploitation, leur objet sexuel.

Les enfants qui sont les fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même.

C’est avec ce poème qui célèbre la sacralité de l’enfant que je termine cette série consacrée au sacrilège de l’inceste.

Même si les évolutions sont lentes et peuvent décourager des victimes qui trouvent que la prise de conscience reste insuffisante notamment chez celles et ceux qui ont laissé faire, n’ont pas voulu voir, n’ont pas su agir, je crois qu’il existe une lame de fond qui emporte avec elle les anciennes croyances et structures qui ont couvertes et laissé faire ce crime de masse à l’égard des enfants.

Des livres ou des podcasts comme cette série de 6 émissions < Ou peut-être une nuit> qui fait référence aux paroles de la chanson « L’aigle noir de Barbara » et qui a été réalisée par la journaliste Charlotte Pudlowski ouvrent de plus en plus le cercle de la compréhension et celui de l’intolérance à des pratiques et des théories sur lesquelles les pervers se sont appuyés pour pratiquer leurs sordides agissements.

Certains propos ne peuvent plus être tenus, plus être écrits.

Les choses bougent.

Estelle nous a indiqué en commentaire lors du premier mot du jour de la série vers « le magistral travail d’Ariane Bilheran » https://www.arianebilheran.com

Sur ce site j’ai trouvé une interview datant du 12 janvier 2021 du Dr Régis Brunod, pédiatre et pédopsychiatre très intéressante : «Préserver l’innocence des enfants»

Je republie donc ce magnifique poème de Khalil Gibran

« Une femme qui tenait un nouveau-né contre son sein dit :
Parle-nous des enfants.

Il dit:

Vos enfants ne sont pas vos enfants
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même
Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas

Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées
Car ils ont leurs propres pensées
Vous pouvez accueillir leurs corps, mais pas leurs âmes
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter même en rêve

Vous pouvez vous efforcer d’être semblables à eux
Mais ne cherchez pas à les rendre semblables à vous
Car la vie ne revient pas en arrière ni ne s’attarde avec hier
Vous êtes les arcs à partir desquels vos enfants,

Telles des flèches vivantes, sont lancées
L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini,
Et Il vous tend de Sa puissance
Afin que les flèches soient rapides et leur portée lointaine.

Puisse votre courbure dans la main de l’Archer être pour l’allégresse
Car de même qu’Il chérit la flèche en son envol, Il aime l’arc en sa stabilité »

Khalil Gibran

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Mardi 23 février 2021

«Marie France [Pisier] remet les choses à l’endroit !»
Camilla Kouchner

J’adorais Marie France Pisier. C’était une merveilleuse actrice, d’une grande intelligence, très cultivée. Mais c’était avant tout une voix. Une voix bouleversante et pleine de chaleur et de distinction.

Je me souviens aussi d’avoir lu avec beaucoup de bonheur, son premier roman : « Le bal du gouverneur ».

J’avais appris avec beaucoup de tristesse sa mort en avril 2011, la nuit, dans sa villa située dans le Var.

Sa mort est obscure et mystérieuse : elle a été retrouvée au fond de sa piscine par son mari, portant des bottes en caoutchouc, sa tête et ses épaules coincées dans le croisillon métallique d’une « lourde chaise en fer forgé ».

Elle n’est pas morte noyée, l’autopsie n’a pas trouvé d’eau dans les poumons.

Depuis la parution du livre « La familla grande », tout le monde sait ce qu’une toute petite élite germanopratine savait depuis plusieurs années : Marie-France Pisier était dévorée par une colère et une révolte de ce qu’elle avait appris au sein de sa famille : son beau-frère Olivier Duhamel avait abusé de son neveu, fils de sa sœur Evelyne Pisier et de Bernard Kouchner. Elle le racontait à toutes celles et ceux qu’elle connaissait pour tenter de construire un vide sanitaire autour du prédateur.

A plusieurs reprises, elle a essayé de convaincre son neveu et sa nièce Camilla de porter plainte. Elle n’a pas porté plainte parce que la victime, son neveu ne le voulait pas.

Marie-France Pisier était une fille de mai 1968, elle était totalement libre dans sa vie affective et sexuelle.

On peut lire partout qu’elle a accumulé les amants, qu’elle en a même échangé avec sa sœur Evelyne dont elle était si proche.

Mais Marie-France Pisier dans sa liberté, avait les pieds ancrés profondément dans le sol des valeurs. Elle savait qu’il y avait des limites à ne pas franchir.

C’est la victime, le fils, qui a raconté à sa mère Evelyne ce que son compagnon lui avait fait subir.

Evelyne n’a pas consolé son fils, elle s’est enfuie auprès de sa sœur, sa confidente de toujours.

Elle lui a raconté l’innommable et elle espérait l’empathie de sa sœur.

Camilla Kouchner raconte dans l’émission «la Grande Librairie» qui a été consacrée à son livre :

« Elle va se réfugier chez sa sœur Marie France. Et puis, elle trouve chez Marie France assez peu d’empathie. Marie France lui dit : ça c’est non ! Ce que tu me racontes c’est impossible. C’est impossible que tu viennes me dire que tu es mal ! Ce n’est pas toi qui est mal, ce sont tes enfants qui sont mal ! Marie France remet les choses à l’endroit ! »

Et Marie France n’aura de cesse d’exiger que sa sœur quitte le prédateur. Elle s’engage à l’aider financièrement et moralement pour affronter cette rupture.

Evelyne Pisier n’en fera rien. Comme d’autres mères, elle restera dans le déni, défendra son homme, bien qu’il soit prédateur.

Elle accusera même ses enfants de l’avoir provoqué, d’avoir séduit le mâle alpha de la famille.

C’est pourquoi, il est tellement important qu’il existe des personnes comme Marie-France Pisier qui remettent les choses à l’endroit.

Il existe des situations qui sont complexes et dans lesquelles les responsabilités ne sont pas claires.

Rien de tel quand il s’agit d’un acte sexuel que commet un adulte sur un enfant de 13 ans surtout lorsqu’il exerce une autorité paternelle sur lui.

Il n’y a pas de complexité, il y a asymétrie, il y a emprise, il y a crime.

Evelyne Pisier tergiverse, cherche des échappatoires et finalement accuse les enfants.

Marie-France Pisier dit non ! et choisit son camp, celui de ses neveux et se fâche avec sa sœur avec laquelle elle était si liée.

Mon éducation religieuse revient parfois par des paroles de sagesse qui m’ont construit.

Et l’attitude remarquable et juste, oui juste de Marie France Pisier me font songer à celle-ci :

« Et si ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi; car il est avantageux pour toi qu’un seul de tes membres périsse, et que ton corps entier n’aille pas dans la géhenne. »
Evangile selon Matthieu 5:30

Pour Marie France Pisier, sa sœur était l’équivalent de sa main droite. Elle n’a pas accepté d’être entrainé dans sa chute, dans le mauvais combat ou dans le combat du mauvais côté.

Camilla Kouchner était l’invitée de Quotidien de Yann Barthès le 15 février et quand Yann Barthés lui a demandé ce que représentait sa tante pour elle, elle a répondu :

« Elle est essentielle.
Elle est essentielle à tout point de vue. C’était notre tante chérie. […]

Moi elle m’a écoutée, et elle m’a bousculée, elle m’a dit ‘fais toi confiance, il y a des choses qui sont autorisées et il y a des choses qui sont interdites. Ce qu’on m’a raconté est interdit.

Marie France était pleine de joie pleine de liberté.
Au bon sens du terme, pas au sens dévoyé du terme.
Elle était pleine d’inventivité, mais elle avait des limites.
Et là, elle a très clairement marqué la limite quand elle a appris ce qui était arrivé. »

Il faut davantage de Marie-France Pisier dans la société.

S’il nous arrive d’être confronté à de tels agissements et nous savons qu’il en est beaucoup, puissions-nous nous inspirer de Marie-France Pisier.

L’émission La grande librairie, n’est plus en ligne intégralement mais cette émission de BFMTV : « Affaire Duhamel, un si lourd secret » décrit fidèlement les faits que j’ai repris dans ce mot du jour.

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Lundi 22 février 2021

« Le berceau des dominations »
Dorothée Dussy

Après les récits et les chiffres, il est nécessaire de faire appel à une parole plus scientifique. Lors de l’émission de la Grande Librairie déjà évoquée, Camilla Kouchner ainsi que Muriel Salmona qui intervenait en tant que présidente d’une association luttant contre les violences sexuelles, ont toutes les deux évoqué la lecture d’un livre qui a été fondateur dans leurs réflexions et prises de conscience.

Ce livre est « le berceau des dominations » de l’anthropologue Dorothée Dussy. Ce livre publié en 2013 est épuisé, mais on annonce une nouvelle édition en avril 2021.

Il est épuisé mais il existe une version en ligne derrière ce lien : <Le berceau des dominations>

Ce livre commence ainsi :

« Tous les jours, près de chez vous, un bon père de famille couche avec sa petite fille de neuf ans. Ou parfois elle lui fait juste une petite fellation. Ou c’est un oncle avec son neveu. Ou une grande sœur avec sa petite sœur. Le terme consacré pour désigner ces pratiques sexuelles imposées à un enfant de la famille est «inceste». Madame et monsieur, médecins, magistrats, journalistes, écrivains, auteurs de théâtre, chanteurs, historiens, psychologues et psychiatres, définissent ainsi l’inceste. C’est ainsi que tout le monde définit l’inceste, en fait, à l’exception des anthropologues, qui n’ont pas de nom pour dire cette pratique courante de la vie quotidienne dans les familles, happés qu’ils ont été par l’attention portée à la théorie de l’interdit de l’inceste qui indique des règles de prohibitions matrimoniales. La force centrifuge qui a ramené inlassablement les anthropologues à la théorie de l’interdit de l’inceste est si puissante qu’elle a opéré sur eux comme le fait aux yeux la lumière vive avant d’entrer dans une pièce sombre. Françoise Héritier, après avoir consacré une grande partie de sa carrière aux règles de l’exogamie à travers le monde, a tenté de mettre face à face la théorie et le point de vue des praticiens, sans réaliser qu’elle n’avait jamais travaillé sur le problème théorique de l’inceste, mais sur celui de l’interdit de l’inceste. Je reprends donc le dossier de l’inceste et l’ouvre à la dimension empirique. Je suis anthropologue moi-même et fais grand cas de l’articulation de la règle sociale et de la pratique. […]. À la faveur du réel et de la banalité des abus sexuels commis sur les enfants, on verra que l’inceste est structurant de l’ordre social. Il apparaît aussi comme l’outil primal de formation à l’exploitation et à la domination de genre et de classe. Nul besoin que chacun passe à la casserole pour que l’inceste éclabousse tout le monde. »

Elle utilise la terminologie « incesteur » pour le prédateur et « incesté » pour la victime.

Sur le site Bastamag , elle explique pourquoi l’ensemble de la société est éclaboussée par l’inceste.

« L’inceste ne se réduit pas aux faits sexuels mais les déborde largement pour maculer et organiser les relations entre les gens de la famille au quotidien. Il faut donc ajouter au comptage des victimes de l’inceste les frères, sœurs, conjointes et bien d’autres. Il y a pour tout le monde une incorporation de la peur et de la grammaire du silence. On va s’habituer à se taire dans sa vie professionnelle, amicale, sportive parce que c’est ce avec quoi on a été construit. On va considérer normal de se taire et être aveugle quand une agression a lieu devant nous. Combien d’entre nous ont fait cette expérience d’une agression dans les transports en commun, avec personne qui bouge, même si c’est bondé ? On a intériorisé qu’il faut se taire si un rapport de domination se manifeste devant nous. »

Elle exprime une vision culturelle de l’inceste : elle y voit la mise en œuvre d’un rapport de domination sexuelle spécifique aux sociétés humaines, lesquelles sont moins brutales que les sociétés animales, mais se montrent trop sourdes à ces agissements pour que l’on doute de leur caractère structurel.

Le « berceau des dominations » est bien sûr dans son esprit, la famille patriarcale, hiérarchisée dans laquelle se joue les rapports de domination.

Ce n’est pas la justice qui peut régler ce problème mais une révolution anthropologique qui remet en question le modèle qui rend possible ce crime structurel ainsi que le silence qui s’impose à lui.

Dorothée Dussy travaille au CNRS et est membre de L’IRIS (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux).

« Le berceau des dominations » est présenté comme le premier livre d’une trilogie consacrée à « l’ordre social incestueux ».

A ma connaissance, seul le premier a été publié.

Ce premier ouvrage étudie les « incesteurs » tandis que les deux prochains devraient être consacrés aux « incestées.

Dans son premier volume, elle a enquêté auprès de 22 auteurs d’incestes, tous incarcérés dans une prison du Grand Ouest de la France. Ils ont entre 22 et 78 ans et sont issus de diverses classes sociales, avec une majorité provenant de la classe moyenne et populaire.

Pour Dorothée Dussy l’inceste et le silence qui l’entoure sont constitutifs de l’ordre social :

« L’intériorisation des abus sexuels et du silence qui les entoure pour les incestés, l’impact suffisamment fort de l’inceste sur les incestés pour que ceux-ci en donnent à voir les effets aux autres enfants (…) participent d’une description complète des processus de fabrication des dominateurs et des dominés » (pp. 255-256).

Depuis que l’affaire Duhamel a été dévoilée, de nombreux journaux ont donné la parole à l’auteure du « berceau des dominations »

Sur le site Bastamag Dorothée Dussy décrit la vérité crue sur le soi-disant « tabou de l’inceste » :

« S’il y a un interdit, ce n’est pas de violer les enfants de la famille, mais plutôt de parler des incesteurs. »

Et elle ajoute :

« On stigmatise l’acte, mais on banalise l’acteur. Les campagnes de sensibilisation à l’inceste, par exemple, s’adressent toujours aux victimes, et jamais aux auteurs. Comme si ce n’était pas eux le problème. Or, pour incester des millions d’enfants, il faut du monde. Précisons qu’ils savent, bien évidemment, que ce qu’ils font n’est pas autorisé, mais ils s’en accommodent. Et il n’y a aucune pulsion sexuelle. La preuve : ils s’organisent pour se cacher, et intiment toujours à leurs victimes de se taire. »

Ce qui est accablant c’est la banalité des « incesteurs ». Dans <Libération> elle fait ce constat et parle de « viol d’aubaine »:

« Les incesteurs sont des hommes comme les autres […] L’incesteur n’est généralement pas un pédophile. Plutôt un homme normal qui s’autorise – quand l’occasion se présente, parce que ce sont des viols d’aubaine – à avoir des rapports sexuels avec un enfant de la famille. Il considère que cet enfant est à sa disposition : il le soumet alors à son désir sexuel du moment. Les incesteurs ne sont pas des monstres mais des hommes comme les autres : votre voisin de palier, votre collègue. Rien ne les distingue. S’il y a 5 % à 10 % d’enfants violés, le même pourcentage d’adultes est incesteur. Des hommes normaux, qui s’arrangent à la fois avec la loi et avec le consentement de leur victime. Ils savent que le viol est interdit mais ils n’ont pas l’impression de violer ou d’être de sales types. Camille Kouchner le relate bien : son beau-père est un homme plus que normal, libre, bien dans sa peau, soutenant et à l’écoute. »

Et elle insiste sur la structure familiale qui va camoufler, accepter le crime et protéger le criminel :

« On ne peut pas comprendre le fonctionnement de l’inceste si l’on s’en tient strictement à la relation entre l’incesteur et l’incesté : il faut aussi considérer ceux qui sont autour. L’incesteur – pas forcément le père, mais le beau-père, l’oncle, le cousin, le grand frère – est presque systématiquement un homme qui bénéficie d’une position dominante au sein de la famille. Elle est tout entière enjointe au silence : la conjointe, les autres enfants, les grands-parents, le reste de l’entourage fréquenté au quotidien ou en vacances. De l’agresseur à la victime, la contrainte au silence se joue sur plusieurs registres : celui de la séduction, de la clandestinité («C’est notre petit secret») ou de la menace («Ta mère va souffrir si tu parles»). Parfois, il n’y a même pas besoin de mots. L’inceste fonctionne toujours avec une rétribution : les incesteurs se dédouanent du sentiment d’avoir extorqué un service sexuel à l’enfant en lui faisant un cadeau. Ils ont ainsi l’impression d’avoir rétribué la victime et que l’acte n’est donc pas un problème. […]

Le cœur de l’ordre social est le fonctionnement incestueux de la famille. Celle-ci peut très bien fonctionner, même avec un des membres qui en agresse d’autres au quotidien pendant des années. En revanche, au moment du dévoilement, cela s’interrompt. Alors, pour maintenir l’ordre familial, elle se referme autour du silence. En général, en excluant l’incesté qui dévoile les faits. La famille Duhamel est un cas d’école : les enfants Kouchner ne voyaient plus leur mère. A part leur tante et des personnes qui ont pris leurs distances, tout le monde a continué à fréquenter ce cercle familial. Ceux qui ont mené à bien le dévoilement en ont été exclus. »

Sur Bastamag elle ose cette hypothèse :

« Vu le nombre d’incestés, et donc d’incesteurs, il y a forcément des violeurs sur les bancs de l’Assemblée nationale, ou encore au sein du Conseil constitutionnel, lequel a retoqué plusieurs fois les lois sur l’allongement du délai de prescription des crimes d’inceste. C’est logique, car personne ne renonce facilement à ses privilèges. Mais c’est un vrai problème, qui participe à la reconduction de l’inceste. »

Dans <cet article de l’Obs> Dorothée Dussy explique la difficulté de sortir de ce phénomène parce qu’il est enfoui profondément dans les structures familiales patriarcales, hiérarchisées.

« Je ne crois pas que les choses vont changer. Ce sujet, c’est l’horreur. J’en ai fait l’expérience dans mon métier. J’ai fait des exposés, des conférences, j’ai vu les gens regarder leurs pieds en attendant que ça passe, c’est très pénible et un peu vain. Il y a eu des centaines de travaux, des programmes, des dispositifs de lutte contre l’inceste, mais nous en sommes toujours au même point. L’inceste résiste à tout ça, il a toujours existé, il a toujours traversé les temps, et les générations. L’inceste survient dans une famille où il est en général déjà là, donc c’est très dur d’en venir à bout. C’est un crime de lien, commis par des proches auxquels les enfants sont attachés. L’inceste s’articule autour de ressorts constitutifs de l’organisation familiale, qui sont difficiles à désamorcer. Il faudrait lutter en amont, prendre à la source le problème, s’intéresser à la domination masculine, à la domination tout court, aux formes d’écrabouillement d’autrui, des enfants.

Pour l’anthropologue, il faut en parler, en parler davantage :

« Il faut oser parler de ce qui dérange : les millions de violeurs. L’omerta protège les gens qui commettent les violences, les « incesteurs ». C’est d’eux dont il faut parler, qu’il faut oser dénoncer. »

Et puis comme je l’ai déjà rapporté lors d’un mot du jour précédent, le problème n’est pas que les enfants ne parleraient pas, le problème c’est qu’il faut des oreilles pour écouter et une autorité pour les protéger devant le prédateur.

« Les enfants ne se taisent pas. En réalité, ils parlent, à leur manière, mais on ne les entend pas, on ne les comprend pas. Et ils ne révèlent rien. J’ai fait des centaines d’entretiens avec des victimes, et il y a toujours des situations d’incestes dans les générations qui les ont précédées. Il s’agit de familles entières où les gens naissent avec l’injonction au silence. Les enfants apprennent tout petits à supporter. Ils savent que s’ils ont mal aux fesses, on ne les écoutera pas, on ne les soignera pas. S’ils sont crevés le matin, parce que la peur qu’on les réveille la nuit les a empêchés de dormir, ils savent que c’est mal de s’en plaindre, qu’il ne faut pas que ça se voit, ni que cela se sache. Et quand ils verbalisent auprès d’un proche les violences sexuelles subies, c’est tellement inintelligible, qu’on les renvoie dans leur but. Les enfants n’ont pas de mots pour définir la sexualité, ils sont incrédules, ou « ignares » pour utiliser le vocabulaire de la sexualité. Ils ne comprennent pas ce qu’ils vivent, comment le dire ? »

L’espoir de Dorothée Dussy repose sur l’évolution économique des élites et la place plus importante des femmes parmi les dirigeants :

« De décennies en décennies, les femmes deviennent indépendantes financièrement, elles accèdent à des postes à responsabilités, elles sont médecins, elles sont avocates, elles sont élues à l’Assemblée, elles sont journalistes. Il y a donc statistiquement plus de personnes violées à des postes clés. Plus les femmes seront nombreuses à occuper des places décisives, moins les hommes qui relativisent les crimes sexuels l’emporteront. »

Dorothée Dussy intervient aussi dans cet article du Figaro : « Silence et inceste : On en veut aux mères car on s’imagine qu’elles ont un instinct naturel de protection »

<1529 >

Vendredi 19 février 2021

« Il y avait le jour, il y avait la nuit, il y avait l’inceste..»
Mathilde Brasilier

Quand on se penche sur ce crime et qu’on ouvre les oreilles et les yeux, on est submergé par les témoignages. Leur nombre, les drames, la souffrance.

Non, il n’y a pas d’inceste heureux pour les enfants.

Le milieu familial qui devrait être celui de la protection, du refuge peut devenir celui du mal absolu. Françoise Dolto disait qu’on se retrouvait alors comme

« un œuf qui a perdu sa coquille »

Ce crime est perpétré à <96%> par des hommes, le genre mâle d’homo sapiens.

Mathilde Brasilier quand elle a pu enfin parler, c’était trop tard pour porter plainte.

Elle a écrit un livre « Il y avait le jour, il y avait la nuit, il y avait l’inceste. » paru en août 2019.

Elle raconte simplement l’histoire dans <France dimanche>

«De mon père, j’entendais souvent : « C’est un homme brillant, il a eu le prix de Rome » [décerné à la suite d’un concours dans différentes disciplines : architecture, peinture, sculpture, gravure et musique, ndlr].

Il était un architecte de renom.

Ma mère était sculptrice. Elle représentait l’image de la bourgeoisie, et lui, de l’aristocratie. Elle possédait de l’argent, lui, l’intelligence et la culture. Et nous habitions Saint-Germain-des-Prés.

Enfant, je ressentais l’aura de mon père. Il était souvent absent la semaine à cause de ses cours aux Beaux-Arts et de ses nombreux voyages.

Le week-end, il s’occupait de mon frère Fabien et de moi. Il nous emmenait voir des expositions, visiter des monuments historiques, la culture constituant une valeur éducative très importante pour lui.

Les premiers abus ont débuté lorsque j’avais 5 ans.

Souvent, ils avaient lieu dans l’agence d’architecture de notre père, située à une rue de l’appartement familial.

Au départ, cet endroit était un superbe terrain de jeu pour nous, car c’était un ancien théâtre sur deux niveaux avec un sous-sol, dans lequel nous construisions des cabanes.

Mais c’était aussi un piège…

Lorsqu’il fermait la trappe phonique du sous-sol, plus personne ne pouvait nous entendre.

Son visage changeait. Son regard devenait terrifiant, il se muait en prédateur.

Ça se passait aussi dans ma chambre, la nuit. C’est à ce moment-là que j’ai développé une insomnie chronique. Alors il utilisait de l’éther pour nous endormir et mieux accomplir son forfait.

Pour se justifier, il nous disait qu’il nous aimait plus que les autres parents. Et il nous avait choisis parce qu’on était mieux que les autres enfants.

Comme si c’était une chance.

Durant cinq ans, j’ai essayé d’attirer l’attention, notamment de notre médecin de famille, à travers mes troubles du sommeil. Mais il a réglé le problème en me prescrivant des injections de Valium.

A l’époque, dans les années 70, on parlait peu d’inceste, et encore moins au sujet des familles bourgeoises, bien sous tout rapport.

A l’âge de 10 ans, les abus ont cessé après un séjour à la montagne, durant lequel mon frère et moi avons réussi à lui échapper.

Après ça, il a fait une dépression et a été interné. Il n’a plus jamais recommencé.

Et moi, j’ai oublié… pour un temps.

Le 6 mars 1985, Fabien, mon frère, mon alter ego, s’est suicidé. Il s’est jeté du haut de Beaubourg. Il avait 24 ans.

C’était un acte fort et réfléchi, car lui, hélas, n’avait pas oublié ce que nous avions vécu. Mais il ne me l’a jamais rappelé, pour ne pas me faire souffrir.

Ma famille a prétendu qu’il s’agissait d’un accident, qu’il aurait été poussé par quelqu’un. Un suicide, ça faisait tache dans notre milieu social. Il n’y a donc pas eu de cérémonie ni de pierre tombale.

J’ai compris son mal-être quinze ans plus tard, après une séance chez une thérapeute. J’avais consulté Catherine Dolto pour un retard de langage que présentait mon fils, et elle m’a proposé de me suivre également.

Un jour, à 40 ans, la boîte de Pandore s’est ouverte, et tout m’est revenu en mémoire, comme l’a aussi décrit et vécu Flavie Flament.

Toutes les scènes d’agression me sont apparues comme des photos. A ce moment-là, j’étais dans le métro, les portes se sont fermées, et j’ai éprouvé une très grosse angoisse.

Quand j’en ai parlé à ma mère, j’ai réalisé qu’elle était elle-même sous emprise. Elle n’a pas su. Elle était probablement dans le déni.

En 2005, j’ai eu mon père au téléphone. On a beaucoup parlé, et il a reconnu ce qu’il avait fait, il ressentait de la culpabilité.

Il s’est suicidé le lendemain…

J’aimerais aujourd’hui que les crimes sexuels sur enfant (en deçà de 15 ans) soient imprescriptibles, puisque l’amnésie traumatique va être inscrite dans le Code pénal.

C’est une nécessité pour les victimes. »

Il faut aussi regarder ce documentaire de France Télévision dans lequel elle intervient parmi d’autres : <Enfance Abusée>

C’est bouleversant.

Le plus souvent le crime s’enfonce dans le déni et même les mères consentent à l’emprise et se taisent.

Les familles fréquemment protègent l’agresseur et rejette la victime qui parle.

C’est inacceptable. Il faut que cela cesse.

Mathilde Brasilier s’exprime aussi sur ce <blog de mediapart>

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Jeudi 18 février 2021

« Je pense qu’entre un parent et un enfant, il n’y a pas d’inceste heureux.»
Eva Thomas pendant l’émission les dossiers de l’Ecran du 2 septembre 1986

Le 2 septembre 1986, L’émission de France 2, « Les dossiers de l’écran » décide de parler de l’inceste en France. C’est une première.

L’INA a pris la décision pertinente de remettre en ligne cette émission. Vous la trouverez derrière ce lien <1986 : Le tabou de l’inceste – Archive INA>

Le début est remarquable et saisissant.

Trois femmes victimes apportent leurs témoignages : deux de manière anonyme et une Eva Thomas, l’auteur du livre paru en 1986 : « Le viol du silence » à visage découvert.

La première femme qui témoigne est la mère d’une fille qui a dénoncé son mari à la gendarmerie dès qu’elle a su qu’il avait violé une de leurs filles. Ce mari a été en détention provisoire, mais la procédure judiciaire s’est achevée par un non lieu. Elle explique qu’après cela, sa fille et elle-même ont été ostracisées par leurs voisins comme par leur belle famille. Les voisins qui lui ont parlé, lui ont reproché d’avoir dénoncé son mari à la justice. Ils expliquaient qu’ils auraient compris qu’elle divorce, mais que l’affaire reste discrète.

Il ne fallait pas salir la famille et la justice ne savait pas condamner !
C’est ainsi qu’on réagissait en 1986 !
J’espère que nous n’en sommes plus là.

A cette époque cette femme devait tout porter, puisqu’il lui a fallu trouver un emploi, car elle était femme au foyer et en outre elle était rejetée par la société, car on l’accusait d’avoir causé un trouble. Alors que nous étions en présence d’un criminel et d’un crime. Enfin, à l’époque ce n’était pas aussi clair, l’avocate qui avait été invitée sur le plateau rapportait que la plupart des affaires se traitait devant la justice correctionnelle qui juge des délits et qu’elle n’avait plaidé qu’une affaire aux Assises qui est le tribunal des crimes.

Nous sommes là en présence d’« un système d’impunité des agresseurs » comme le révélait le magistrat Édouard Durand que je citais dans le mot du jour de ce lundi.

La seconde femme anonyme a raconté une autre histoire, mais avec la même conséquence qui a été que ce fut elle qui a été condamnée par sa famille. Elle avait été violée par son frère. Les parents avaient recueilli l’enfant et s’était empressé de trouver un mari pour leur fille qui reconnut l’enfant. Le frère continuait à être reçu comme un prince dans sa famille, alors que la fille était le « mouton noir ».

On jugeait la fille, l’enfant coupable d’avoir provoqué la libido du garçon.
C’est ce qu’on appelle la culture du viol.
Une inversion perverse de la responsabilité.

Puis ce fut Eva Thomas qui témoigna avec beaucoup de dignité et de sensibilité du viol subi vers 15 ans par son père. Elle dit :

« J’ai choisi de témoigner à visage découvert parce que j’aimerais sortir de la honte. »

Elle raconta que c’est par l’écriture qu’elle arriva à se libérer, à pardonner et à retrouver une relation apaisée avec ses parents et son père.

Contrairement aux deux autres victimes, son père lui demanda pardon et reconnut le mal qu’il lui avait fait.

Elle raconta aussi sa sidération et son incompréhension devant l’acte qu’elle avait subi. Elle ne comprenait pas, n’avait pas de mots au moment où cela s’est passé pour dire la chose. Et elle n’osait pas alors le dire à sa mère, elle vivait dans la crainte que le fait de le dire, tuerait sa mère.

Et elle s’est sentie coupable, coupable de ne pas avoir crié, ne pas s’être débattu.

Elle a ajouté cependant que depuis qu’elle avait approfondi ce sujet, elle se rendait compte que tous les enfants ont dit la même chose : la surprise et l’incrédulité les paralysaient.

Elle a créé à l’automne 1985, à Grenoble, une association : « SOS inceste ».

Dans la suite de l’émission, plusieurs spécialistes sont intervenus

Lumineux, quand l’ethno-psychanalyste Tobie Nathan explique le tabou de l’inceste, sa transgression et le mythe qui y est rattaché.

Précis et rigoureux, quand le juge Bernard Leroy donne des chiffres et expliquent les limites de la justice sur les affaires d’inceste qui sont portées auprès d’elle.

Vindicative, lorsque l’avocate associée de Gisèle Halimi, Maître Dominique Locquet se révolte contre le laxisme de la justice sur ces affaires dans les années 80.

Et puis il y eut des médecins dont le docteur Gilbert Tordjman qui ont tenu des propos hallucinants, inécoutables avec notre sensibilité d’aujourd’hui. ; C’étaient des hommes évidemment.

Ils tentaient d’expliquer ou plutôt ils affirmaient du haut de leur science qu’il y avait plusieurs types d’inceste : le brutal, le violent condamnable et puis une autre forme d’inceste, d’amour, d’échanges, d’initiation… Ou encore expliquant que des relations inabouties entre les parents conduisaient le père à aller chercher du côté de la fille. Des fadaises, s’il ne s’agissait de monstruosités…

Et puis des téléspectateurs ont appelé pour dire qu’ils vivaient une relation incestueuse épanouie et heureuse des deux côtés. On entend : « Je suis amoureux de ma fille adoptive. Pourquoi semez-vous la zizanie dans les familles ». Un autre assume aimer caresser sa fille de 10 ans. Un troisième témoigne qu’il a des relations quotidiennes avec sa fille de 13 ans.

Eva Thomas après avoir secoué plusieurs fois la tête, digne, émue, les yeux un peu rougis a alors dit simplement.

« Je pense qu’entre un parent et un enfant, il n’y a pas d’inceste heureux »

Et elle ajouté, au moins pour l’enfant, il n’y a pas d’inceste heureux.

C’était un autre temps.
C’est de là que nous venons.

Eva Thomas a écrit un autre livre, publié en 1992, « le sang des mots ».

Elle l’a écrit sur le choc d’une victime d’inceste qui a été condamnée par la justice, parce qu’elle avait rendu public l’inceste alors que les faits étaient prescrits. Elle a été condamnée pour diffamation. La justice n’a pas contesté l’inceste, mais interdit d’en parler. Le criminel ne pouvait plus être jugé, il fallait même empêcher qu’il fût embêté par des souvenirs déplaisants.
C’est une décision de justice de 1989.
Quelle honte !

Plus récemment, en 2017, l’Obs a interviewé Eva Thomas, à l’âge de 75 ans : <Eva Thomas : celle qui en 1986 a brisé le silence sur l’inceste>

L’obs rappelle combien son témoignage fut retentissant et constitue une des étapes qui a fait bouger les lignes.

A 75 ans elle avoue

« J’avais l’impression de me jeter dans le vide »

Elle explique qu’elle voulait à tout prix rompre le silence, s’attaquer à « l’attitude hypocrite et lâche de la société face à l’inceste ».

Anne-Claude Ambroise-Rendu, auteure de « Histoire de la pédophilie » (éd. Fayard, 2014) explique :

« La télévision, comme média de masse, a été un puissant vecteur de ce changement sociétal. Il a permis de voir et d’entendre ces victimes. Il offre la possibilité de l’empathie, de l’émotion et de l’identification. A ce moment, le visage d’Eva Thomas, en plan serré sur Antenne 2, se suffit à lui-même. »

Elle parle de sa solitude, de l’incompréhension manifestée par les médecins dont certains lui ont même rétorqué qu’il n’y avait rien de grave à coucher avec son père.

Elle reconnait que le fait que sont père reconnut sur le tard son acte détestable l’a aidé :

« Son ancien compagnon, le père de sa fille unique, a été le premier homme auprès de qui elle s’est confiée. C’est lui qui l’a convaincue d’écrire une lettre à son père. Alors qu’elle entamait l’écriture de son livre, ce dernier a reconnu les faits et lui a demandé pardon – « une chance incroyable », précise-t-elle. Il a lu son livre, aussi.

Il m’a dit que jamais il n’avait imaginé que ça provoquerait de tels dégâts sur ma vie. »

Elle raconte que de nombreuses femmes lui ont écrit pour la remercier d’avoir ouvert la voie. Ces multiples échanges lui ont également permis de comprendre l’ampleur considérable de ce désastre.

Dans son village natal, il y avait deux camps ceux qui trouvaient qu’elle était une héroïne et les autres qui trouvaient que c’était un scandale : « on n’attaque jamais ses parents. ».

Elle raconte alors son parcours dans son association et d’autres interventions :

« La libération de la parole qui éclate dans les années 1980 est euphorisante. […] Ça a été une espèce de jubilation collective dans les groupes de parole. […] C’était joyeux, au point de désarçonner un journaliste venu en reportage dans le local associatif. . […] On se vivait comme des guerrières, des combattantes. […] C’était extraordinaire de voir à quel point on était heureuses de se retrouver face à quelqu’un qui nous comprenait puisqu’on avait vécu les mêmes trajets, on était passées par les mêmes chemins.

C’était très rassurant quand on en parlait ensemble parce que tout à coup, à force d’entendre les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes itinéraires, la façon dont on s’était battues chacune de notre côté, il y avait une forme de normalité qui ressortait.

Nous, qui nous étions fait jeter avec l’idée qu’on était un peu folles, hystériques, réalisions qu’on avait eu des réflexes normaux, en réaction à un traumatisme. »

Elle revient aussi sur la relation avec ses parents après :

« Jusqu’à leur décès, au début des années 2000, Eva Thomas a entretenu une relation apaisée avec ses parents, une fois le pardon accepté.

A partir du moment où tout était clair, où tout avait été dit, je me suis réconciliée avec eux. Régulièrement, je suis allée passer des vacances chez eux. J’étais heureuse d’être avec mes parents. […]

On peut vivre avec cette cicatrice-là comme avec une autre. »

On peut parler de résilience.
Mais combien ce chemin fut difficile.

Et si nous sommes en progrès, nous ne sommes pas encore au bout de ce combat : « Une relation sexuelle avec un enfant n’est jamais négociable. Jamais, Jamais !»

<1527>

Mardi 16 février 2021

« On parle beaucoup de « libération de la parole », mais il s’agit surtout d’«une histoire d’écoute ». »
Geneviève Fraisse

<Geneviève Fraisse> est philosophe de la pensée féministe qui a écrit de nombreux ouvrages sur les femmes.

Elle était, ce lundi, l’invitée d’Augustin Trapenard dans Boomerang du <15 février 2021>

Augustin Trapenard la présente ainsi :

« Philosophe et historienne de la pensée féministe, observatrice avisée des évolutions de notre société, elle pointe, interroge et défait les fausses évidences depuis plus de quarante ans. […]

Philosophe avant-gardiste, cela fait plus de 40 ans qu’elle interroge des sujets qui font aujourd’hui irruption dans le débat public. À travers son étude minutieuse de la différence entre les sexes, de l’égalité démocratique et des logiques d’émancipation féminine, sa pensée subversive et constamment en mouvement nous invite à penser le monde autrement. »

Hier, j’avais parlé de la libération de la parole, mais Geneviève Fraisse dit très justement que le problème essentiel qui s’est posé dans notre humanité, n’est pas la libération de la parole, car souvent les enfants ont cherché des adultes pour parler. Non !  le problème essentiel est celui de l’écoute, l’acceptation d’entendre ce que la victime a à révéler et en tirer toutes les conséquences.

Elle a dit :

« Aujourd’hui, on a débouché les oreilles. On parle beaucoup de « libération de la parole », mais il s’agit surtout d’ «une histoire d’écoute ». »

Il faut regarder l’émission qui a été mise en ligne par l’INA : « Dossiers de l’écran du 2 septembre 1986 » dans laquelle la télévision avait enfin accepté de parler de l’inceste et donner la parole à trois victimes. C’est bouleversant et remarquablement instructif.

Et face à la parole de ces femmes, il faut aussi entendre certains des invités, des hommes médecins qui tiennent des propos ahurissants. Particulièrement le docteur Gilbert Tordjman, sexologue qui apparaissait souvent à la télévision dans les années 1970. En 2002, il sera accusé d’abus sexuels sur certaines de ses patientes et mis en examen pour viol. Il ne sera pas jugé car il décédera d’un cancer avant le procès.

Mais, je reviendrai sur cette émission et notamment j’évoquerai Eva Thomas qui osa parler de l’inceste à visage découvert et su dire des paroles précieuses et  justes.

Geneviève Fraisse a aussi évoqué l’ambigüité du mot consentement, dont un des sens est de se soumettre : « J’y consens. ». Ce consentement peut être comme une défaite, un renoncement. On peut consentir à se rendre.

Elle préfère un autre mot qui est synonyme de l’autre sens de consentement et qui ne présente pas la même ambigüité. Quand on parle de l’échange de consentement. Pour ce sens il existe le mot « accord ».

Le mot « accord » s’entend comme l’échange de consentement de deux égaux qui discutent :

« Le mot « consentement » est mauvais. Il porte en lui l’ambiguïté, car il peut être unilatéral ! Je pense qu’il faudrait lui préférer le mot « accord ». ».

<1526>

Lundi 15 février 2021

« Une relation sexuelle avec un enfant n’est jamais négociable. Jamais, Jamais !»
Marie-Pierre Porchy, ancienne juge des enfants

Sidération !

Sidération devant les chiffres.
10% des adultes disent avoir été victimes de viol ou d’agression sexuelle dans l’enfance.

Le collectif féministe contre le viol a élaboré une autre statistique, sur l’ensemble des agressions qui lui sont rapportées chaque année, 30% dénoncent des violences qui ont eu lieu avant les 11 ans de la victime.

Autrement dit : 1 enfant sur 10 est victime de violences sexuelles.

Quand vous êtes devant une classe de 30 enfants, en moyenne il y a 3 victimes.

78% des victimes sont du sexe féminin, ce qui veut dire que pour les filles c’est 1 fille sur 6 qui est victime.

Ces chiffres très sérieux ont été donnés lors de l’émission <les matins de France Culture du 19 janvier 2021> et aussi la Grande Librairie du 13 janvier 2021 dont l’intégralité de l’émission n’est plus en ligne au moment où j’écris mais dont vous trouverez un extrait derrière ce lien < L’inceste, la fin du silence ?>

Ces émissions ont fait suite à la sortie du livre de Camilla Kouchner « La Familia grande » dans lequel, elle dénonçait les agissements de son beau-père, c’est-à-dire le second mari de sa mère, Evelyne Pisier, Olivier Duhamel.

L’invité des Matins de France Culture, Édouard Durand, magistrat, membre du conseil scientifique de l’Observatoire national de l’enfance en danger et ancien membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a confirmé ces chiffres et ajouté

« Ce que l’on sait, c’est que le nombre de victimes de violence sexuelle, dont 60 % d’enfants, en France est effarant. […]  Et que le nombre de condamnation est extrêmement modeste. Et que ce nombre de condamnation a tendance à diminuer. Cela constitue, pour nous au Haut Conseil à l’Égalité, un système d’impunité des agresseurs. »

Le Figaro en se basant sur une étude de l’INED annonce des chiffres encore plus catastrophiques.

L’UNICEF analyse le phénomène sur la planète entière.

Il est difficile de croire ces chiffres.

Pourtant depuis la publication du livre, qui a été comme un électrochoc, des paroles se sont libérées. Et parmi celles et ceux qu’on connaît, il y en eut qui ont dit « moi aussi ».

Révélant ainsi plus justement la part de l’iceberg qui était caché à notre vue.

Et souvent, elles ou ils avaient parlé mais on ne les a pas cru.

On n’a pas cru à la parole des enfants. Mais comme le rapporte Edouard Durand, nous savons maintenant qu’il y a tant de crimes impunis dans ce domaine, que c’est en n’écoutant pas la parole des enfants, en ne la prenant pas en compte que le risque de commettre l’injustice est le plus élevé.

Indécence !

J’ai lu de ci de là et je me suis même disputé sur les réseaux sociaux avec des adeptes de cette thèse que Camilla Kouchner aurait écrit ce livre à un moment où les faits sont prescrits uniquement pour gagner de l’argent. Parce qu’étant donné les familles concernées, la réputation de l’accusé et l’emballement médiatique, le livre se vendrait très bien.

François Busnel a interviewé Camilla Kouchner, dans l’émission précitée et dont il existe un extrait de l’entretien <Ici>. Cet échange montre, si cela était nécessaire, la souffrance et la déchirure que l’inceste a constitué pour la fratrie et pour toute la famille.

Bien sûr, le fait que le père de la victime soit Bernard Kouchner, que l’accusé soit Olivier Duhamel , que la mère soit Evelyne Pisier et la tante Marie-France Pisier ne peut qu’avoir un écho médiatique et assurer une promotion du livre.

Mais comme le mouvement qui l’a suivi le montre, c’est parce que Camilla Kouchner a accepté ou plutôt a senti la nécessité de mettre cette affaire sur la place publique, qu’il a été possible de consacrer autant de temps à ce qu’Edouard Durand appelle « un crime généalogique » et que tant d’autres victimes ont cru possible de dévoiler leur vérité et rendre d’autant plus crédible à nos yeux l’ampleur de ce crime fait à l’enfance, à l’enfant qui est une personne vulnérable.

Et puis Guillaume Erner pose la bonne question :

« Si ce genre de livre existe, c’est parce que la justice ne passe pas comme elle devrait passer ?  »

La réponse du magistrat est sans nuance :

« Oui, bien sûr. Le Haut conseil à l’égalité, et particulièrement la Commission violences alerte les pouvoirs publics sur la nécessité de modifier la loi pour que les enfants soient mieux protégés contre les violences sexuelles et contre toutes les formes de violences.

Et que particulièrement la procédure judiciaire parvienne à mieux prendre en compte la souffrance des enfants pour interrompre le cycle de la violence. »

Colère !

Colère contre Alain Finkielkraut et tous ses semblables qui osent évoquer dans cette affaire d’inceste la question du consentement.

Il a beau avoir condamné l’acte d’Olivier Duhamel, il n’avait pas de «consentement» ou de «réciprocité» à évoquer.

Il s’agit d’autorité, d’emprise il ne peut être question de consentement.

C’est justement cette confusion, dans laquelle on prétend que dans une telle situation il est possible d’aller chercher le consentement de l’enfant, qu’il y a l’acceptation de l’inacceptable.

Dans la deuxième partie de la Grande Librairie du 13 janvier dont vous pouvez voir <ici> un extrait déjà cité, François Busnel avait invité :

  • Muriel Salmona qui est la présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie et qui a publié « Livre noir des violences sexuelles », aux éditions Dunod.
  • Marie-Pierre Porchy qui a été juge des enfants et qui est aujourd’hui retraitée. Elle avait publié en 2003, « Les silences de la loi »

Et aussi le philosophe Marc Crépon auteur de « La société à l’épreuve des affaires de mœurs. ».

Pour Marie-Pierre Porchy, dans un inceste : « Le consentement d’un enfant cela n’existe pas »

Et elle précise que judiciairement :

« Tout reste régi par une Loi qui oblige à démontrer, « violence, menace contrainte surprise ».

Ce qui a pour conséquence, en pratique, le plus souvent d’obliger l’enfant à démontrer le non consentement.

Or elle pose cette règle avec laquelle pour ma part je suis totalement en accord :

« Une relation sexuelle avec un enfant n’est jamais négociable. Jamais, Jamais ! »

Le père d’Albert Camus disait :  « Un homme ça s’empêche »

Dans le journal du dimanche la même Marie-Pierre Porchy dit :

« La loi demande à l’enfant victime d’inceste en quoi il était contraint, alors qu’il exécute ce qu’on lui demande simplement parce que c’est un enfant. Il ne dit ni oui ni non, mais il monte dans la chambre… Il faut éliminer cette notion de consentement pour que les enfants puissent se réparer dans le cadre de l’action judiciaire. L’agresseur, quand il reconnaît les faits, rejette en général la responsabilité sur la victime, qui se sent coupable de n’avoir pas dit non. Cette dynamique judiciaire perverse vient anéantir tout travail de reconstruction psychologique. Il faut tout revoir dans la loi, pas seulement un petit article sur les viols, et faire évoluer nos pratiques. »

Et je finirai pour ce premier mot du jour consacré au crime générationnel par l’incompréhension de l’auteure des « silences de la Loi » exprimée dans l’émission de la Grande Librairie

« Je ne comprends pas qu’aujourd’hui on ne peut pas arriver à écrire [dans la Loi] : une relation sexuelle avec un enfant est puni de … »

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