Jeudi 7 septembre 2017

« L’évolution des mémoires après la 2ème guerre mondiale »
Suite du mot du jour d’hier

Les déportés n’ont pas pu exprimer leurs douleurs et leurs expériences à la sortie de leurs effroyables épreuves. C’est ce qu’a dit, avec force, Simone Veil. Ce n’est heureusement plus le cas, mais cette mémoire refoulée ne s’est vraiment révélée qu’après 1970.

La professeure d’Histoire, Sylvie Schweitzer, que j’ai évoquée dans le mot du jour d’hier, présentait la position dominante des historiens qui interprétaient cette évolution en quatre phases :

  • 1°Le mythe de l’Union Nationale (1945/1947)
  • 2°L’affrontement des mémoires (1947 – fin des années 1950)
  • 3°Le silence – (fin des années 1950 à 1970)
  • 4°Le retour du refoulé – Après 1970

J’insisterai surtout sur cette 4ème phase et particulièrement dans cette 4ème phase sur la compréhension et l’appréhension de la shoah.

1° Juste après la guerre (1945/1947) : le mythe de l’Union Nationale.

C’est le moment de la domination des résistants qui cultivent l’unanimité. Il s’agit d’un mythe qui a pour objectif de faire penser que les Français ont été dans leur très grande majorité des résistants qui se sont opposés aux nazis et à Vichy et de minorer, voire oublier la collaboration de Vichy avec les nazis. Vichy n’est qu’une parenthèse dans la glorieuse histoire de France.

Ce mythe est entretenu par :

  • Les gaullistes qui exaltent la résistance extérieure,
  • Les communistes qui mettent l’accent sur la résistance intérieure du peuple et le rôle du PC dans la résistance, « le parti des 75 000 fusillés »

Le but est de recréer l’unité nationale, de reconstruire une identité française honorable, digne de passer à la postérité, la faire reconnaître et respecter par nos alliés américains qui avaient d’abord envisagé de placer la France libérée sous l’administration militaire.

Il y a bien le châtiment des traîtres (épuration), mais finalement minoritaire, et qu’il fallait vite oublier.

2°Affrontement des mémoires 1947 – fin des années 1950

En 1947, le Parti communiste fait rupture avec le gouvernement. Il y a affrontement entre le PC et les gaullistes.Les collaborateurs relève la tête et dénonce l’épuration. On avance le chiffre de 10 000 fusillés. Les résistants ne sont plus vus de manière aussi positive.

3° Le silence – (fin des années 1950 à 1972).

On ne parle plus de la guerre, c’est une époque de refoulement. On dit peu de choses sur les camps et la résistance. C’est l’époque du début de la Vème République et de la présidence du Général de Gaulle.

4°Le retour du refoulé Après 1970,

il y a un quatrième temps : le retour du refoulé.

Après le départ puis la mort de De Gaulle (1970) il y a en mode mineur les retombées de la contestation de 1968 et la critique de la bienséance et en mode majeur les travaux d’historiens et de journalistes sur la période trouble de Vichy.

C’est un américain Robert Paxton qui déboulonne le mythe d’une France majoritairement résistante et d’un esprit de Vichy minoritaire. Il publie en 1973 « la France de Vichy » et finit de réveiller la mémoire des Français en montrant que Vichy n’était pas une simple parenthèse dans l’histoire de France mais qu’il révélait des tendances profondes de la société française. Il montre la réalité du régime de Vichy qui était collaborateur, xénophobe, antisémite, réactionnaire… La guerre a fortement divisé les Français : une minorité a collaboré, une autre minorité a résisté, l’immense majorité est restée attentiste et occupée à survivre.

Et en comparant la France des années d’occupation aux autres pays occupés d’Europe occidentale, il dresse un bilan globalement négatif. La France de Vichy a fait pire que les autres pays occupés.

A côté du travail d’Historiens, un film a aussi constitué une rupture du mythe de l’Union Nationale : « Le Chagrin et la Pitié » de Marcel Ophüls même s’il a fait l’objet d’une censure larvée en France. S’il a été diffusé, dès sa sortie en 1969 en Allemagne, en Suisse et aux États-Unis, « Le Chagrin et la Pitié » n’a été projeté en France qu’en 1971, dans une petite salle du Quartier latin. Et ce n’est qu’en 1976 qu’il a été admis dans le circuit commercial restreint des salles ” Art et Essai. Et pour le voir à la télévision française il a fallu attendre 1981 pour que FR3 le mette au programme.

Mais pour revenir au point central de notre propos autour de la mort de Simone Veil et la mémoire refoulée des déportés dans les camps de concentration pour des motifs raciaux, il faut évoquer :

La pleine révélation de la Shoah.

Un point fondateur est certainement le procès Eichmann en Israël en 1961, il permet de prendre conscience de la spécificité du génocide juif. Ce procès libère enfin la parole des survivants juifs, rares témoins qui disparaissent peu à peu.

On constate alors la création d’associations juives militantes (Simon Wiesenthal, Serge Klarsfeld), publication de livres, de documentaires (« Shoah » de Claude Lanzmann en 1985), de films ou téléfilms sur le sujet : « Holocauste », « Le pianiste », « La vie est belle ».

Par ailleurs, les recherches sur le génocide des juifs sont d’autant plus poussées qu’au début des années 70, certains cherchent à minorer (les révisionnistes), voire à nier (les négationnistes) le génocide.

Ainsi en 1978, Darquier de Pellepoix (ancien commissaire aux questions juives sous Vichy) déclare: « A Auschwitz, on n’a gazé que des poux ». Parallèlement en 1978, Serge Klarsfeld publia la liste par convois des 75 721 Juifs déportés de France

C’est ainsi qu’on s’intéresse enfin à la responsabilité de Vichy dans la shoah : ce qui aboutit à des procès et des inculpations pour complicité de crimes contre l’humanité dans les années 80-90 : Papon (Ministre sous Giscard), Bousquet (ami de Mitterrand), Touvier ami de milieux catholiques.

En 1983, le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie, repéré en Bolivie par Beate Klarsfeld dès 1971, fut extradé, ramené en France, et condamné à Lyon en 1987 à la détention perpétuelle. Il est mort en prison en 1991.

Et enfin, l’Etat français commence à évoquer ce sujet et fait lui-même repentance à partir des années 1990 :

  • 1990 : loi Gayssot qui condamne tout propos négationniste ;
  • 1993 : un décret fait du 16 juillet (jour anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv) la journée nationale de la commémoration des persécutions raciales et anti-sémites
  • 1995 : J Chirac reconnaît « la responsabilité de l’Etat français » dans le génocide qu’il qualifie de « faute collective »
  • 1996 : indemnisation par l’Etat des descendants des familles juives spoliées pendant la guerre.
  • 2000 : fondation pour la mémoire de la Shoah dont la présidente fut Simone Veil
  • 2005 : rénovation du mémorial de la Shoah qui rappelle que 79 000 juifs de France ont été déportés pendant la Seconde Guerre mondiale pour seulement 3000 survivants.

Conclusion

Le monde est complexité, tous les Français n’étaient pas vichystes et beaucoup de juifs ont été sauvés par des Français qui ont fait de remarquables efforts pour les cacher et les nourrir. 25 % des juifs vivant en France sont morts pendant la guerre contre 92% en Pologne, 80 en Grèce et 73 en Yougoslavie.

Il est heureux qu’il a enfin été possible de faire la lumière et de parler de la réalité de la shoah. On peut regretter que cette lumière qui révèle pleinement le crime contre les juifs n’ait pas encore pleinement éclairé les crimes des nazis contre les tsiganes, les homosexuels et d’autres déportés.

L’Historienne Annette Wierworka a publié en 1992 le fruit de ses recherches sur ce sujet, livre essentiel : « Déportation et génocide, entre la mémoire et l’oubli »

J’ai écrit ce mot du jour et le précédent en m’inspirant du Cours d’Histoire que j’avais suivi à la faculté d’Histoire de Lyon 2, en me référant à ma connaissance et compréhension du sujet acquis par mes lectures. J’ai aussi cité des réflexions et des développements trouvés sur ces 2 sites très pédagogiques.

http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/enseigner/memoire_vichy/menu.htm

http://ww3.ac-poitiers.fr/hist_geo/ressources/memoire_philatelie/pages/coursmemoire.htm

Au bout de ce rappel des faits, on se rend compte qu’après la guerre il y eut beaucoup de mythes (parenthèse Vichy, France unie et résistante), un immense déni et un silence pesant sur les génocides et la réalité des camps d’extermination.

Ce n’est finalement que tardivement qu’il a été possible d’en parler et de dévoiler, ce crime immense qui a été perpétré par des hommes d’une nation occidentale, chrétienne, probablement la nation la plus civilisée, celle de Kant, de Goethe, de Beethoven, d’Einstein. Dans cette horreur, il a existé des hommes dans d’autres nations comme la nation française qui ont aidé, participé à cette horreur.

Aujourd’hui nous dénonçons les barbares à l’œuvre ailleurs qu’en occident et d’une autre religion que la chrétienne. Notre civilisation a fait pire, il n’y a pas très longtemps.

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