Mercredi 9 février 2022

« J’admire la capacité des victimes à ne pas céder à la haine, à ne pas faire d’amalgames, à croire en notre démocratie et en l’Etat de droit. […] Cela redonne confiance en l’humanité dont nous serions parfois tentés de désespérer. »
Georges Salines

Le témoignage d’Aurélie Sylvestre que j’ai évoqué hier, je l’ai découvert en écoutant l’émission de Philippe Meyer « Le nouvel Esprit Public » du <26 décembre 2021>, consacrée au Procès des attentats du 13 novembre 2015.

Philippe Meyer avait invité Georges Salines qui est médecin comme son épouse Emmanuelle. Le couple qui a eu trois enfants, deux garçons et une fille, a perdu sa fille Lola, assassinée au Bataclan.

Comme pour toutes les autres victimes, « Le Monde » a consacré une page à <Lola Salines, 29 ans>

J’avais déjà écrit un mot du jour parlant de Georges Salines, c’était il y a un environ un an : « Il nous reste les mots » qui est le titre d’un ouvrage écrit par deux hommes, le premier père de Lola assassinée, le second Azdyne Amimour, père d’un des assassins.

Azdyne Amimour semble être mis en difficulté lors du procès. « Libération » évoque les doutes sur le récit qu’il fait notamment sur un voyage en Syrie à la recherche de son fils : < Azdyne Amimour est-il réellement allé en Syrie pour ramener son fils, kamikaze du Bataclan ?>

« Le Monde » décrit le manque de clarté dans ses réponses < le vain interrogatoire des pères de deux terroristes du Bataclan>

Lors de l’émission de Philippe Meyer, Georges Salines est plein de bienveillance disant simplement qu’Azdyne Amimour a des problèmes avec sa mémoire.

Je crois qu’il faut écouter cette émission. Georges Salines est un exemple d’homme qui rend fier d’appartenir à l’espèce homo sapiens, ce qui n’est pas toujours simple, vous en conviendrez.

David Djaïz , un des intervenants de l’émission, s’est adressé à lui :

« Il est difficile de trouver les mots, mais je voudrais d’abord vous exprimer ma compassion, mon admiration et mon respect. […] J’admire la dignité et la discipline avec lesquelles vous faites face, vous continuez à vous tenir droit et à témoigner. »

Et Jean-Louis Bourlanges a ajouté :

« Je partage absolument ce qu’a dit David sur le respect qu’inspire votre attitude, cette discipline, cet effort d’objectivation, de mise à distance intellectuelle, tout cela est admirable. Je le dis d’autant plus volontiers que j’occupe le rôle de l’homme politique dans cette émission, et je ressens qu’un homme politique devrait avoir le même courage que vous, cette capacité de traiter intellectuellement des problèmes aussi chargés émotionnellement. Personnellement, je m’en sais incapable. »

Je soulignerai trois moments dans l’intervention de Georges Salines :

D’abord son indulgence devant l’erreur humaine :

« Je suis a priori plutôt indulgent face aux erreurs ou aux faiblesses des pouvoirs publics : parce que c’est très compliqué, parce que les moyens ne sont pas là, et parce que l’erreur est humaine. Je ne m’attendais pas à ce qu’on débatte autant de ces problèmes, car les assassins de nos enfants sont les terroristes, pas François Hollande ou la police belge […]. Mais il y a tout de même des manquements sérieux. Côté français, Samy Amimour avait été arrêté et placé en garde-à-vie en 2012 à cause d’un projet de départ en zone djihadiste. Placé sous contrôle judiciaire par le juge d’instruction Marc Trévidic, ses papiers lui ont été confisqués. Or, un an plus tard, il a pu quitter le territoire national avec une vraie carte d’identité. Soit le fonctionnaire qui a refait les papiers n’a pas vérifié dans le fichier d’interdiction de sortie du territoire, ce qui est une faute, soit ce fichier n’avait pas été renseigné correctement (autre faute, de la Justice cette fois), soit on ne lui a retiré que son passeport, mais pas sa carte d’identité. Pour le moment, on ne sait pas quelle hypothèse est la bonne, mais on ne peut s’empêcher de penser à ce qui se serait passé si tout le monde avait fait son travail correctement …
Tout ne fonctionne pas en France, mais c’est bien pire en Belgique. Un véritable désastre à vrai dire. Je ne vais pas entrer dans les détails, d’autant que l’on ressent ce procès par phases, et je sors d’une semaine de dépositions des enquêteurs belges, dont les dépositions ont révélé des manquements graves. Mais on ne peut pas refaire l’Histoire, et s’appesantir sur ces manquements ne fera pas revivre nos enfants. »

Ensuite cette difficulté de comprendre comment on devient terroriste et aussi le constat que les idéologues de Daesh ont décidé d’attaquer la France depuis longtemps non pour se venger de bombardements, mais parce qu’ils haïssent notre manière de vivre :

« Comment devient-on un terroriste ? C’est la question qui me taraude depuis le début. Le 14 novembre, je me demandais déjà comment faire pour que ce qui venait de m’arriver n’arrive pas à quelqu’un d’autre. J’ai intégré mes réflexions à mes livres, […] Ce que je peux faire, c’est prêter mon concours à des activités de type éducatif. Je le fais, dans les collèges, les lycées, ou en prison. Je ne sais pas si cela sert à quelque chose, je demande d’ailleurs à ce que ce soit évalué. Mais pour que ce type d’action soit efficace, il nous faut mieux comprendre la manière dont on franchit le pas du terrorisme. Le procès m’apprend beaucoup, j’ai également beaucoup lu et échangé à ce sujet. Il n’y a manifestement pas un modèle unique, mais des parcours de vie très différents. Ce qui est frappant au procès, c’est que presque tous les membres de la cellule terroriste se connaissaient. Ils étaient frères, cousins, vivaient à quelques centaines de mètres les uns des autres, fréquentaient le même bistrot … Il ne faut pas oublier le rôle que jouent les prédicateurs ou certains sites internet dans la radicalisation. Dans ces affaires-là, il faut se garder de la naïveté, et s’efforcer de ne pas faciliter la tâche des recruteurs. Par exemple, il est tout à fait évident que le discours de Daech (dans les communiqués revendiquant les attentats, dans les déclarations des trois terroristes du Bataclan à leurs victimes, et dans ce que répète Salah Abdeslam à la Cour), consistant à dire que les attentats ne sont que des représailles après les bombardements français, est mensonger. C’est absolument faux : on sait que Daech a commencé à préparer ces attentats avant que la France ne bombarde quoi que ce soit. »

Enfin, quand nous renonçons à nos valeurs, cela ne joue aucun rôle auprès des idéologues, en revanche cela leur permet de trouver beaucoup plus facilement des exécutants au sein de certaines franges de la communauté musulmane :

« Nos manquements vis-à-vis de nos propres principes peuvent faciliter le recrutement de certains à qui l’on monte la tête sur le thème de la malfaisance de l’Occident. Hugo Micheron, expert de l’islamisme, remarquait que Guantanamo était du pain béni pour Daech. Évitons donc ce genre d’erreur. »

Georges Saline a fondé l’association « 13Onze15 Fraternité et vérité »

Avant d’écrire « Il nous reste les mots », il avait publié un livre racontant sa douleur et son combat pour la fraternité, la vérité et la justice : « L’Indicible de A à Z »,

Devant la Cour d’Assises, il a eu ces mots :

« J’admire la capacité des victimes à ne pas céder à la haine, à ne pas faire d’amalgames, à croire en notre démocratie et en l’Etat de droit. […] Cela redonne confiance en l’humanité dont nous serions parfois tentés de désespérer. »

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