Je suppose que même celles et ceux qui ne s’intéressent pas au football connaissent ou ont entendu parler de Kylian Mbappé ce jeune footballeur talentueux qui joue actuellement au Paris SG.
Il vient de publier un article sur un site très particulier que je ne fréquente pas : <The Players’ Tribune>.
The Players’ Tribune est une plateforme destinée à l’expression de sportifs professionnels sans l’intermédiaire des médias traditionnels. C’est un ancien joueur de baseball Derek Jeter qui a fondé ce site.
Si je ne vais jamais sur The Players’ Tribune, je suis, en revanche, régulièrement Pascal Boniface qui est le fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Et exprime des avis très pertinent sur la géopolitique mondiale, les tensions internationales et les stratégies des États. Il est aussi l’auteur du livre « Planète football Géopolitique d’un empire » que j’avais cité lors du dernier mot du jour de la série consacrée au football.
Et c’est pascal Boniface qui a attiré mon attention sur l’article du jeune footballeur millionnaire. : « Kylian Mbappé, footballeur citoyen » :
« Kylian Mbappé vient de publier un texte important qui n’a pas été suffisamment remarqué. On reproche aux footballeurs de ne pas s’intéresser aux problèmes de société. Le Français le plus talentueux dans ce sport le fait, et cela ne suscite que peu de commentaires.
On présente souvent les footballeurs comme repliés sur eux-mêmes et leurs privilèges, égoïstes, coupés de la société… Il y a certes de très mauvais exemples d’excès souvent dus à une explosion des revenus et de la notoriété à un très jeune âge. Un jeune footballeur qui connaît le succès a une exposition médiatique sans commune mesure avec des responsables politiques ou figures du milieu culturel qui ont trois fois son âge.
Ce n’est pas toujours facile à gérer, mais notons qu’on est beaucoup plus sévère sur les déviances des sportifs que sur celles d’autres milieux. De nombreux footballeurs s’engagent bénévolement dans de nombreuses causes, généralement en les finançant sur leur propre argent. Beaucoup le font de façon discrète, à l’abri des médias. Il y a toujours la peur d’être instrumentalisé, il faut distinguer dans les multiples propositions, mais beaucoup ont envie de redonner à la société une partie de ce qu’ils en ont reçu. Ils sont fiers et heureux d’être utiles en dehors du terrain. […]
C’est pour cela que l’initiative de Kylian Mbappé va plus loin et qu’il faut la saluer à sa juste mesure. Au moment où les unes des magazines, les débats sur les chaînes d’information permanente se multiplient avec pour point commun l’hostilité aux quartiers, aux banlieues vues comme « territoires ennemis » ou « perdus de la République », il frappe aussi fort que dans les filets adverses en revendiquant sa fierté d’être issu de ces territoires et en insistant sur tout le potentiel positif qu’ils contiennent, y compris sur le plan des valeurs, là où ils sont le plus critiqués. »
Allons donc sur ce site pour lire cette <lettre aux jeunes Kylian>
Il commence sa lettre par cette adresse :
« Aux enfants de Bondy,
Aux enfants d’Île-de-France,
Aux enfants des banlieues,
Je veux vous raconter une histoire. »
Bien sûr il parle de football. Il évoque les jours passés lors d’un stage à Chelsea le grand club londonien ou au Real de Madrid rencontrer Zidane et ses autres expériences de vie dans le football, ayant été repéré par les spécialistes, parce qu’il avait quelques talents et qu’il s’entraînait beaucoup..
Mais le plus important qu’il écrit c’est sur la banlieue, sur les valeurs, sur la vie, sur le côté lumineux de la banlieue :
« Mais en fait, vous n’avez pas besoin d’aimer le football pour écouter cette histoire. Parce que cette histoire n’est vraiment qu’à propos de rêves. À Bondy, dans le 93, dans les banlieues, il n’y a peut-être pas beaucoup d’argent, c’est vrai. Mais nous sommes des rêveurs. Nous sommes nés comme ça, je pense. Peut-être parce que rêver ne coûte pas grand-chose. En fait, c’est gratuit.
Nous vivons là-bas dans un incroyable mélange de différentes cultures – française, africaine, asiatique, arabe, tous les coins du monde.
Les gens en dehors de France parlent toujours des banlieues de façon négative mais quand vous n’êtes pas de là-bas, vous ne pouvez pas comprendre ce que c’est. Les gens parlent de délinquants comme s’ils avaient été inventés là-bas. Mais il y a des délinquants partout dans le monde. Il y a des gens qui galèrent partout dans le monde. La réalité est que quand j’étais petit, j’avais l’habitude de voir certains des gars les plus durs de mon quartier porter les courses de ma grand-mère. Vous ne voyez jamais ce côté-là de notre culture aux infos. Vous entendez toujours parler du mauvais, jamais du bon. »
Il a ce développement sur le fait de serrer la main de tous quand on vient saluer une connaissance qui se trouve dans un groupe :
« Il y a d’ailleurs une règle à Bondy que tout le monde connaît. Tu l’apprends quand tu es jeune. Si tu marches dans la rue et que tu croises un groupe de 15 personnes et tu ne connais qu’une seule de ces personnes, tu as deux options: soit tu les salues d’un signe de la main et tu continues ton chemin, soit tu vas les voir et tu serres la main des 15 personnes.
Si tu vas les voir et que tu ne serres la main que d’une personne, les autres 14 personnes ne t’oublieront jamais. Ils sauront quel genre de personne tu es.
C’est marrant parce que j’ai toujours gardé cette part de Bondy en moi. L’an dernier, par exemple, lors de la cérémonie des FIFA’s Best Awards, j’étais avec mes parents avant le début de la soirée et j’ai vu que José Mourinho était de l’autre côté de la salle. J’avais rencontré José avant mais là il était avec quatre ou cinq amis que je ne connaissais pas. Je me suis revu à Bondy. Je pensais, « Est-ce que je salue Mourinho d’un signe de la main ? Ou je vais le voir ? »
Et bien, je suis allé le voir pour le saluer et lui serrer la main et ensuite, naturellement, j’ai fait la même chose pour chacun de ses amis.
« Bonjour ! » Poignée de mains.
« Bonjour ! » Poignée de mains.
« Bonjour ! » Poignée de mains.
« Bonjour ! » Poignée de mains.
C’était amusant parce qu’on pouvait voir leur surprise sur leurs visages, genre, « Oh, il nous dit aussi bonjour ? Bonjour ! »
Quand on les a quittés, mon père rigolait et il m’a dit, « Ça, ça vient de Bondy ». C’est comme un réflexe. C’est une philosophie de vie. À Bondy, on apprend des valeurs qui vont au-delà du football. Tu apprends à traiter tous les gens de la même façon, parce qu’on est tous dans le même bateau. On rêve tous du même rêve. »
Il parle de ses rêves quand il était enfant et bien sûr du football.
« Mes copains et moi, on n’espérait pas devenir footballeurs professionnels. On ne s’y attendait pas. On ne l’a pas planifié. On en rêvait. C’est différent. Certains enfants ont des posters de super héros sur les murs de leurs chambres. Les nôtres étaient couverts de footballeurs. […]
Parfois, les gens me demandent pourquoi tant de talents viennent des banlieues. Genre comme si il y avait quelque chose dans l’eau qu’on y boit, ou que nous nous entraînons d’une manière différente, comme Barcelone ou quelque chose comme ça. Mais non, si vous venez à l’AS Bondy, je suis désolé mais vous ne verrez qu’un club humble et familial. Des immeubles d’appartements et des terrains en synthétique. Mais je pense que le football est juste différent pour nous. C’est essentiel. C’est quotidien. C’est comme le pain et l’eau. »
Et il évoque la coupe du monde de Russie et fait ce constat qui ne peut que nous interpeller du point de vue de la sociologie du football, même celles et ceux qui ne s’y intéresse pas.
« Je trouve intéressant que parmi tous ceux d’entre nous qui ont soulevé la Coupe du Monde cet été là beaucoup ont grandi en banlieue. Les mélanges. Là-bas tu entends plein de langues différentes dans la rue. »
Il termine ainsi sa lettre :
« Aux enfants de Bondy,
Aux enfants d’Île-de-France,
Aux enfants des banlieues,
Nous sommes la France.
Vous êtes la France.
Nous sommes les rêveurs fous.
Et, heureusement pour nous, rêver ne coûte pas grand-chose.
En fait, c’est gratuit.
Kylian de Bondy »
Pascal Boniface conclut son article par ces mots:
« Le 15 juillet 2018, Kylian Mbappé a contribué au rayonnement de la France dans le monde et à l’affirmation de son soft power. Le 28 février 2020, il a apporté sa contribution à l’apaisement de la société française en s’efforçant de changer le regard que les jeunes des cités ont sur eux-mêmes et celui que porte la France sur eux.
Kylian Mbappé fait de la politique avec un P majuscule, la vie dans la cité. Au moment où la jeunesse de banlieue est stigmatisée et déshumanisée par des commentateurs qui ne la traverse que pour se rendre à Roissy et qui n’y sont jamais allés, il lui redonne estime de soi et perspective d’avenir. Il revendique avec fierté ses origines qu’il ne trahit pas, mais qu’il honore.
Au moment où certains s’efforcent de creuser un fossé entre différentes catégories de Français, il contribue à le combler. Son sourire est la meilleure réponse à apporter aux grimaces des oiseaux de mauvais augure. »
Je vous renvoie vers sa longue lettre : <Lettre aux jeunes Kylian>
<1363>
L’intérêt de Mbappé pour ses racines et plus largement pour laisser pour comptes issus de l’immigration est éminemment sympathique, le rêve est nécessaire comme moteur de réalisation mais ce dont la société a surtout besoin c’est la montée en puissance d’une frange beaucoup plus large de cette population vers les métiers « considérés » comme supérieurs. Cela passe en partie par des moyens apportés par la collectivité mais beaucoup de choses ont déjà été faites, cela passe aussi et surtout par beaucoup d’efforts de celles et ceux qui veulent réussir en respectant notamment l’école et les règles de vie de notre société
Il faut bien avouer que ce jeune homme est exemplaire, tant par ses qualités sur le terrain que par sa maturité rarement rencontrée chez des personnes de son age et de son exposition médiatique. Tout ce mot du jour réconforte et réconcilie avec le devenir des hommes: c’est un bouquet de valeurs qu’il nous rappelle et que trop de personnes oublient depuis de nombreuses années: la reconnaissance des talents et de l’effort (il s’entrainait beaucoup), la force du rêve (qui ne coute pas grand chose), de l’entraide et du respect (tu serres la main de tous dans un groupe), la richesse du mélange de culture, changer le regard sur ce qu’on ne connait pas (la banlieue) et faire en sorte de redonner estime de soi et perspective d’avenir. Tout cela avec humilité et un sourire communicatif.