Mercredi 3 février 2016

Mercredi 3 février 2016
« Merci de développer le numérique, mais sans que l’on devienne des numéros. »
Nicole Ferroni
Nicole Ferroni fait un billet d’humeur tous les mercredis avant 9 h 00 sur France Inter. Le 20 janvier elle a profité de la présence de la ministre Axelle Lemaire qui venait présenter sa Loi sur le numérique pour raconter ses déboires avec le numérique de Pôle Emploi.
Elle a appelé son billet : « Avant le haut-débit, il faudrait le grand débat »
Puis elle a ajouté :
«  Aujourd’hui tout se fait sur internet, on paie ses impôts, on trouve sa femme, on trouve un resto, on fait son dossier CAF, son dossier emploi.
On fait tout sur internet, enfin tout ce que le site veut bien nous laisser faire.
Par exemple à Pôle emploi, les chômeurs ne peuvent pas avoir accès à la totalité de leur dossier […]
Avant j’avais l’habitude d’envoyer des méls à ma conseillère, Mme Chautain, bénie soit-elle !
En 2014 on m’a expliqué qu’avec la nouvelle spécialisation de Pôle Emploi ce ne serait plus possible.
La spécialité de Pôle emploi c’était la dématérialisation. Tous les échanges devaient se faire désormais via la plateforme numérique.
Au début, naïve, pour envoyer un courrier j’allais dans la rubrique courrier.
Mais la rubrique courrier ce n’est pas pour envoyer des courriers mais pour en recevoir.
Et après j’allais sur contactez-nous et là je retournais sur la page d’accueil.
C’est bien connu pour envoyer un courrier il faut aller dans la rubrique, « la foire à questions. »
Et là vous allez me dire c’est dommage Nicole que vous soyez devenu intermittente vous avez le QI d’un astronaute. Mais non, en fait il en faut surtout l’imagination.
Parce que le formulaire de Pôle Emploi c’est stratosphérique.
Vous ne pouvez pas envoyer un message de plus de 2000 caractères, pas de pièces jointes et vous ne gardez aucune trace du contenu de ce que vous avez envoyé.
Alors j’ai dit : Ah j’ai compris quand vous parliez de dématérialisation vous ne parliez pas de la dématérialisation du courrier, mais de moi, je n’avais plus de contenu, plus de mémoire, mon destinataire était personne et moi je n’étais plus rien.
J’étais juste quelqu’un qui envoie des bouteilles à la mer, mais pas des bouteilles qui échouent sur la plage. Non des bouteilles qui échouent tout court, qui coulent.
Du coup pour savoir si mon dossier était toujours bloqué, j’ai fini par aller à l’agence Pôle Emploi, engraisser les files d’attente.
Je suis arrivé dans le bureau de la conseillère [elle n’avait pas la réponse à ma question]. A la fin elle m’a dit qu’elle me rappellerait après avoir vu mon dossier avec sa supérieure. Je lui ai demandé si je pouvais avoir son mèl professionnel. Elle m’a répondu : « passer donc par la plateforme numérique ».
Bien sûr elle ne m’a pas rappelé, je suis donc retourné à Pôle Emploi. Et là j’ai vu que sur les murs, il y avait de petits panneaux où il était écrit : « Les agressions verbales sont un délit »
Avant je disais : Oh mon Dieu les agressions verbales ça existe ?
Maintenant je sais que ça existe et je sais pourquoi.
Merci de développer le numérique, mais sans que l’on devienne des numéros. »
Ce ne sont pas « les chroniques de la haine ordinaire » cher à Pierre Desproges, mais plutôt « les chroniques de l’échange déshumanisé ».