C’est La revue de Presse de Claude Askolovitch <du 14 février 2022> qui m’a fait découvrir l’article du New York Times traduit en français sur son site et accessible gratuitement : < Le départ en sourdine des musulmans de France>
Claude Askolovitch rappelle :
« Qui lit le New York Times le sait, ce journal américain juge souvent la France dont la laïcité jacobine ne lui correspond pas… »
Je serais plus direct : le New York Times n’aime pas la France républicaine et laïque. Il a osé donner pour titre à l’article qui relatait la décapitation de Samuel Paty par un tchétchène se réclamant de l’Islam :
« La police française tire et tue un homme après une attaque mortelle au couteau dans la rue »
J’avais relaté ce fait dans le mot du jour du <28 octobre 2020>
Mais il faut savoir sortir de sa zone de confort et aussi lire et écouter ses adversaires.
D’autant que cette fois, le New York Times ne se contente pas d’asséner ses certitudes mais révèle, pour l’essentiel, le résultat d’une enquête menée par deux de ses journalistes : Norimitsu Onishi et Aida Alami
C’est une enquête qui parle d’exil. Les journalistes évoquent : « La France et son âme meurtrie ».
Il utilisent cette expression pour parler d’un premier exilé qui est un écrivain français, né à Saint-Étienne en 1983, dans une famille d’origine algérienne : Sabri Louatah :
« La France et son âme meurtrie sont le personnage invisible de chacun des romans de Sabri Louatah […] Il évoque son « amour sensuel, charnel, viscéral » pour la langue française et son fort attachement à sa ville d’origine, Saint-Étienne, baignant dans la lumière caractéristique de la région. Il suit de près la campagne des prochaines élections présidentielles.
Mais M. Louatah fait tout cela depuis Philadelphie, devenue sa ville d’adoption depuis les attentats de 2015 en France par des extrémistes islamistes qui ont fait 130 victimes et profondément traumatisé le pays. Avec le raidissement de l’opinion qui a suivi à l’égard de tous les Français musulmans, il ne se sentait plus en sécurité dans son propre pays. Un jour, on lui a craché dessus et on l’a traité de « sale Arabe ». »
Et il déclare à ces journalistes :
« C’est vraiment les attentats de 2015 qui m’ont fait partir — j’ai compris qu’on n’allait pas nous pardonner. »
Et le New York Times de révéler que cela fait des années que la France perd des professionnels hautement qualifiés partis chercher plus de dynamisme et d’opportunités ailleurs. Parmi eux, d’après des chercheurs universitaires, on trouve un nombre croissant de Français musulmans qui affirment que la discrimination a été un puissant facteur de leur départ et qu’ils se sont sentis contraints de quitter la France en raison d’un plafond de verre de préjugés, d’un questionnement persistant au sujet de leur sécurité et d’un sentiment de non-appartenance.
Nous devons convenir avec le journal américain que ni les politiciens ni les médias n’évoquent ce flux d’émigration.
Ils citent Olivier Esteves, professeur au Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales de l’Université de Lille qui a mené une enquête auprès de 900 Français musulmans émigrés, dont des entretiens approfondis avec 130 d’entre eux :
« La France se tire une grosse balle dans le pied. »
Le New York Times reprend alors des éléments de ce qui se passe dans notre campagne présidentielle actuelle qui est, selon moi, d’une indigence absolue :
« [Les musulmans] sont associés à la criminalité ou à d’autres fléaux sociaux par le biais d’expressions-choc telles que « les zones de non-France », décrites par Valérie Pécresse, la candidate de centre-droit actuellement au coude-à-coude avec la cheffe de file d’extrême droite Marine Le Pen pour la deuxième place derrière M. Macron. Ils sont pointés du doigt par le commentateur de télévision et candidat d’extrême-droite Éric Zemmour, qui a déclaré que les employeurs avaient le droit de refuser des Noirs et des Arabes. »
Ces exilés vont s’installer aux Royaume-Uni et aux États-Unis, pays pour lesquels Les journalistes américains reconnaissent « [qu’ils] sont loin d’être des paradis libres de discriminations à l’encontre des musulmans ou d’autres groupes minoritaires » mais dans lesquels ces français de religion musulmane affirment trouver davantage d’opportunités et d’acceptation.
Et il cite un autre de ces exilés Amar Mekrous, 46 ans qui s’est installé à Leicester en Angleterre :
« Il n’y a qu’à l’étranger que je suis français. […] Je suis français, je suis marié à une Française, je parle français et je vis français. J’aime la bouffe, la culture françaises. Mais dans mon pays, je ne suis pas français. ».
On apprend que ces chercheurs lillois se sont associés à des chercheurs de trois autres universités (Liège et la KU Leuven en Belgique, et celle d’Amsterdam aux Pays-Bas) pour une étude de l’émigration de musulmans depuis la France, mais aussi depuis la Belgique et les Pays-Bas.
Un de ces chercheurs, Jérémy Mandin, qui a participé à cette étude explique que :
« Nombre de jeunes Français musulmans étaient désenchantés par le fait « d’avoir joué selon les règles, d’avoir fait tout ce qu’on ce qu’on leur avait dit et, au final, de ne pas accéder à une vie désirable. »
Parce qu’il y a une discrimination à l’embauche et aussi un ras le bol de tracasseries dans le quotidien :
« Malgré ses diplômes de droit européen et de gestion de projet, Myriam Grubo, 31 ans, dit qu’elle n’a jamais réussi à trouver d’emploi en France. Après une demi-douzaine d’années à l’étranger — Genève d’abord, à l’Organisation Mondiale de la Santé, puis au Sénégal à l’Institut Pasteur de Dakar — elle est revenue à Paris chez ses parents. Elle cherche un emploi — à l’étranger. « Me sentir étrangère dans mon pays me pose un problème » dit-elle, ajoutant qu’elle a envie qu’on la « laisse tranquille » pour pratiquer sa foi. »
Le New York Times cite encore quelques autres exemples dont Rama Yade qui fut dans le gouvernement, sous la présidence Sarkozy, et qui a également quitté la France.
Aucun des exemples cités par le New York Times ne correspond au profil de cette petite minorité de marchands de haine ou encore de marchands de poupée sans visage ou de croyants archaïques qui prônent des valeurs en contradiction absolue avec nos valeurs républicaines.
Mais pour diverses raisons, les autorités étatiques et municipales n’ont pas agi de manière sérieuse et rigoureuse pour lutter contre ces dérives minoritaires.
Et nous arrivons désormais à une situation dans laquelle les identitaires parviennent à mobiliser de plus en plus largement dans les deux camps : celui des anti-musulmans et celui en face de français de confession musulmane qui sont également entrainés dans un repli sur soi allant jusqu’à des comportements sectaires.
Tout cela au détriment de la plus grande partie des français de confession musulmane qui sont pratiquants ou non mais qui se sentent rejetés, discriminés et comme le dit Amar Mekrous sentent qu’on nie leur appartenance à la nation française.
Claude Askolovitch termine sa citation de l’article du New York Times par cette question :
Est-ce rattrapable ?
Nous devons nous rappeler que l’Histoire de France a connu un autre grand exode pour des raisons religieuses dans le passé. C’était après la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV. Les français de foi protestante se sont enfuis de France pour rejoindre les élites des Pays-Bas, de la Suisse et de l’Allemagne notamment à Berlin. Ils ont alors enrichis par leur présence, leur dynamisme et leur travail ces pays et la France, en retour, a perdu cette richesse intellectuelle et économique.
Nous ne sommes pas exactement dans le même cas, car à l’époque de Louis XIV les persécutions étaient plus explicites et émanaient directement de l’État central.
Aujourd’hui les discriminations ne sont pas de même niveau et n’émanent pas pour l’essentiel de l’État.
Mais des femmes et des hommes, comme les présentent le New York Times, qui ont le courage et la détermination de quitter le pays où ils sont nés pour aller vivre et réussir leur vie ailleurs sont forcément des personnes de grande qualité et appartiennent à une élite réelle. S’en priver est, comme l’écrit Olivier Esteves, se tirer une balle dans le pied.
<1651>
Les situations relatées dans cet article sont sûrement regrettables et dommageables mais me semble-t-il encore marginales si on en juge par d’autres informations comme celle tout récente de l’arrivée attendue en France de 1200 médecins algériens reçus aux épreuves de vérification des connaissances sur 1993 candidats (février 2022).
Il en va pas de même pour l’Algérie qui perd ses élites préférées à d’autres candidats européens jugés moins proches de la culture française.
Tu as parfaitement raison. Mais ce que l’article du New York Times souligne, c’est le départ de français qui seraient très utiles à la France.
Pour le dire de façon brutale, la politique actuelle ainsi que le comportement de la société française fait fuir des personnes issues de la communauté musulmane que la France gagnerait à pleinement intégrer, mais ne fait pas partir la minorité d’archaiques ou de méchants qui constituent une menace pour la sécurité ou au moins un immense embarras pour notre manière de vivre et notre distance avec les religions qui prennent toute la place.