Le 13 octobre 2017, j’avais poussé l’égocentrisme jusqu’à écrire comme mot du jour « un anniversaire » et à disserter sur cet évènement annuel le jour de mes 59 ans. Mais mon mot du jour n’enflamma pas les réseaux sociaux.
En revanche, le 13 octobre 2017 fut le jour de naissance du hashtag « balance ton porc », ce qui s’écrit sur les réseaux sociaux de la manière suivante « #balancetonporc » qui lui parvint à cette fin.
C’est la journaliste Sandra Muller qui l’a créé sur twitter. Avec #balancetonporc, elle souhaitait encourager les femmes victimes de harcèlement sexuel à dénoncer leur agresseur.
Mais pour inaugurer ce nouveau concept, il fallait qu’elle en désigne un.
Et c’est ainsi qu’il y eut un premier porc sur les réseaux français.
L’hebdomadaire « Le Point » s’est intéressé à ce « phacochère domestique » et a publié un article « L’édifiante histoire du premier « porc » »
En effet, ce premier porc possède un nom social et patronymique : « Brion » et un prénom « Eric »
Je vous propose dans ce mot du jour de vous intéresser à ce porc et même, peut être, avoir de la compassion pour lui.
Nous sommes donc le 13 octobre et tous les médias parlent de l’affaire Weinstein et de ses suites.
On parle de la libération de la parole des femmes et des comportements inacceptables des hommes à l’égard des femmes, dans tous les milieux sociaux et professionnels.
Beaucoup disent, à juste titre, qu’il faut que ça cesse !
Dans ce contexte, la journaliste Sandra Muller prend une initiative sur twitter :
- Elle invente le hashtag « balance ton porc »
- Désigne son porc : Eric Brion
- Et raconte ce que ce porc a fait : il lui a dit un soir, alors qu’il était éméché : « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. ». Ce qui n’est ni élégant, ni fin, ni malin, ni bienveillant, ni rien …seulement très vulgaire.
- Puis toujours avec ce hashtag « #balancetonporc » elle invite celles qui la lise de faire de même : « toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends »
Cette invitation aura un grand succès, la parole sera libérée, totalement libre, follement libre.
Le mot du jour du 17 novembre 2017 aura pour exergue : « C’est l’époque qui veut ça. ». Cette Réflexion est la réponse d’une journaliste qui avait réclamé avec insistance à Nicolas Bedos de lui donner le nom d’un homme ayant dérapé un jour avec une femme, devant le refus et même l’agacement de ce dernier.
Le porc en question, le 13 octobre, est en train d’accrocher guirlandes et ballons pour l’anniversaire de sa fille cadette quand un ami lui signale le tweet. Le Point raconte alors :
« Tout à son joyeux événement familial, Brion ne prête au départ à l’affaire qu’une attention distraite… Puis, les heures passant, il découvre peu à peu, abasourdi, les innombrables reprises sur Twitter, sur Facebook, les insultes qui commencent à pleuvoir et il mesure enfin, avec effroi, la force inouïe de l’emballement viral. La machine est en route, impossible à stopper. Il contacte Sandra Muller, sans succès. Peine à se souvenir de la date exacte du cocktail cannois durant lequel, ivre, il lui tint ces propos. « Je sais seulement que nous avions ensuite échangé sur Messenger et que, désolé, je lui avais présenté mes excuses », dit-il dans le café où il a accepté, après mille réticences, de nous rencontrer, exigeant que la conversation soit enregistrée. « Cela va sans doute passer, mais je suis pour le moment dans un état de grande paranoïa. Je ne veux pas que mes phrases soient détournées, transformées. »
Et le Point décrit le déchainement contre cet homme qui un jour, ivre, a été grossier et stupide. Il lui donne la parole :
« Durant ces quelques semaines où cette affaire a tourné en boucle partout, seuls deux médias ont pris la peine de m’appeler pour avoir ma version des faits. Il était pourtant facile de vérifier certaines informations, comme le fait que je n’avais jamais travaillé avec Sandra Muller. Certains ont été prudents, mais beaucoup ont donné mon nom ou m’ont désigné par mes anciennes fonctions, ce qui me rend aisément reconnaissable. Quoi que je fasse, la « tache » est là, donc… » Des photos de lui grimé en porc circulent, Éric Brion voit commenter son physique ou ses capacités sexuelles dans des tweets ou des posts Facebook qui n’ont pas grand-chose à envier, sur l’échelle de la vulgarité, à ses propres propos. ll s’astreint, malgré la colère, à ne pas répondre, à ne pas entrer dans la mêlée délirante des réseaux sociaux, et ne publie qu’un droit de réponse, le 16 novembre, dans L’Obs, qui l’avait à tort désigné un mois plus tôt comme l’« ancien patron » de Sandra Muller. « De toute façon, quoi que je dise, cela allait se retourner contre moi. Et, pour ma famille, je ne voulais pas m’exposer plus encore. »
À poil devant le monde entier, devant ses proches, surtout, qui ont brutalement accès à cette part de lui-même, sa sexualité, qu’on ne dévoile évidemment jamais en famille, il n’ose bouger de peur de focaliser à nouveau l’attention sur lui et assiste impuissant à son lynchage virtuel. Il est nu devant sa sœur. Ses vieux parents. Ses deux filles, qu’il tente comme il peut de préserver de cette violence symbolique terrible que peut constituer l’exposition aux détails d’une sexualité paternelle. « J’ai tout de suite pensé à ses filles, dit son amie la productrice Alexia Laroche-Joubert. Je connais suffisamment de cas autour de moi pour savoir que le harcèlement sexuel est une réalité et pour approuver que la parole des femmes se libère. Mais pas comme ça. Les propos d’Éric sont d’une incroyable goujaterie, mais Sandra Muller et lui n’avaient aucun lien de dépendance professionnelle. Et puis, dans un tribunal, on peut se défendre, mais Twitter, ce sont des armées invisibles contre lesquelles on ne peut rien. »
Cette campagne contre lui va avoir des conséquences immédiates :
« À l’automne 2017, après une carrière à France Télévisions puis au PMU et à la tête de la chaîne Equidia, Éric Brion était consultant indépendant pour plusieurs médias, en même temps qu’en recherche d’emploi. À partir du 13 octobre, une à une, les trois missions qu’il menait ont été annulées ou non reconduites : il n’a plus de travail. Il était membre d’un jury : son nom en a été radié. Peu à peu, tous les rendez-vous programmés dans le cadre de sa recherche d’emploi ont été, les uns après les autres, annulés ou reportés sous divers prétextes. Il a 51 ans et son agenda est vide. Il dort mal. Ne sait plus comment envisager son avenir professionnel. Se mord les lèvres en évoquant la manière dont ses vieux parents ont été touchés par cette affaire. « Je suis bien entouré, j’ai eu la chance de pouvoir partir à l’étranger pour prendre du recul, mais songe-t-on à l’effet que peut produire ce genre de déferlement sur une personnalité fragile ? Je me suis beaucoup interrogé sur moi. »
Le journaliste du Point précise deux éléments, essentiels :
- Éric Brion n’a jamais travaillé avec Sandra Muller, ce qui rend le rapprochement de ses propos avec l’affaire Weinstein littéralement hors sujet.
- Et il n’a pas réitéré ses avances, stoppant net aussitôt que Sandra Muller lui signifia son refus, contexte qu’elle-même ne nie pas et qui rend là encore l’idée d’un « harcèlement » sujet à caution. Pourtant, sur les sites d’information de la plupart des grands médias qui reprennent le tweet, ces précisions utiles sont passées à la trappe. « Cela fait vingt-cinq ans que je travaille dans les médias mais je ne suis pas journaliste, et loin de moi l’idée de donner des leçons d’éthique journalistique ni surtout de me faire passer pour une victime. Mais j’ai tout de même été surpris…
Sandra Muller a été adoubée « silent breaker » (briseuse de silence) par Time en décembre, reçue par la ministre Marlène Schiappa, Sandra Muller, dont le mouvement a pris une ampleur considérable et qui est en train de déposer les statuts d’une association d’aide aux victimes, justifie a posteriori le fait d’avoir donné le nom d’Éric Brion par le nombre de témoignages similaires le concernant reçus par la suite.
« Si je ne l’avais pas fait, personne n’aurait osé le signaler, s’emporte-t-elle. J’ai levé un lièvre. »
Lever un lièvre, c’est un terme de chasse, non de justice.
Un combat peut être juste et pourtant se pervertir dans des batailles incertaines et nauséabondes qui le salissent tout en faisant de grands dégâts et en semant, à la fin, l’injustice.
Un des livres de chevet d’Eric Brion est « La tâche » de Philip Roth dont Marc, dans un message privé, m’a dit le plus grand bien après le mot du jour qui évoquait ce grand auteur américain.
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Sandra Muller serait-elle la version moderne de Pandore?