J’évoquais, hier, le second invité de l’émission <du grain à moudre : pourquoi n’aimons-nous pas la paix ? > : David Van Reybrouck.
David Van Reybrouck est un auteur belge archéologue et philosophe qui s’est associé à un psychothérapeute spécialisé dans la communication non-violente : Thomas d’Ansembourg pour écrire un petit ouvrage de 96 pages : « La paix ça s’apprend : comment guérir de la violence et du terrorisme » paru à Actes Sud, en novembre 2016.
David Van Reybrouck compare la paix avec la santé en disant que celui qui est en bonne santé l’exprime rarement.
On parle de santé quand on est malade et il a cette expression : « la santé c’est le souvenir d’un malade » et il exprime la même chose pour la paix : « on ne se rend pas compte quand on est en paix, c’est banal presque un peu trivial, la paix c’est le souvenir de quelqu’un qui est en guerre »
Et il a ce constat qu’il existe des écoles de guerre où on apprend à faire la guerre, à tuer.
Ces écoles sont subventionnées par l’Etat et payées par nos impôts.
Mais il n’existe pas d’écoles de la paix, où on enseignerait la paix, l’empathie, la pleine conscience. Car selon lui avant de vouloir créer la paix à l’extérieur, il faut d’abord pacifier l’individu, la paix commence à l’intérieur de l’individu.
Or, selon lui, on peut enseigner la paix et il exprime ce curieux parallèle avec l’hygiène.
Au début, quand les premiers esprits éclairés ont voulu enseigner l’hygiène, on les a pris au mieux pour des rêveurs, au pire pour des fous.
Mais peu à peu, on a enseigné l’hygiène puis on l’a imposé.
Et l’Humanité grâce à cette prise de conscience et à l’enseignement de cette exigence a fait un remarquable bond en avant. En dehors de tout délire quantophrénique, la réalité lourde de la démographie nous le révèle : l’espérance de vie a explosé et l’hygiène plus que les progrès de la médecine a joué le rôle premier.
Et j’ai trouvé un article dans un journal belge où Van Reybrouk complète les propos tenus lors de l’émission précitée : http://www.alterechos.be/fil-infos/david-van-reybrouck-la-paix-mentale-contribue-a-la-paix-sociale/
J’en tire quelques extraits :
« […] Face au déferlement d’actes guerriers et barbares, appeler la paix de ses voeux ne suffit pas, il faut l’apprendre, la construire à l’intérieur de nous-mêmes et dans nos structures sociales. […]
Mais parler de la paix n’est pas si simple… On n’utilise plus jamais le mot « paix », c’est une notion qui semble gênante, et encore plus en néerlandais: «vrede».
Ça fait catho ou John Lennon. Pour nous, c’était une réponse évidente au lendemain des attentats. La violence est partout et la meilleure façon de pacifier une société est la démocratie. La meilleure façon de pacifier l’individu, c’est de lui accorder des moments de silence et de contemplation, choses qu’on a oubliées ou perdues depuis plusieurs décennies.
[…] Nous sommes convaincus qu’une partie de la paix sociale repose sur la paix mentale. C’est ça l’équilibre entre mon approche politique et l’approche psychologique de Thomas.
[…] Je vois mal comment on peut rendre une société plus pacifiste, moins violente, moins agressive, moins raciste si on ne travaille que sur les structures sociétales. Il faut aussi travailler sur l’individu. Je ne dis pas qu’il suffit que les jeunes radicalisés de Molenbeek méditent quelques minutes par jour. Ce serait de la fausse conscience. Mais je ne vois pas non plus comment régler le défi majeur de la radicalisation si on limite l’action à des mesures sécuritaires, militaire, juridiques et politiques. Et même si on lutte contre la discrimination au niveau du marché du travail, de l’éducation ou du logement, je ne pense pas que cela débouchera sur une paix sociétale durable. Il faut en fait travailler sur l’extérieur et sur l’intérieur. Le livre est un plaidoyer pour une double action : sur les injustices sociales et sur la pacification de l’individu. […]
C’est une question de recherche scientifique. Il y a une centaine d’années, la gymnastique était intégrée dans le cursus scolaire. Pour l’époque, cela paraissait très insolite dans un contexte où les enfants devaient être sages. Mais les recherches scientifiques de l’époque – fin XIX ème début XXème – ont montré que c’était important d’avoir des exercices physiques pour le développement du corps, de l’esprit et des mœurs de l’enfant… C’était devenu une chose normale et évidente. On peut parler du sport mais aussi du brossage des dents, exemple qu’on donne dans nos livres. Grâce aux études sur l’hygiène buccale ont montré la nécessité de se brosser les dents et la pratique est rentrée dans les mœurs, y compris dans des endroits où ça n’était pas du tout gagné comme dans la campagne profonde d’où provient Thomas.
Je prends ces exemples pour montrer qu’aujourd’hui, de multiples recherches démontrent qu’il est possible d’apporter de la santé physique et mentale à un enfant en lui permettant de respirer dix minutes par jour calmement. On voit que l’apprentissage de la communication non violente stimule beaucoup d’empathie vis-à-vis des autres enfants, que cela leur apprend à gérer les conflits, à vivre avec, avant qu’ils ne deviennent de vraies bagarres.
C’est l’essence de la démocratie. Il faut insuffler ce goût pour l’exercice psychique dès la maternelle. »
Et quand le journaliste l’interpelle :
« Vous comprenez qu’on peut vous prendre pour des «bisounours» pour reprendre vos mots, ou en tout cas que vous pouvez susciter le scepticisme …»
Il en appelle à Schopenhauer :
« Chaque nouvelle idée passe d’abord par être ignorée, puis ridiculisée avant de devenir évidente »…
Et pour compléter le propos de Van Reybrouck, vous pourrez lire un texte d’Edgar Morin publié dans le Monde le 5 février 2016 : « Éduquer à la paix pour résister à l’esprit de guerre » qu’il conclut ainsi :
« C’est ici qu’un humanisme régénéré pourrait apporter la prise de conscience de la communauté de destin qui unit en fait tous les humains, le sentiment d’appartenance à notre patrie terrestre, le sentiment d’appartenance à l’aventure extraordinaire et incertaine de l’humanité, avec ses chances et ses périls.
C’est ici que l’on peut révéler ce que chacun porte en lui-même, mais occulté par la superficialité de notre civilisation présente : que l’on peut avoir foi en l’amour et en la fraternité, qui sont nos besoins profonds, que cette foi est exaltante, qu’elle permet d’affronter les incertitudes et refouler les angoisses. »
<812>