Depuis l’affaire Weinstein la parole des femmes s’est libérée.
J’en suis, pour ma part, très satisfait.
La violence faite aux femmes reste immense, de petites violences comme des grandes. Et beaucoup d’hommes ne comprennent même pas certaines de ces violences, dans leur esprit il s’agit souvent d’humour ou de légèreté.
Mais je crois que comme dans toute chose, il peut exister des dérapages.
Souvent je ne suis pas très convaincu par le fils Bedos.
Mais pour une fois, j’ai trouvé un article qu’il a publié sur le <Huffington Post> plein d’intelligence et de mesure.
Je vous en donne les principaux éléments :
« Il se trouve qu’avant-hier, je reçois sur Facebook le message d’une journaliste que je connais un peu et qui, par ailleurs, a toute ma sympathie. Elle travaille pour le site d’un célèbre magazine et me demande, sans sourciller, si je n’aurais pas « en magasin quelques infos croustillantes concernant des agressions sexuelles commises dans le milieu du showbiz ». C’est la troisième journaliste à me poser cette question. Je lui réponds que « non, des types lourds, il y en a, oui, des producteurs un peu foireux obligés –croient-ils- de faire miroiter des rôles pour draguer les nanas, oui, à la pelle, sans doute, mais des agressions, des tentatives de viols, que je sache, non, pardon, je suis vraiment navré de ne pouvoir vous rendre service! ». Elle insiste, « Même pas un dérapage? Oh vous avez bien quelques noms… ». Par curiosité, je lui demande ce qu’elle range dans la case « dérapage ». « Je ne sais pas, m’explique-t-elle, vous avez plein de copines actrices, y en a bien une qu’un type connu aurait chauffée de façon insistante, ça va du pelotage de nichons à la grosse main au cul, des gestes déplacés, en boîte, quand vous sortez, des types qui proposent des partouzes… ». Et elle de conclure, comme s’il s’agissait d’un échange d’autocollants dans une cour de récré: « Votre nom ne sera pas cité et je vous revaudrai ça… Réfléchissez, je vous en supplie, un seul nom me suffira ».
Je dois avouer qu’à ce moment-là, j’ai été pris d’un petit vertige, mêlant colère et inquiétude face au monde qu’elle dessinait.
Après cette sollicitation qui le choque, il écrit à la personne qui lui demande un nom
« Chère X, à quoi jouez-vous exactement? S’agit-il pour vous d’un jeu? D’une chasse? Quel est le but? Libérer la parole des victimes d’agressions ou trafiquer du clic pour vos médias malades? Est-ce chipoter sur les vertus d’une parole libérée que de déplorer cette façon de tout mélanger avec une gourmandise obscène, prenant le risque de discréditer un combat salutaire et d’offenser les vraies victimes? Dans le même sac d’indignité: les agressions, les tentatives de viol et les dragues de lourdingues? Confondus: les traquenards de pervers et les soirées libertines, les prédateurs et les machistes? Sommes-nous prêts à salir l’honneur de gens dont le seul tort serait d’être pathétique? Va-t-on judiciariser la nullité et la connerie? Dans votre boîte à « porcs » célèbres, sautant à pieds joints sur le traumatisme des victimes, pourquoi n’iriez-vous pas jusqu’à dénoncer les infidèles notoires (l’infidélité n’est-elle pas ressentie par la personne trompée comme un profond traumatisme)? Et, partant de là, non contents de nourrir une guerre des sexes apparemment fort lucrative, que fait-on des drogués, des acteurs tyranniques et des metteurs en scènes obsessionnels, ceux-là qui vexent leurs équipes, leurs assistants, leurs proches (et –qui sait- leur conjoint)? Et les radins, chère X? C’est minable d’être radin, non? Voulez-vous que je vous dresse la liste de celles et ceux qui se font gifler pour lâcher trois euros alors qu’ils gagnent un max?
Pardonnez ma colère mais je ne supporte plus cette curée moyenâgeuse qui, sous prétexte d’un monde plus sain -plus juste, plus respectueux, plus égalitaire, bref, meilleur- nous monte les uns contre les autres et nous transforme, sinon en gibier, du moins en braconnier de son voisin ».
La journaliste lui répond :
« Après deux heures de silence, elle a fini par me répondre: « En gros, je suis d’accord avec vous. Mais c’est un cycle. C’est l’époque qui veut ça. »
Et Nicolas Bedos de livrer une analyse que je partage :
« Pour les milliers de pisse-froid qui m’intenteraient ce procès, je m’empresse de rappeler que j’applaudis à quatorze mains toutes celles dont la parole libérée a permis de libérer celles de nombreuses victimes anonymes, décourageant peut-être l’assaillant qui sommeille dans la caboche pervertie de petits et grand patrons tapis dans leur bureau. Ces femmes, je les soutiens avec d’autant plus de vigueur que certaines sont des amies et que je sais les supplices qu’elles ont pu endurer. Ni l’argent ni le pouvoir ne permet d’abuser du corps de quiconque sur cette terre. Un monde libre, c’est un monde où les femmes sauront que les hommes sauront qu’en tentant d’abuser d’elles ils seront punis. Un monde libre, c’est ce monde où les femmes devraient pouvoir refuser n’importe quelle proposition graveleuse sans que leur carrière professionnelle puisse en être affectée. C’est un monde où ma petite sœur, mes amies, ma fiancée et toutes les autres pourront se balader dans la tenue de leur choix sans qu’un connard s’arroge le droit de leur parler, de les regarder ou de les toucher comme si elles méritaient d’être traitées comme des jouets.
Un monde libre, c’est AUSSI un monde où on aurait le droit d’exprimer publiquement ses craintes quant aux dérives liberticides que semblent autoriser les combats de société. Il n’y a pas qu’un seul discours, jamais. Ceux qui le prétendent sont des tyrans[…]
Un monde libre, c’est d’abord un monde où un adulte ne cherche pas à se taper un adolescent, certes (quel taré dirait le contraire?), mais c’est aussi un monde où on ne condamne pas les gens sans enquête, sans procès, sur des déclarations balancées par un type vingt ans plus tard sur internet. […] »
Il existe des excès dans tous les domaines, il existe même des excès quand les causes sont justes.
<969>
La journaliste n’a pas tort de dire « c’est l’époque qui veut ça ».
Dans ce contexte, qui doit-on condamner ? La journaliste elle-même ? Le media qui attend des résultats ? Le lecteur ou l’auditeur avide de nouvelles croustillantes, voire dégoûtantes ? Le délateur qui recherche le devant de la scène ? La société qui a permis les débordements…
Espérons qu’il restera toujours des êtres capables de s’insurger contre ces pratiques, quand bien même ce serait ceux qu’on attend pas dans ce rôle.