Mardi 15 novembre 2016
« Pour moi les éduqués supérieurs ne sont pas supérieurs »
Emmanuel Todd conférence ISEGORIA du 8 novembre 2016
Je l’avoue, j’ai eu un coup de froid avec Emmanuel Todd depuis son livre <Qui est Charlie ?> et l’invention du concept de catholique zombie.
Mais, il a tenu une conférence le 8 novembre, avant de connaître les résultats de l’élection américaine, et il m’a paru à nouveau iconoclaste, brillantissime et particulièrement intéressant.
Vous trouverez cette conférence derrière ce lien, Il faut immédiatement aller à la 41ème minute : https://www.youtube.com/watch?v=xZYgUwmWWVw
Dans une première partie, il revient sur le libre-échange dont il est un des pourfendeurs et explique l’émergence de Trump par le fait qu’il a mis en cause deux des dogmes des tenants de la globalisation : la liberté des échanges et la liberté de circulation des hommes.
Il décrit la globalisation comme une vision individualiste des hommes, il n’y a que des individus qui sont soumis au marché mondial. La politique en est absente.
Il reconnait l’intérêt du libre-échange au moins dans un premier temps mais rappelle que le premier moteur de ce libre échange est le désir des détenteurs des capitaux (pour ne pas utiliser le terme marxiste des capitalistes) d’augmenter le taux de profit, ce que font d’ailleurs remarquablement les multinationales américaines.
Vous écouterez son développement avec intérêt.
Mais le plus intéressant de cette conférence se situe à l’extrême fin de sa conférence quand il évoque la fracture entre l’élite intellectuelle et économique et le reste du peuple.
Car pour revenir à l’élection américaine, comme d’ailleurs au Brexit, chaque fois on constate la même rupture entre une élite qui parle à travers les médias et le vote populaire qui ne va pas dans le sens souhaité par l’élite.
Ainsi on apprend grâce au Figaro du 11 novembre que si 49% des blancs diplômés ont voté pour Trump, ce sont 67% des sans diplômes blancs qui ont voté pour le milliardaire qu’Alain Finkelkraut a simplement désigné sous l’expression <gros con>.
Pour revenir à Emmanuel Todd, il se demande si les classes supérieures éduquées sont tellement supérieures intellectuellement (c’est vers 2h22). Car il conteste que l’élite prenne les bonnes options dans l’intérêt bien compris du plus grand nombre.
« Nous sommes entre nous et nous pouvons le dire : le tri, la sélection des étudiants se fait sur l’intelligence peut-être mais pas seulement et vous le savez bien.
Les études dont le but était initialement émancipateur, est devenu une formidable machine à trier et à tamponner la population jeune à un certain niveau pour son avenir social.
Le mécanisme éducatif est devenu une machine à créer les classes sociales du futur. C’est une machine à fabriquer de l’inégalité. Et comme c’est une machine destinée à fabriquer de l’inégalité, c’est aussi devenu une machine à justifier l’inégalité.
[Bien sûr], les bons élèves existent, je veux bien admettre que les gens sont plus ou moins intelligents, mais le mécanisme de tri par l’éducation et la machine sociale qui fabrique ce tri aboutissent sans doute à exagérer énormément, dans l’inconscient collectif, les différences supposées d’intelligence. […]
Et le tri, particulièrement dans les études supérieures ne se fait pas que sur le critère de l’intelligence. Il se fait aussi beaucoup sur le critère de l’obéissance. Nous vivons dans un monde de concours où nous devons être le plus parfait possible.
Pour être parfait, il faut être lisse, il ne faut pas penser [par soi-même].
[Dans] tout le système des élites et des éduqués supérieurs, il y a de l’intelligence mais il y a aussi de la soumission comme critère de tri.
Et au final, qu’est-ce qu’on obtient comme classe supérieure ?
Est-ce qu’on obtient, une classe supérieure collectivement tellement remarquable par son intelligence. Cela ne me parait pas tellement évident.
Qui oserait décrire la classe supérieure française comme intelligente collectivement ?
Et pourtant c’est tous des super bons élèves.
On peut dire la même chose de la classe supérieure de Washington. […]
Il ne faudrait surtout pas croire que la stratification de la société par les niveaux d’études correspond à la description du niveau de capacité intellectuelle des populations.
En haut de la société vous aurez une sur-accumulation de conformisme et de crétinisme par obéissance aux consignes reçues depuis la petite enfance.
Et en bas vous aurez des gens parfaitement intelligents mais qui n’ont pas été pris dans le moule du système parce qu’ils ont un peu plus de mal à obéir. »
Et il finit par cette conclusion « Pour moi les éduqués supérieurs ne sont pas supérieurs »
Vous trouverez aussi une transcription de la fin de sa conférence sur ce blog : http://blog.europa-museum.org/post/2016/11/10/Une-sur-accumulation-de-conformisme-et-de-cretinisme
J’ajouterai à ce que dit Todd sur la soumission, la reproduction de plus en plus génétique des élites : on fait partie de l’élite de père en fils ou de mère en fille, car il y aussi transmission des codes, des réseaux et un meilleur apprentissage de la soumission.
Cela dit je ne crois pas un seul instant que Donald Trump ait la volonté ni la possibilité de faire évoluer cet état de chose.
Bien au contraire.