Vendredi 26 janvier 2018

« We should all be feminists Nous devrions tous être féministes ! »
Chimamanda Ngozi Adichie

Hier nous parlions de lynchage. Pour lutter contre les violences faites aux femmes, des personnes égarées ont agi de manière désordonnée et violente engendrant d’autres injustices.

Mais ces excès, ces dévoiements ne changent rien au fond : une terrible violence s’exerce à l’égard du féminin, depuis des siècles, dans toutes les régions et cultures du monde, dans tous les milieux sociaux et professionnels.

Ce sujet de l’injustice et de violence à l’égard des femmes est omniprésent dans mes mots du jour.

J’ai consacré d’abord, début 2016 une série de cinq mots du jour à <La violence faite aux femmes dans l’espace public> à la suite de la vague d’agressions délinquantes pour voler mais aussi à caractère sexuel contre des femmes qui avait été perpétrée dans la ville de Cologne le 31 décembre 2015.

Bien des fois, par la suite je suis revenu sur cette fracture fondamentale de nos sociétés que beaucoup peinent à admettre, à voir et à comprendre.

C’est d’abord dans les mots.

<Dans une vidéo d’une minute Catherine Arditi le montre de manière évidente>

Il suffit de comparer les substantifs dans leur version masculine et dans leur version féminine :

  • Un courtisan, c’est un homme que l’on voit auprès du roi. Une courtisane ? C’est une prostituée.
  • Un entraîneur est valorisé, une entraineuse ? C’est une prostituée.
  • Un professionnel, c’est un homme qui connaît son métier. Une professionnelle ? C’est une prostituée.
  • Un homme facile, c’est un homme agréable à vivre, une femme facile ? C’est une prostituée.
  • Un homme public, c’est un homme connu, une femme publique ? C’est une prostituée.

Nul ne peut penser que ces différences soient le fruit d’un hasard malencontreux.

Mais si les mots traduisent une oppression, un état de fait, ils peuvent aussi être le remède. Les outils qui dévoilent, qui racontent, qui expliquent et qui font progresser.

C’est l’espoir de Chimamanda Ngozi Adichie qui est une écrivaine nigériane, née en 1977.

<Elle est intervenue dans l’émission La grande Table d’hier>

Dans cette émission elle a donné cette définition du féminisme que je partage :

« C’est permettre à chacun de vivre comme un individu à part entière. C’est élever les petits garçons pour qu’ils deviennent des êtres humains, pas des « vrais hommes » »

<Elle était invitée le même jour dans une émission de France Inter>

Elle était de passage à Paris parce qu’elle a été désignée comme marraine de « La nuit des idées » qui est ce rendez-vous dédié à la pensée contemporaine et au partage international des idées initiée par l’Institut français et qui réunit intellectuels et chercheurs. Cette année, le 25 janvier, la troisième édition était consacrée à « L’imagination au pouvoir ».

<L’express l’a également interviewé>

Parce que cette femme africaine est devenue une icône mondiale du féminisme depuis qu’en décembre 2012 elle a prononcé une conférence TEDx, d’une remarquable consistance qui ressemble un peu pour les femmes au discours que Martin Luther King a prononcé pour les noirs « I have a dream ».

La parole qu’on a retenue de cette conférence est celle que j’ai mise en exergue.

Sur Internet, on apprend qu’elle intervient dans l’album de Beyoncé en 2013 sur le titre Flawless dans lequel une partie de son discours We should all be feminists est utilisé.

Vous trouverez une traduction française de cette conférence derrière ce <Lien>

Et si vous préférez l’écouter en version originale en anglais : We shouls all be feminists. Cette version est sous-titrée en français.

Je n’en tire que quelques extraits, mais je pense qu’il est sage de lire l’intégralité de ce discours :

« Les hommes et les femmes sont différents. Nous avons différentes hormones, différents organes sexuels, différentes capacités biologiques. Les femmes peuvent enfanter, pas les hommes. En tout cas pas encore.

Les hommes ont de la testostérone et sont en général plus forts que les femmes. Il y a un peu plus de femmes que d’hommes dans le monde, environ 52% de la population mondiale sont des femmes. Mais la plupart des positions de pouvoir et prestige sont occupées par des hommes. La défunte lauréate kenyane du prix Nobel de la paix, Wangara Maathai, l’a bien dit de façon simple : « Plus vous allez haut, moins il y a de femmes. » […]

De façon littérale, les hommes dirigent le monde et cela avait du sens il y a 1 000 ans car les êtres humains vivaient alors dans un monde où la force physique était l’attribut le plus important à la survie. Une personne plus forte physiquement avait plus de chances de diriger et les hommes, en général, sont plus forts physiquement. Bien sûr, il y a beaucoup d’exceptions.

Mais nous vivons aujourd’hui dans un monde très différent. La personne ayant le plus de chances de diriger n’est pas la plus forte physiquement ; c’est la plus créative, la plus intelligente, la plus innovante et il n’y a pas d’hormones pour ces attributs. Un homme a autant de chances qu’une femme d’être intelligent, d’être créatif, d’être innovant. Nous avons évolué, mais il semble que nos idées du sexe n’ont pas évolué.

[…]

Je suis en colère. Le sexe tel qu’il fonctionne aujourd’hui est une grave injustice. Nous devrions tous êtes en colère. Ma colère a une longue tradition d’entraîner le changement positif, mais en plus d’être en colère, j’ai aussi espoir. Car je crois profondément en la capacité des êtres humains à s’inventer et se réinventer pour le meilleur.

Le sexe compte partout dans le monde, mais je veux me concentrer sur le Nigeria et sur l’Afrique en général car c’est ce que je connais et c’est là que mon cœur est. Aujourd’hui, j’aimerais demander à ce que nous commencions à rêver et prévoir un monde différent, un monde plus juste, un monde d’hommes et de femmes plus heureux et plus eux-mêmes. Voici comment démarrer : nous devons élever nos filles différemment. Nous devons aussi élever nos fils différemment. Nous faisons beaucoup de tort aux garçons en les élevant ; nous étouffons l’humanité des garçons. Nous définissons la masculinité de façon très étroite, elle devient cette petite cage rigide et nous mettons les garçons dans cette cage. Nous apprenons aux garçons à craindre la peur. Nous apprenons aux garçons à craindre la faiblesse, la vulnérabilité. Nous leur apprenons à cacher qui ils sont vraiment car ils doivent être, comme on le dit au Nigeria, « des hommes durs ! » Au collège, un garçon et une fille, tous deux adolescents, ayant tous deux autant d’argent de poche, sortiraient et on s’attendrait à ce que le garçon paye toujours pour prouver sa masculinité. Et on se demande pourquoi les garçons risquent plus de voler leurs parents.

Et si les garçons et les filles étaient élevés pour ne pas lier l’argent à la masculinité ? Et si l’attitude n’était pas « le garçon doit payer » mais plutôt « celui qui a le plus d’argent doit payer » ? Bien sûr, du fait de cet avantage historique, ce sont surtout des hommes qui auront plus d’argent, mais si nous commençons à élever nos enfants différemment, dans 50 ou 100 ans, les garçons n’auront plus la pression de devoir prouver leur masculinité. De loin la pire chose que nous faisons aux hommes, en leur donnant l’impression de devoir être durs, est de les laisser avec des egos très fragiles. Plus un homme croit devoir être « dur », plus son ego est faible.

Nous faisons encore plus de tort aux filles car nous les élevons pour restaurer l’ego fragile des hommes. Nous apprenons aux filles à se rétrécir, à se diminuer, nous disons aux filles : « Tu peux avoir de l’ambition, mais pas trop. »

« Tu devrais avoir pour objectif de réussir, mais pas trop sinon tu menacerais l’homme. » Si tu es le gagne-pain dans ta relation avec un homme, tu dois prétendre ne pas l’être, surtout en public, sinon tu vas l’émasculer. Et si nous remettions en question le postulat ? Pourquoi le succès d’une femme devrait-il menacer un homme ? Et si nous décidions de nous débarrasser de ce mot ? Je ne crois pas qu’il y ait un mot que j’apprécie moins qu’« émasculation ».

[…]

Au Nigeria, les hommes et les femmes diront — c’est une expression qui m’amuse beaucoup — « Je l’ai fait pour avoir la paix dans mon mariage. » Quand les hommes le disent, il s’agit en général de quelque chose qu’ils ne sont pas censés faire.

Ils le disent parfois à leurs amis, ils le disent à leurs amis d’une façon profondément exaspérée, qui, ultimement, prouve leur masculinité, qu’ils sont nécessaires, aimés. « Ma femme m’a dit de ne pas sortir tous les soirs. Pour la paix dans mon mariage, je ne sors que le week-end. »

Quand une femme dit « Je l’ai fait pour avoir la paix dans mon mariage », elle parle souvent de laisser tomber un emploi, un rêve, une carrière. Nous apprenons aux femmes que dans les relations, les femmes font des compromis. Nous apprenons aux filles à se considérer comme rivales — pas pour un emploi, des accomplissements, ce qui peut être positif, mais pour l’attention des hommes. Nous leur apprenons qu’elles ne peuvent pas être sexuées comme les garçons. Avoir connaissance des copines de nos garçons n’est pas gênant. Mais les copains de nos filles ? Dieu nous en préserve.

[…]

Je veux être respectée dans toute ma féminité parce que je le mérite. Le sexe n’est pas une conversation facile. Pour les hommes et les femmes, aborder le sexe est parfois reçu avec une résistance immédiate.

[…]

Je suis une féministe. Quand j’ai cherché le mot dans le dictionnaire ce jour-là, voici ce que cela disait : « Féministe : une personne qui croit en l’égalité sociale, politique et économique des sexes. » Mon arrière-grand-mère, de ce que j’en ai entendu, était une féministe. Elle a fui la maison de l’homme qu’elle ne voulait pas épouser et a fini par épouser l’homme de son choix. Elle a refusé, protesté, s’est exprimée quand elle se sentait privée d’un accès, d’un terrain, ce genre de choses.

Mon arrière-grand-mère ne connaissait pas le mot « féministe » mais cela ne veut pas dire qu’elle n’en était pas une. Nous devrions être plus nombreux à reconquérir ce mot. Ma propre définition de féministe est : « Un féministe est un homme ou une femme qui dit : « Oui, il y a actuellement un problème avec le sexe et nous devons y remédier. Nous devons faire mieux. » Le meilleur féministe que je connais est mon frère Kene. C’est aussi un homme gentil, beau et adorable et il est très masculin. »

Chimamanda Ngozi Adichie est une femme d’une intelligence rare, d’une humanité irradiante.

Dans l’émission de France Inter elle a dit :

« Aux garçons […] Il faut donner les mots de l’émotion, il faut les autoriser à être vulnérable. »

On a appris aux jeunes garçons : « Sois un homme », ce qui signifie : « Ne pleure pas, ne montre pas ton émotion ».

Alors qu’il faudrait leur apprendre les mots du Père de Camus : « Un homme ça s’empêche ».

Et dans cette expression, l’homme signifie « l’humain », pas seulement les mâles de l’espèce

Chimamanda Ngozi Adichie dispose d’un site internet : https://www.chimamanda.com/

<1005>

2 réflexions au sujet de « Vendredi 26 janvier 2018 »

  • 26 janvier 2018 à 8 h 11 min
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    Pour ne citer que notre culture, Pandore dans la mythologie grecque et Eve dans la Bible sont toutes 2 désignées comme l’origine des malheurs du monde sans compter la tradition chrétienne qui va conférer à la beauté de la femme une dimension démoniaque cause de perdition dans la sensualité et la luxure. Il ne sera pas facile de sortir de ces visions qui présentent tellement d’avantages induits pour les hommes.
    Mais dans le mythe de la virilité, je crois que le summum de la bêtise a été atteint avec l’idéal de la belle mort, c’est à dire la mort au combat

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  • 31 janvier 2018 à 11 h 27 min
    Permalink

    Dans ce fait divers que les journaux continuent à appeler : “Le meurtre de la joggeuse” cette excellente revue de presse sur France Inter du 31 janvier : https://www.franceinter.fr/emissions/la-revue-de-presse/la-revue-de-presse-31-janvier-2018
    Ce n’est pas le meurtre d’une joggeuse, c’est un FEMINICIDE, le meurtre d’une femme par son compagnon !

    On voit ce matin un décalage, entre la manière dont les grands journaux racontent le drame, et ce que ressent une partie de l’opinion publique, parle-t-on d’un fait divers ou d’un nouvel épisode de la mort des femmes.

    Et pour les journaux, c’est le fait divers, l’histoire qui tétanise ou qui passionne avec ce mari, Jonathan qui pleurait sa femme qu’il avait étranglé… et la Dépêche se souvient de Patrick Henry, qui en 1976 se désolait devant les caméras la disparition d’un enfant qu’il avait tué.

    Il y a une esthétique du fait divers, on la lit dans l’Est Républicain et dans le Parisien. Le Mari finit par avouer, il a craqué en garde à vue, le parisien lui accorde déjà son indulgence. “Dans le couple, c’était vraiment le dominé”, puis-je lire. On salue le travail des enquêteurs, “le coup de maître des gendarmes”, dit l’Est républicain… qui raconte aussi le désespoir de Bray…

    C’est très bien fait et souvent bien écrit

    Et en même temps, il manque un mot, que l’on refuse aux lecteurs. Une compréhension politique ou sociologique. Alexia Daval est une parmi les dizaines de femmes tuées par leur conjoint chaque année : 140 selon le site de l’Obs, 127 selon la journaliste Titiou Lecoq qui a remis à jour une liste macabre, celle des victimes de féminicides conjugaux, elle la tient sur le site de Libération…

    Mais justement, sur le site seulement. Les journaux que l’on achète en kiosque, en province comme à Paris, ne parlent pas de cet aspect des choses. On lit le mot féminicide dans l’Est républicain, comme un remords, mais sans article ni statistique pour le soutenir.

    Et du coup, une opinion se mobilise sur les réseaux sociaux, contre la manière dont le fait divers a été raconté, et notamment à la télévision, on s’insurge contre ces phrases qui ont fait d’Alexia Daval une femme qui dominait son mari. Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, ou Laurence Rossignol, l’ancienne ministre “Dans les affaires de violences faites aux femmes il y a toujours un moment où la victime, devient la cause du crime qu’elle a subi…”

    Et le débat est donc sur Twitter, contre les médias… Le débat est sur le web, et vous avez un décalage culturel, politique, générationnel. C’est sur le web que vous retrouverez une enquête glaçante publiée par Libération en juin dernier, 220 femmes tués par leurs maris, ignorées de la société, et sur le web que vous lirez dans l’Obs deux articles, le premier est en colère… “Ce n’est pas un “meurtre de joggeuse” mais un féminicide”…

    A l’automne, quand on pensait encore qu’Alexia Daval avait été tuée en faisant son jogging, les journaux avaient tissé des généralités sur le danger pour les femmes de courir seules…

    Le second résume la mécanique des meurtres de femmes.

    « Elle le quitte, il la tue, scénario typique du féminicide » ; cela raconte la possession et des hommes ordinaires qui disent devant le tribunal qu’ils ont « pété un câble » au moment où ils perdaient le contrôle.

    Le débat sera peut-être demain dans toute la presse, qui a ses rythmes, mais la société comprend plus vite…

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