C’est le journal <Les Echos> dans son édition du 5 mars 2018 qui l’écrit : « L’intelligence artificielle commence à faire parler les morts »
C’est ainsi qu’un américain et qu’une russe ont programmé des « chatbots » à partir d’anciennes conversations avec leurs proches décédés :
John James Vlahos est mort d’un cancer en février 2017. Son fils, James, continue pourtant de discuter avec lui via Facebook Messenger. Il a intégré sur le réseau social une intelligence artificielle (IA) de sa confection, le « dadbot ». Pour le programmer, ce journaliste américain a profité des derniers mois de vie de son père pour enregistrer leurs conversations. Sa passion pour le football américain, les origines grecques de sa famille, l’histoire de son premier chien… Les souvenirs de John James Vlahos, comme son sens de l’humour et sa façon de lui demander « How the hell are you ? », lui survivent désormais artificiellement dans le « dadbot », sollicitable à chaque instant, comme n’importe quel contact Facebook.
Et une femme russe a eu une idée analogue, elle habite San Fransisco. Cela reste donc une histoire américaine :
« Alors qu’elle pleurait son meilleur ami, décédé brutalement dans un accident de voiture, Eugenia Kuyda a tenté de l’immortaliser dans une IA baptisée « Replika ». Ce robot conversationnel, qu’elle a mis en route en 2016, s’est nourri des milliers de messages que les deux amis s’échangeaient en ligne. »
C’est un sociologue Patrick Baudry auteur de « La Place des morts, enjeux et rites » (L’Harmattan, 2006) qui dit :
« Avec ces technologies, on fait comme si la personne pouvait encore être là. C’est une tendance assez logique de notre culture contemporaine dans ses relations à la mort et aux morts ».
Perdre un être cher, c’est se retrouver face à une absence radicale, irréversible. James Vlahos et Eugenia Kuyda ont tous deux bricolé des « chatbots » pour se soustraire à cette réalité insupportable. Patrick Baudry explique :
« On a tous un penchant naturel à nier qu’une personne est partie […].
Mais là où, jadis, des rites funéraires accompagnaient la mort d’une personne, où les conventions sociales nous imposaient d’entrer en deuil et d’en sortir, notre société contemporaine laisse chacun se débrouiller à sa manière, et même rapproche de plus en plus le vivant et le mort. Bientôt, dans les entreprises de pompes funèbres, on proposera des hologrammes ! »
Les Echos donnent aussi la parole à une psychologue spécialiste du deuil : Véra Fakhry :
« Après une période de choc liée au décès, la phase suivante est de rechercher la personne décédée. On va croire qu’on la croise dans la rue, on va relire ses messages… Cette phase est normale la première année, mais si elle continue, elle devient pathologique »
Le réseau social Facebook avait déjà semé les germes de cette immortalité artificielle. En effet des profils de personnes défuntes, changées en mémorial sur Facebook, sont quotidiennement inondés de messages.
James Vlahos se fixe pourtant une limite à ce jeu bizarre :
« Pour moi, il y a une limite morbide à ne pas dépasser. Il ne faut pas essayer de créer quelque chose de trop réaliste »
Mais il avoue cependant :
« Essayer d’améliorer ‘dadbot’ tous les jours ».
Il comprend que son invention virtuelle ne remplacera jamais son père mais il voit dans cette technologie un bon moyen de « se souvenir de lui » et de transmettre ce souvenir à ses enfants.
Il est toujours compliqué de faire son deuil, mais être à la limite de nier la mort et se créer une illusion virtuelle simulant la présence de l’absent, me parait une réponse inappropriée et peu sage.
Il est à craindre cependant que dans l’avenir, des entreprises avides de business nouveaux proposent de telles béquilles virtuelles pour simuler la continuation de la présence d’un être cher en profitant de la détresse de celles et ceux qui sont dans le deuil.
Parfois, je viens à me demander si la religion n’est tout compte fait pas une solution plus sage que ces délires numériques.
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Très jolie réflexion sur la perte d’un être cher et sur le deuil. J’aime beaucoup.
La religion ou la spiritualité comme solution à « ces délires numériques » probablement, les églises ou les guides fanatisés surement pas
Cela va sans dire qu’il s’agit de spiritualité et non pas d’entreprises sectaires.
Bonjour, Alain,
Je lis ton article sur les dadbots.
Pour moi, je découvre un phénomène que je trouve juste obscène.
Ça me fait penser à ces gens qui font empailler leur chien pour le poser sur la cheminée.
Ou à Barbara Streisand, qui a fait cloner sa chienne.
L’humanité est étonnante.
Et j’aime bien ta phrase de fin :
« Parfois, je viens à me demander si la religion n’est tout compte fait pas
une solution plus sage que ces délires numériques. »
Cordialement,