Jeudi 10 février 2022

« Nous ne connaissons pas celui qui a trahi Anne Frank et sa famille. »
État actuel de la question après la publication d’un livre qui affirmait le savoir

Le monde n’est pas rempli que d’homme sage comme Thich Nhat Hanh, sujet du mot du jour de lundi ou d’humanistes résilients comme Aurélie Sylvestre ou Georges Salines sujet des mots du jour de mardi et mercredi.

Je crois nous avons tous entendu parler d’Anne Frank et connaissons tous son histoire et sa vie brisée par la barbarie nazie.

Le 12 juin 1942, aux Pays-Bas, Anne Frank, une adolescente juive reçoit un journal intime pour son treizième anniversaire. Le jour-même, elle commence à écrire ce qui deviendra « Le journal d’Anne Frank».

Cachée dans une maison d’Amsterdam, annexe à l’usine où travaillait son père, elle y raconte son quotidien sous l’occupation allemande.

Durant deux ans, la jeune fille se confie à une amie imaginaire, «Kitty», lui adresse des lettres au fil de la plume, partage ses histoires et ses peurs, alors que le moindre bruit provoque sursaut et angoisse.

« C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. Non seulement je n’ai jamais écrit, mais il me semble que plus tard, ni moi ni personne ne s’intéressera aux confidences d’une écolière de treize ans ».

Elle écrira jusqu’au 1er août 1944. Trois jours plus tard, Anne et sa famille sont arrêtés.

La jeune fille désormais âgée de 15 ans est déportée en septembre dans le camp d’Auschwitz-Birkenau.

Après avoir survécu à tant d’horreurs et de drame, elle meurt en février ou mars 1945 à Bergen-Belsen, succombant au typhus, à quelques semaines seulement de la libération du camp par les troupes britanniques.

Son père, Otto, « le plus chou des petits papa », comme elle le décrit dans son journal, est le seul survivant de leur groupe et décide, à son retour à Amsterdam, de faire publier l’œuvre de sa fille.

On ne sait pas qui a trahi et fait arrêter Anne et sa famille.

Mais, récemment je pense que nous avons tous entendu, vu ou lu qu’un livre venait d’être publié  qui après une enquête de 6 ans ! pouvait révéler l’identité du traitre.

Et on a vu, lu ou entendu partout que c’était un notaire juif.

Mais savez vous que ce livre vient d’être suspendu de la vente ?

« Le Canard Enchaîné » du mercredi 9 février 2022 écrit dans sa page 5 :

« L’Éditeur Néerlandais Ambo Anthos suspend temporairement l’impression de « Qui a trahi Anne Frank ? » signé de la canadienne Rosemary Sullivan. Selon « Livres Hebdo » : La maison d’édition souhaite vérifier la véracité de l’enquête avant de prendre une décision ».

Voilà qui est étrange, en principe, il vaudrait mieux vérifier avant de publier que de publier et de vérifier après.

Le canard poursuit :

« L’auteure aurait identifié le délateur : un notaire juif hollandais nommé Arnold van den Bergh. Rien de moins sûr, admet aujourd’hui l’éditeur, qui avait recruté « un détective du FBI à la retraite et une équipe internationale de scientifiques, d’historiens et de policiers. »

Et le Canard taquin d’ajouter : « Une enquête sur cette brillante compagnie ? Cela pourrait faire un bon sujet pour une publication chez le même éditeur. »

On constate donc que l’accusation : « c’est un juif qui a dénoncé des juifs » a été immédiatement et largement diffusée.

Le doute qui vient d’apparaître fait beaucoup moins de bruit.

Après avoir lu le Canard enchainé j’ai fait des recherches et j’ai constaté que sur son site « Le Monde » a également relayé cette information, il y a quelques jours.

Et puis Guillaume Erner, sur France Culture, ce matin, a cité le Canard.

Ce sont des correspondants du Monde : Cécile Boutelet (à Berlin) et Jean-Pierre Stroobants (à Bruxelles) qui ont conduit à une publication du 3 février que je n’avais pas remarqué : <Anne Frank : l’impression du livre sur sa dénonciation a été suspendue aux Pays-Bas>

Je cite « Le Monde » :

« La thèse finale du livre, évoquant l’arrestation des huit occupants de l’Annexe, à Amsterdam, le 4 août 1944, à la suite d’informations livrées à l’occupant nazi par un notaire juif, Arnold van den Bergh, a rapidement été remise en question aux Pays-Bas. […]

Des chercheurs, dont l’historien Erik Somers, de l’Institut néerlandais d’études sur la guerre, l’Holocauste et le génocide (NIOD), avaient rapidement critiqué l’ouvrage. Bart van der Boom, professeur à Amsterdam et Leyde, démentait ainsi que le notaire ait pu avoir accès à une liste secrète des juifs cachés à Amsterdam : le conseil juif, instauré par les nazis et dont van den Bergh faisait partie, ne possédait pas un tel document, a confirmé ce spécialiste.

Dès le 18 janvier, Bart Wallet, historien de l’université d’Amsterdam, qualifiait la démonstration de « château de cartes » dans le magazine allemand Der Spiegel. La semaine suivante, l’hebdomadaire interrogeait d’autres experts à propos du conseil juif, confronté à l’époque à un terrible dilemme, puisqu’il essayait de sauver des vies par le biais de la coopération, tout en étant contraint de participer aux déportations.

Ces spécialistes estimaient, eux aussi, qu’il était improbable que de telles listes de cachettes juives aient existé. David Barnouw, longtemps chercheur au NIOD, auteur en 1986 de la première édition scientifique du journal d’Anne Frank, affirmait ainsi au magazine que « personne n’a jamais vu de telles listes ».

Quant aux doutes exprimés par l’enquête sur la probité du notaire van der Bergh, ils sont jugés « purement spéculatifs » par Laurien Vastenhout, également chercheuse au NIOD. Selon plusieurs historiens, il existe, en revanche, des preuves convaincantes que le notaire et sa famille, s’estimant menacés, se sont cachés des nazis dès le début de l’année 1944, bien avant l’arrestation d’Anne Frank et de ses proches.

Un autre élément-clé de l’enquête est une lettre anonyme qu’aurait reçue Otto Frank après la Libération. Cette dernière désignerait le notaire, mais le père d’Anne aurait refusé de dévoiler son nom par crainte de déclencher une vague d’antisémitisme. « Difficile à croire, a expliqué Johannes Houwink ten Cate, professeur à l’université d’Amsterdam, au quotidien néerlandais NRC Handelsblad. Le fait de désigner un juif aurait-il vraiment été, pour Otto Frank, plus important que de trouver le complice de l’assassinat de sa famille ? »

L’analyste médico-légal Frank Alkemade, consulté par l’équipe d’enquête, affirme, lui, avoir avancé avec prudence l’hypothèse d’une culpabilité sûre « à 85 % » du notaire. La marge d’erreur pouvait, en réalité, atteindre 50 %, a-t-il dit. Le modèle d’analyse de probabilité utilisé par M. Alkemade est, en outre, contesté par plusieurs de ses confrères. »

Le journal nous apprend qu’en France, le 3 février, le livre était toujours en vente assorti d’un bandeau qui affirme : « Notre équipe a atteint son but, comprendre ce qui a déclenché la rafle du 4 août 1944. »

Guillaume Erner dans son humeur du matin du 9 février a constaté :

« C’est probablement l’un des thèmes les plus terribles agités au sujet de la Shoah. Après avoir dit que les victimes se sont laissées tuer comme des moutons, idiotie historique qui a eu la vie longue, voici un autre mensonge : les juifs se sont donnés les uns les autres. Mais bien sûr dans le cas d’Anne Frank, ce pouvait être vrai. Fausse dans le cas général, cette règle pouvait souffrir de terribles exceptions.

[…] Autant la nouvelle du scoop, le résultat de l’enquête avait été accueillis par un tintamarre mondial, autant cette suspension a été annoncée discrètement, elle n’est probablement pas arrivée aux oreilles de tous ceux qui pensent qu’Anne Frank et les siens ont été donnés par un juif.  »

Et Guillaume Erner avance une information supplémentaire :

« Cette enquête indubitable par 30 experts évoque une liste de juifs cachés, conservée par le Conseil juif, et c’est cette liste, une anti liste de Schindler, qui aurait été donnée par le délateur de la famille Frank. Oui mais voilà cette liste n’a probablement jamais existé, pire encore, il s’agit tout simplement d’une fake news, une infox, propagée par trois collaborateurs nazis, expliquant ainsi après-guerre que les juifs s’étaient déportés les uns les autres…
On ne peut pas profaner la tombe d’Anne Frank puisqu’elle n’a pas eu de sépulture, mais on peut faire pire en propageant les pires mensonges déguisés en vérités historiques. »

Nous ne savons donc pas.
Et ceci est une information, une connaissance.
Évidemment elle fait moins de bruit, intéresse moins.

Je ne crois pas à un complot antisémite qui ne voudrait pas remettre en cause la thèse d’un juif qui trahit des juifs et qui plait tant aux antisémites.

Non, la réponse me semble beaucoup plus simple : Une information raisonnable et équilibrée est beaucoup moins « bankable » qu’une nouvelle sordide et abjecte.

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