Hier j’abordais le monument qui se dresse sur le monde de l’art et de la musique.
Aujourd’hui je voudrais parler de l’humanité de Beethoven.
Pour ce faire, je vais faire appel à un pianiste français qui a exprimé avec des mots simples l’expérience que je peux vivre avec Beethoven.
La Radio-Télévision Belge et notamment sa chaîne Musiq3 a consacré plusieurs émissions à Beethoven qu’elle a appelé le <feuilleton Beethoven> qui compte dix épisodes d’une heure chacun.
Le premier épisode donne la parole à François-Frédéric Guy qui présente Beethoven ainsi :
«Beethoven est le premier, j’en suis certain, à avoir mis l’homme au centre, l’idéal humain, c’est-à-dire l’homme au sens de la transcendance, l’homme au sens de l’humanité.
Transcender les différences, transcender les cultures, et puis faire que le genre humain cette fameuse « Brüderei » ; la fraternité qui caractérise l’œuvre de Beethoven [soit] mise au centre.
Il y a eu des génies avant Beethoven, évidemment ! Je parle uniquement musicalement : on peut citer Bach, Haendel, Mozart, Haydn, mais Beethoven est le premier à mettre l’homme au centre.
Et non pas à glorifier un Dieu qu’on espère immense, solaire à l’image de ce qu’a fait Bach ou Haendel et même Mozart dans un certain sens. Mozart avait ce lien divin, il existe des manuscrits de ses œuvres presque sans aucune rature, il avait ce côté et on disait mais ce n’est pas l’œuvre d’un homme, c’est l’œuvre d’un Dieu.
Alors que Beethoven c’est tout le contraire. […] C’est un travailleur laborieux. Il met beaucoup de temps à trouver son thème, à lui donner sa forme.
Il barbouille inlassablement ses carnets qu’il a toujours sur lui pendant ses nombreuses promenades pour arriver finalement à l’épreuve finale.
Donc c’est l’homme, c’est le labeur et en même temps la glorification de l’homme, de tous les sentiments humains qui sont exprimés.
Je tiens vraiment à le dire, c’est le premier qui ose. Avant on parle de la divinité, on parle de Dieu, on parle des grandes choses, mais Beethoven parle de l’homme. Il parle aussi de ses turpitudes, ses vicissitudes, ses désespoirs, ses petitesses, autant que de sa mystique, de sa grandeur, de ses aspirations au divin. A surpasser sa condition pour arriver à un idéal humain. Et cela c’est vraiment la définition de l’œuvre de Beethoven.
Et arriver à exprimer cela avec des symboles, des notes de musique sur un papier, moi je trouve cela exceptionnel, probablement unique.
François-Frédéric Guy de 6:38 à 8:45 de l’émission
Vous trouverez cet épisode derrière ce lien : <Episode 1>
C’est peu dire que Beethoven écrivait sa musique avec des ratures et des corrections.
Mais ce qui me semble essentiel dans ce qu’exprime François-Frédéric Guy, c’est en effet, l’abandon de la divinité pour parler de l’essentiel, de la vie, des émotions.
Pour évoquer la profondeur de l’être Beethoven se tourne résolument vers l’homme et l’humanisme.
Dieu, il le cherchait dans la nature, c’était un panthéiste qui quelquefois faisait quelques concessions, de savoir vivre en société, à la religion dominante catholique. Il a ainsi écrit deux messes sur le texte canonique.
Mais dans ses carnets intimes, Beethoven écrivait en 1812 :
« Car le sort a donné à l’homme cette faculté : le courage de tout supporter jusqu’à la fin » (29)
Nulle question du Dieu des chrétiens dans cette affirmation.
En 1815, il écrivait :
« Dieu des forêts, Dieu tout-puissant ! Je suis béni, je suis heureux dans ces bois, où chaque arbre me fait entendre Ta voix. Quelle splendeur, oh Seigneur ! Ces forêts, ces vallons respirent le calme, la paix, la paix qu’il faut pour Te servir ! » (58)
Et en 1816 :
« Ne nous réfugions pas dans la pauvreté pour nous prémunir contre la perte de la fortune ; ne nous privons pas d’avoir des amis pour nous épargner la douleur de les perdre ; ne craignons pas, enfin, d’engendrer des enfants dans la crainte que la mort ne nous les ravisse. Trouvons un préservatif à ces maux dans notre seule raison. » (88)
Trouvons dans notre seule raison…
Il lui arrivait de faire appel à Dieu, mais ce n’était jamais le Dieu dont parlait l’Église catholique.
C’est donc bien l’humain ; l’humanité qui était son horizon, avec sa grandeur et ses faiblesses.
Et c’est de cela qu’il parle dans ses œuvres.
Il y a bien sûr des œuvres de circonstances et même de l’humour, nous y reviendrons certainement. Mais quand il nous touche au plus profond, ce sont les cordes humaines qui sont en nous qui vibrent, l’émotion du miracle de la vie.
Dans l’ouvrage « Beethoven » paru dans la collection Génie et Réalités de Hachette, déjà cité hier, une des parties est rédigée par Jules Romain, l’écrivain inoubliable de « Knock ». Le chapitre qui lui ait réservé a pour titre « Beethoven tel qu’en lui-même »
Il écrit :
« Beethoven est à l’origine d’une innovation beaucoup plus considérable, qui eut pour effet une élévation de la musique quant à sa fonction spirituelle et à sa dignité. […]. Mais l’on peut soutenir, en gros, qu’avec Beethoven la musique se met au niveau des témoignages les plus élevés que l’âme humaine peut donner d’elle-même. […] Avec Beethoven, c’est la première fois que la musique partage avec la grande poésie et la philosophie la tâche et l’honneur de prononcer librement sur le monde, sur la place et la destinée de l’homme. […] Tout se passe, dans des cas privilégiés, comme si le discours musical allait éveiller dans l’âme de l’auditeur, par résonance, des pensées de même espèce que celles qui ont été à l’origine de ce discours. Sans doute, faut-il que l’âme de l’auditeur soit capable de les accueillir ; ou mieux, de les découvrir au fond d’elle-même ; autrement dit, de traduire en pensées plus ou moins distinctes ou radicalement ineffables, mais pareillement issues de ces profondeurs, le rayonnement modulé qu’elle reçoit. »
Beethoven, Hachette, Collection « Génies et Réalités » Page 251-252
Les mots sont bien fragiles et imparfaits pour décrire cette expérience.
Il faut se tourner vers la musique pour comprendre, ressentir pour comprendre.
Aujourd’hui je ne peux que vous proposer une œuvre de Beethoven jouée par François Frédéric Guy qui en est un interprète remarquable.
Il joue, dans un bis, <L’Adagio Cantabile> de la 8ème Sonate de piano opus 13 appelée « Pathétique ». Il s’agit du deuxième mouvement.
Et si vous avez encore quelques minutes …
Ce bis concluait son interprétation du concerto de piano N°5 « L’empereur » avec l’orchestre Philharmonique de radio France dirigé par Philippe Jordan. Les 3 mouvements sont en ligne. Mais pour entendre le mieux l’humanisme s’exprimer par des notes, il faut toujours aller vers les mouvements lents. Nul artifice pour faire briller, il n’y a que l’émotion à faire partager. C’est dans ces moments qu’on entend ce que le compositeur est capable d’exprimer et ce que le musicien est en mesure de communiquer :
< Adagio Un Poco Mosso du concerto N° 5 opus 73>
<1506>