Mardi 13 mars 2018

« Les démocraties détruisent tous les leaderships. C’est un grand sujet, ce n’est pas un sujet anecdotique ! »
Nicolas Sarkozy lors d’une conférence à Abu Dhabi

Hier, j’opposais la démocratie allemande à ce que nous vivions en France.

Soyons juste, au regard de l’Histoire l’apport à la démocratie libérale de l’Allemagne n’est pas déterminante.

Le pays qui est à la source de la démocratie libérale moderne est indiscutablement la Grande Bretagne, puis les Etats-Unis ont aussi fait leur part.

La France a également joué son rôle mais beaucoup plus par la parole, les concepts, les déclarations, les idées que par la froide réalité des faits.

Si on remonte à 1780, jamais ni aux Etats-Unis, ni en Grande Bretagne, il n’y a eu le régime de terreur de la Convention, ni un Napoléon Ier, ni un Napoléon III, ni un Charles X, ni bien sûr un Pétain. Et aujourd’hui encore notre système démocratique est largement inachevé : manquant de contre-pouvoir, beaucoup trop centré sur le Président et sa cour de l’Elysée.

Mais si on parle de L’Allemagne : Avant 1945, la démocratie est inexistante et, lors de la petite période de la République de Weimar, vacillante et surtout conduisant au mal absolu.

La démocratie allemande actuelle a été imposée par les alliés et notamment les Etats-Unis. Mais depuis, ayant appris de leur terrible Histoire, les allemands ont peu à peu construit un système démocratique assez exemplaire, en tout cas beaucoup plus que le système français où il y en a encore qui discute de l’intérêt du non cumul des mandats ou de la limitation du nombre de mandats successifs…

Mais pour toujours parler de la démocratie, j’ai lu des articles qui relataient des propos de l’ancien Président de la République, qui puisant dans son expérience accepte des emplois de conférencier dans le monde.

Il a donc été invité par les Émirats arabes unis il y a une semaine pour tenir une conférence dans laquelle il était question des différents leaders politiques mondiaux actuels et de la…fragilité ? des démocraties.

Vous trouverez derrière <ce lien un article du Point sur la conférence tenue par le président Nicolas Sarkozy à Abu Dhabi> :

L’ancien président de la République participait donc à la conférence « Abu Dhabi Ideas Week-End », samedi 3 mars 2018, et a tenu un discours de près d’une heure devant environ 150 personnes.

Des journalistes notamment du Monde se sont procurés l’enregistrement audio de son intervention, axée sur les grandes problématiques du monde.

La vision de Nicolas Sarkozy met en avant le rôle prépondérant de la Russie et de la Chine. Il développe aussi son point de vue sur les démocraties, menacées, selon lui par manque de grands leaders.

Pour Nicolas Sarkozy, les grands leaders du monde actuel ne sont pas les dirigeants des démocraties.

« Quels sont les grands leaders du monde aujourd’hui ?

Le président Xi, le président Poutine – on peut être d’accord ou pas, mais c’est un leader –, le grand prince Mohammed Ben Salman [d’Arabie saoudite].
Et que seraient aujourd’hui les Emirats sans le leadership de MBZ [Mohammed Ben Zayed] ? »

Il donne les raisons pour lesquelles, selon lui, les démocraties ne parviennent plus à dégager des grands leaders :

« Quel est le problème des démocraties ? demande l’ancien président. C’est que les démocraties ont pu devenir des démocraties avec de grands leaders : de Gaulle, Churchill…

Mais les démocraties détruisent tous les leaderships. C’est un grand sujet, ce n’est pas un sujet anecdotique ! […]
Les démocraties sont devenues un champ de bataille, où chaque heure est utilisée par tout le monde, réseaux sociaux et autres, pour détruire celui qui est en place. Comment voulez-vous avoir une vision de long terme pour un pays ?
C’est ce qui fait que, aujourd’hui, les grands leaders du monde sont issus de pays qui ne sont pas de grandes démocraties. »

Puis il oppose le grand leader et le leader populiste. Il m’étonne un peu quand il prétend que le dirigeant actuel de la Hongrie n’est pas populiste. Voilà ce qu’il dit :

« D’abord pour moi, M. Orban en Hongrie [le premier ministre], c’est pas un populiste. Mais là où il y a un grand leader, il n’y a pas de populisme !

Où est le populisme en Chine ? Où est le populisme ici ? Où est le populisme en Russie ? Où est le populisme en Arabie saoudite ?

Si le grand leader quitte la table, les leaders populistes prennent la place. Parce que la polémique ne détruit pas le leader populiste, la polémique détruit le leader démocratique. »

Et enfin, encore plus surprenant il défend l’idée du mandat prolongé du président chinois Xi Jinping, certains disent « mandat à vie ». C’est d’autant plus étonnant que c’est lui qui a œuvré, en France, pour que le Président de la République ne puisse être réélu qu’une seule fois pour une présidence donc limitée à 10 ans :

« Le président Xi considère que deux mandats de cinq ans, dix ans, c’est pas assez. Il a raison ! Le mandat du président américain, en vérité c’est pas quatre ans, c’est deux ans : un an pour apprendre le job, un an pour préparer la réélection. Donc vous comparez le président chinois qui a une vision pour son pays et qui dit : “Dix ans, c’est pas assez”, au président américain qui a en vérité deux ans. Mais qui parierait beaucoup sur la réélection de Trump ?

Ce matin, j’ai rencontré le prince héritier MBZ. Est-ce que vous croyez qu’on construit un pays comme ça, en deux ans ? Ici, en cinquante ans, vous avez construit un des pays les plus modernes qui soient. La question du leadership est centrale. La réussite du modèle émirien est sans doute l’exemple le plus important pour nous, pour l’ensemble du monde.

J’ai été le chef de l’Etat qui a signé le contrat du Louvre à Abou Dhabi. J’y ai mis toute mon énergie. MBZ y a mis toute sa vision. On a mis dix ans ! En allant vite ! Sauf que MBZ est toujours là… Et moi ça fait six ans que je suis parti. »

Le concept du mandat à vie fait aussi rêver Donald Trump comme le raconte le journal « Les Echos ». « Il est président à vie, président à vie. Il est formidable », a lancé Donald Trump face à ses partisans lors d’une levée de fonds en Floride.

Le président américain faisait référence à l’annonce dimanche dernier, de la fin de la limitation du nombre de mandats présidentiels en Chine et il a ajouté :

« Vous voyez, il a été capable de le faire. Je pense que c’est super. Peut-être que nous devrions tenter le coup, un de ces jours ».

Quelle horrible perspective : Donald Trump, président à vie !

Mais pour revenir au propos de Nicolas Sarkozy …

On ne peut qu’être d’accord avec son constat que pour faire bouger un pays, il faut une vision à long terme.
Je pense que sur ce point il n’y a pas débat.

Evidemment que dans les pays non démocratiques, avec donc des dictateurs (je trouve, dans ce cas, le terme de leader inapproprié) une vision à long terme est plus facile à mettre en œuvre.

Mais est-ce que le sort des citoyens de ces pays non démocratiques est enviable ? Y a-t-il moins de corruption ? Moins d’inégalité ? Plus de bonheur et de joie ? Plus de vie ?

Alors le problème est-il celui du leadership qu’on « dézingue » sans cesse dans les pays démocratiques ?

Je vais reprendre l’exemple de l’Allemagne depuis 1945. Il y a eu des chanceliers sérieux et respectables, mais était-ce des leaders dans le sens évoqué par Nicolas Sarkozy ?

Je ne pense pas, je pense qu’il y avait une classe politique de qualité et même s’il y avait des alternances, un parti ne passait pas son temps à détruire ce qu’avait fait son prédécesseur, surtout pour des motifs idéologiques. Il y avait une certaine continuité sur les problèmes fondamentaux, rendant ainsi possible une vision à long terme.

Plus que jamais je ne crois pas un seul instant, surtout dans le monde aujourd’hui, au besoin d’un chef omnipotent qui sait tout ou presque et qui décide de tout.

Je crois dans le besoin d’un travail en équipe, dans l’écoute et l’enrichissement mutuel. Bien sûr il faut à un moment qu’une femme ou qu’un homme (à dessein je l’écris dans ce sens) qui porte le programme, le travail de l’équipe. Mais ce rôle doit être précaire, l’intelligence du projet et de l’organisation se trouve justement dans la capacité de pouvoir remplacer assez facilement le leader par un autre membre de l’équipe. Et c’est excessivement dangereux pour l’équilibre des pouvoirs et même la santé mentale du leader précaire de se croire indispensable et irremplaçable.

Le fait qu’on a du mal à remplacer le leader ou même qu’on ne voit pas qui pourrait remplacer le leader est révélateur, selon moi, d’un grave problème.

La continuité se trouve dans l’équipe pas dans le leader à qui il peut arriver tant de choses, la mort par exemple.

Par ailleurs, l’idée que le leader puisse être remplacé par sa fille, son fils ou son épouse est elle aussi totalement incongrue, vestige d’une époque monarchique ou féodale qui n’a plus aucune pertinence aujourd’hui. L’idée que dans une équipe, la personne la plus appropriée pour succéder au leader est un de ses enfants n’a jamais pu être prouvée par la génétique et constituent certainement une insulte aux probabilités sur la répartition des compétences entre les gens.

Voici donc ce que m’inspirent ces propos de l’ancien président dont je partage le diagnostic, mais dont je récuse absolument la thérapie.

Je m’inscris tout simplement dans l’héritage de Mendès-France. Je vous renvoie à l’un des mots du jour consacré à ce grand visionnaire : <Celui du 1er octobre 2015>

<1035>

Une réflexion au sujet de « Mardi 13 mars 2018 »

  • 13 mars 2018 à 8 h 16 min
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    La nostalgie du leader vient de notre incapacité à s’entendre sur des projets communs forcément issus de compromis où certains ont quelque chose à perdre dans l’immédiat pour le bien de tous à plus long terme.
    Le contexte de la société moderne où nous vivons dans l’instantanéité contribue à aggraver le problème en ouvrant largement le champ aux démagogues.
    Que l’on puisse rêver d’un dirigeant élu suffisamment dotés de pouvoirs pour imposer une ligne politique approuvée avec une vision à long terme ne me paraît pas déplacé, pour autant, qu’on puisse demander sa permanence institutionnelle me paraît incongru et dangereux

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