Quand on se penche sur ce crime et qu’on ouvre les oreilles et les yeux, on est submergé par les témoignages. Leur nombre, les drames, la souffrance.
Non, il n’y a pas d’inceste heureux pour les enfants.
Le milieu familial qui devrait être celui de la protection, du refuge peut devenir celui du mal absolu. Françoise Dolto disait qu’on se retrouvait alors comme
« un œuf qui a perdu sa coquille »
Ce crime est perpétré à <96%> par des hommes, le genre mâle d’homo sapiens.
Mathilde Brasilier quand elle a pu enfin parler, c’était trop tard pour porter plainte.
Elle a écrit un livre « Il y avait le jour, il y avait la nuit, il y avait l’inceste. » paru en août 2019.
Elle raconte simplement l’histoire dans <France dimanche>
«De mon père, j’entendais souvent : « C’est un homme brillant, il a eu le prix de Rome » [décerné à la suite d’un concours dans différentes disciplines : architecture, peinture, sculpture, gravure et musique, ndlr].
Il était un architecte de renom.
Ma mère était sculptrice. Elle représentait l’image de la bourgeoisie, et lui, de l’aristocratie. Elle possédait de l’argent, lui, l’intelligence et la culture. Et nous habitions Saint-Germain-des-Prés.
Enfant, je ressentais l’aura de mon père. Il était souvent absent la semaine à cause de ses cours aux Beaux-Arts et de ses nombreux voyages.
Le week-end, il s’occupait de mon frère Fabien et de moi. Il nous emmenait voir des expositions, visiter des monuments historiques, la culture constituant une valeur éducative très importante pour lui.
Les premiers abus ont débuté lorsque j’avais 5 ans.
Souvent, ils avaient lieu dans l’agence d’architecture de notre père, située à une rue de l’appartement familial.
Au départ, cet endroit était un superbe terrain de jeu pour nous, car c’était un ancien théâtre sur deux niveaux avec un sous-sol, dans lequel nous construisions des cabanes.
Mais c’était aussi un piège…
Lorsqu’il fermait la trappe phonique du sous-sol, plus personne ne pouvait nous entendre.
Son visage changeait. Son regard devenait terrifiant, il se muait en prédateur.
Ça se passait aussi dans ma chambre, la nuit. C’est à ce moment-là que j’ai développé une insomnie chronique. Alors il utilisait de l’éther pour nous endormir et mieux accomplir son forfait.
Pour se justifier, il nous disait qu’il nous aimait plus que les autres parents. Et il nous avait choisis parce qu’on était mieux que les autres enfants.
Comme si c’était une chance.
Durant cinq ans, j’ai essayé d’attirer l’attention, notamment de notre médecin de famille, à travers mes troubles du sommeil. Mais il a réglé le problème en me prescrivant des injections de Valium.
A l’époque, dans les années 70, on parlait peu d’inceste, et encore moins au sujet des familles bourgeoises, bien sous tout rapport.
A l’âge de 10 ans, les abus ont cessé après un séjour à la montagne, durant lequel mon frère et moi avons réussi à lui échapper.
Après ça, il a fait une dépression et a été interné. Il n’a plus jamais recommencé.
Et moi, j’ai oublié… pour un temps.
Le 6 mars 1985, Fabien, mon frère, mon alter ego, s’est suicidé. Il s’est jeté du haut de Beaubourg. Il avait 24 ans.
C’était un acte fort et réfléchi, car lui, hélas, n’avait pas oublié ce que nous avions vécu. Mais il ne me l’a jamais rappelé, pour ne pas me faire souffrir.
Ma famille a prétendu qu’il s’agissait d’un accident, qu’il aurait été poussé par quelqu’un. Un suicide, ça faisait tache dans notre milieu social. Il n’y a donc pas eu de cérémonie ni de pierre tombale.
J’ai compris son mal-être quinze ans plus tard, après une séance chez une thérapeute. J’avais consulté Catherine Dolto pour un retard de langage que présentait mon fils, et elle m’a proposé de me suivre également.
Un jour, à 40 ans, la boîte de Pandore s’est ouverte, et tout m’est revenu en mémoire, comme l’a aussi décrit et vécu Flavie Flament.
Toutes les scènes d’agression me sont apparues comme des photos. A ce moment-là, j’étais dans le métro, les portes se sont fermées, et j’ai éprouvé une très grosse angoisse.
Quand j’en ai parlé à ma mère, j’ai réalisé qu’elle était elle-même sous emprise. Elle n’a pas su. Elle était probablement dans le déni.
En 2005, j’ai eu mon père au téléphone. On a beaucoup parlé, et il a reconnu ce qu’il avait fait, il ressentait de la culpabilité.
Il s’est suicidé le lendemain…
J’aimerais aujourd’hui que les crimes sexuels sur enfant (en deçà de 15 ans) soient imprescriptibles, puisque l’amnésie traumatique va être inscrite dans le Code pénal.
C’est une nécessité pour les victimes. »
Il faut aussi regarder ce documentaire de France Télévision dans lequel elle intervient parmi d’autres : <Enfance Abusée>
C’est bouleversant.
Le plus souvent le crime s’enfonce dans le déni et même les mères consentent à l’emprise et se taisent.
Les familles fréquemment protègent l’agresseur et rejette la victime qui parle.
C’est inacceptable. Il faut que cela cesse.
Mathilde Brasilier s’exprime aussi sur ce <blog de mediapart>
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