Mardi 19 juin 2018

« L’Episkyros grec et l’Haspartum romain»
Ancêtres du football et aussi du rugby

Nous en étions restés, hier, à des jeux chinois le tsu chu et japonais le kemari. Nous avons aussi évoqué des jeux de balle en Mésopotamie et en Egypte. Mais nous sommes une civilisation judéo gréco romaine.

Et pour commencer par les grecs, Philippe Villemus évoque dans son livre « Le Dieu football » « l’Episkyros » :

« Les traces les plus précises du football historique remontent à l’Antiquité grecque.

En visitant le siège de la FIFA, à Zurich, on peut admirer, dans la salle d’accueil, une sculpture offerte par la Grèce à l’occasion de sa qualification à la phase finale de la Coupe du monde 1994 aux États-Unis. Il s’agit d’une reproduction d’un bas-relief en marbre de 450 avant J.-C., dont l’original est au musée national d’archéologie d’Athènes. Il fut trouvé au Pirée, en 1836. La stèle représente un athlète nu jonglant avec une balle sur sa cuisse, et se privant volontairement de ses mains devant un enfant. Il lui enseigne sans doute cette technique de jonglage avec les membres inférieurs. […]

Les Grecs, en fait, jouaient à plusieurs jeux de balle : certains avec les mains, d’autres avec les pieds ou avec des instruments. Le rugby, le cricket, le handball et le football se réclament tous de ces sports hellénistiques. Au musée national d’Athènes, on peut observer un bas-relief montrant des athlètes grecs pratiquant une sorte de « hockey sur gazon » avec des crosses. Ce jeu avait sûrement été importé d’Égypte, où les jeux de crosses existaient déjà.

[…] Homère évoque déjà un jeu de balle pratiqué par les Phéaciens, peuple mentionné dans L’Odyssée . L’île de Phéacie, où Nausicaa accueillit Ulysse, est identifiée à Corcyre, aujourd’hui Corfou. Dans le chant VI, il décrit Nausicaa, la fille du roi Alkinoos, jouant à la balle avec ses compagnes. La balle tombe dans l’eau d’un ruisseau, près de la plage, où Ulysse a échoué. […] Le jeu episkyros, aussi appelé ephebike, fut pratiqué en Grèce dès 800 avant J.-C.

Une de ces règles essentielles était qu’on pouvait utiliser les mains, ce qui suggère une plus grande relation avec le rugby. Cependant, beaucoup de caractéristiques de l’episkyros étaient similaires au football, en particulier les dimensions du terrain et la composition des équipes à douze contre douze. Il était surtout joué à Sparte, et les joueurs se disputaient une vessie de bœuf gonflée, enveloppée dans un linge. L’écrivain Julius Pollux fait une description assez précise de ce loisir dans son Onomasticon 1 : « L’episkyros porte également les noms d’ephebike ou d’épicène . On trace à la craie entre les deux camps une ligne ; on pose la balle dessus. On trace ensuite deux autres lignes derrière chaque camp. Le premier camp lance la balle au-dessus de l’autre qui doit essayer de l’arrêter et de la relancer, sans franchir la ligne du milieu. Le jeu se termine quand un camp est bouté hors de la ligne de fond. » Était-ce une version antique du football, du rugby ou du handball ?

Tous les jeux grecs de balle, au pied ou à la main, se rapprochent de nos sports modernes. […] Le jeu le plus proche du football actuel était l’hasparton, aussi appelé pheninde (ce qui est paradoxal puisque hasparton est le mot grec qui désigne handball et non pas football). Un historien grec, Athénée, en fait un récit pittoresque dans Le banquet des Sophistes 3, au III e siècle après J.-C. : « Ayant pris la balle, il se plaisait à faire la passe à l’un tout en évitant l’autre ; il la faisait manquer à celui-ci, déséquilibrant celui-là et tout cela avec des bruits sonores : Je l’ai ! Balle longue ! Passe à côté ! Passe au-dessus ! En bas ! En haut ! Balle courte ! Passe derrière ! » Plus de 2 000 ans ont passé, mais le vocabulaire footballistique est resté le même. »

Les romains ont été des continuateurs des grecs sur les plans artistique, religieux et politique. Ils ont ainsi repris les jeux grecs de l’episkyros et l’hasparton. C’est une variante de ce dernier que les romains ont appelé l’Haspartum (on lit aussi parfois l’harpastum) qui est largement développé par Philippe Villemus. L’haspartum signifie en latin « le jeu à la petite balle ». Le terrain était un rectangle délimité, séparé par une ligne centrale. Les pieds étaient utilisés pour jouer à ce jeu, c’est probablement pour cette raison que l’auteur le décrit comme un ancêtre du football. .

La balle était plus petite (environ 18 centimètres de diamètre) et plus dure et on lit dans le livre :

« La solidité du ballon est attestée par un récit de Cicéron qui a raconté le cas d’un homme tué en recevant un ballon en pleine tête, alors qu’il se faisait raser chez un barbier ! »

Hier j’ai indiqué <ce documentaire> qui évoque (à partir de 4:20) l’haspartum en insistant qu’il s’agissait d’un jeu pratiqué par les légionnaires romains qui l’utilisait comme un entraînement militaire.

Philippe Villemus donne les détails suivants :

«Dans l’haspartum, pratiqué par les légionnaires, le but était d’amener la balle dans le camp adverse.

Pour fabriquer leurs ballons ou leurs balles, les Romains, comme les Égyptiens ou les Grecs, utilisaient plusieurs techniques selon le jeu de balle pratiqué. À la différence d’autres peuples, ils ne connaissaient pas le caoutchouc ou la gomme arabique. Certaines balles, dures (en bois), rebondissaient peu. On a retrouvé des balles faites de cheveux et de linges cousus ensemble dans les tombes égyptiennes datant de la période romaine. Pour fabriquer des « balles rebondissantes », les Romains utilisaient soit des vessies de porc ou de bœuf gonflées et recouvertes de la peau de l’animal, soit des intestins et des boyaux de chat hachés en forme de sphère et recouverts de cuir ou de peau, soit des éponges enveloppées dans des tissus ou enrobées de corde. En Turquie et en Égypte, on utilisait encore jusqu’à la fin du XXe siècle, dans certains villages, la technique des éponges comprimées par des cordes pour former une sphère, et ensuite protégées par un linge pour faire des balles.

Une mosaïque d’Ostie représente un ballon d’haspartum gonflé dans un gymnase. Une fresque d’une catacombe, à Rome, datant du Ier siècle après J.-C., montre des joueurs lançant la balle en l’air. […]

L’haspartum romain était extrêmement violent. Il ressemblait plus à une bataille rangée qu’à un jeu. Pratiqué par les militaires pour l’entraînement, on peut y voir l’origine de la tactique au football, avec une attaque, un milieu de terrain et une défense. »

Dans le Satiricon de Pétrone l’haspartum est évoqué :

«Encolpe et Ascylte, les deux héros principaux, s’égarent, dans les premiers épisodes, aux thermes publics. On y voit Trimalchion (dont le nom aux racines sémitiques suggère l’idée de « puissant roi ») jouer à la balle dans un costume grotesque que n’aurait sans doute pas renié Federico Fellini. »

Galien, le médecin de Marc Aurèle, vante ainsi, au II e siècle après J.-C., l’haspartum :

« La supériorité du jeu de balle sur tous les autres sports n’a jamais été suffisamment mise en lumière par les auteurs qui m’ont précédé […]. Je dis que les meilleurs de tous les sports sont ceux qui non seulement font travailler le corps, mais sont de nature à amuser.»

Et l’auteur de continuer et nous faire comprendre que ce jeu ancêtre du football était finalement plus proche du rugby :

« Une règle importante de l’haspartum stipulait que seul le joueur en possession de la balle pouvait être empoigné, plaqué ou taclé . Cette restriction, majeure par rapport aux autres jeux de balle antiques, contribua au développement des passes et des combinaisons plus complexes. Les joueurs développèrent ainsi des rôles spécifiques et créèrent des stratégies et des tactiques plus élaborées. L’ haspartum resta populaire pendant près de 700 ans. Jules César, qui y joua sans doute lui aussi, utilisa ce sport pour entretenir la force physique de ses soldats. La propagation de l’haspartum à travers l’Europe se fit donc par les armées romaines. Les légionnaires exportèrent le jeu en Gaule, puis en Grande-Bretagne, où pourtant des jeux de balle moins sophistiqués (pas de terrain tracé, pas de règles spéciales) existaient déjà. On a trouvé des preuves de rencontres organisées entre des légionnaires romains et des habitants des îles britanniques ; en 276 après J.-C., une de ces rencontres « internationales » fut officiellement remportée par les Bretons, d’après des documents. À partir de cette date, l’Angleterre, de passion en interdiction, transformera peu à peu l’haspartum , qui va décliner sous sa forme originelle ; c’était quand même le sport de l’envahisseur ! »

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3 réflexions au sujet de « Mardi 19 juin 2018 »

  • 19 juin 2018 à 8 h 36 min
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    Si je trouve réellement passionnante cette leçon d’histoire sur les jeux de balles, je me permet de réagir aujourd’hui à quelques mots de ton billet d’humeur Tu parles d’une civilisation judéo gréco romaine. On parle aussi souvent de civilisation judéo-chrétienne.
    Ce serait bien un jour de creuser ce qui se cache sous ces termes souvent employés comme des références culturelles évidentes, qui ne me semblent pas du tout évidentes. Civilisation : cela veut dire qu’il y aurait un continuum entre l’Egypte, la grèce antique, Rome et nous? Et pourquoi pas aussi avec les barbares? C’est certainement moins prestigieux mais ne sommes-nous point aussi descendant des celtes, des vandales, des sarrazins et autres ostrogoths. Nos leçons d’histoire ont voulu faire de la France le produit d’une évolution des civilisations, en choisissant celles qui nous apparaissent les plus prestigieuses. Mais n’est-ce pas là qu’un récit fantasmé de notre histoire, une vision nationaliste et au final dangereuse des multiples événements parfois hasardeux qui façonnent l’identité d’un pays.
    Et quid des liens de notre société avec la philosophie et les religions. Je ne voies pas de lien évident entre les philosophes Grecs et Chrétiens. Les philosophes européens sont-ils simplement leurs descendants spirituels. Sommes-nous liés à ce point aux grecs anciens, aux romains, aux juifs et aux chrétiens. C’est certainement une source d’inspiration, un élément de notre identité, mais ne néglige-t-on pas nos racines païennes et les nouvelles approches philosophiques comme éléments de notre identité spirituelle.
    Il est vrai que pour l’historien, certaines civilisations, ayant produit plus d’écrits, sont plus facilement appréhendables. De même, évoquer les grands noms de notre littérature ou de nos religions est plus parlant? Mais il faut se garder du prisme déformant qui veut toujours faire de notre histoire, une “belle” histoire, un beau récit. L’histoire est à l’image de l’humanité, souvent quelconque, parfois cruelle et parfois transcendante, parfois médiocre et parfois brillante. Nous sommes désormais une civilisation judéo-chrétienne-mulsumane-païenne-athée-gréco-romaine-barbare-celtes-africaine-asiatique, bref Française.

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    • 19 juin 2018 à 8 h 43 min
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      Oui tu as raison.
      C’est une facilité coupable d’avoir introduit ce sujet qui parle de la Grèce et de Rome par cette affirmation péremptoire.
      Merci Jean-Philippe d’apporter cet éclairage de complexité et rappeler que nous sommes le fruit de nombreuses racines diverses.

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  • 19 juin 2018 à 16 h 52 min
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    Exact mais il est difficile d’évoquer après 2000 ans ou plus une culture ou un art de vivre qui n’a pas ou peu laissé de traces appréhendables dans le temps

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