Lundi 7 mai 2018

« Mass »
Léonard Bernstein (1918-1990)

Léonard Bernstein est né le 25 août 1918. C’est encore un peu tôt pour fêter son centième anniversaire, mais les circonstances font que je voudrais aujourd’hui vous parler d’une œuvre qui à mon avis est absolument géniale : « Mass ».

Et j’ai découvert qu’ARTE a retransmis le remarquable concert qui avait eu lieu à la Philharmonie de Paris le 22 mars 2018 et qu’il est possible de voir et d’écouter ce spectacle en replay pendant quelques mois.

Donc pour tous celles et ceux qui sont pressés et aiment aller à l’essentiel :

Voici le lien vers le site de la Philharmonie : <Live.philharmoniedeparis.fr – Bernstein : MASS>

La Philharmonie ne permet plus de voir qu’un extrait. Si vous voulez voir l’intégralité il se trouve après une page de publicité derrière ce lien <Bernstein : MASS à la Philharmonie de Paris>.

Le programme de la Philharmonie introduit cette œuvre de la manière suivante :

« Mass de Bernstein est une des partitions les plus foisonnantes de l’histoire de la musique, passant dans l’instant de l’expérimentation ludique à une comédie musicale, d’une fanfare à un gospel. Cette grande messe est un objet musical peu identifié qui mêle jazz, rock, classique aux sons de batteries, de guitares électriques, de synthétiseurs, portée par une liberté de ton donnant l’impression d’un happening sans limites.  »

ARTE la présente ainsi : «

« Œuvre aussi grandiose qu’iconoclaste, […] cette messe pas comme les autres se situe à la frontière de l’oratorio et de la comédie musicale. »

ARTE annonce que la vidéo sera disponible jusqu’au 21/03/2020, ce qui m’étonne mais donne à chacun le temps de visionner cette « OVNI ». (Œuvre Vocale Non Identifié)

Si vous souhaitez en savoir un peu plus et me donner le temps de tenter d’expliquer pourquoi, cette œuvre assez méconnue jusqu’ici, est exceptionnelle, je vous invite à lire la suite de ce mot du jour.

J’ai découvert cette œuvre il y a environ quinze ans par l’enregistrement qu’en a fait le compositeur lui-même à la suite de sa création en 1971.

Il faut d’abord parler de Léonard Bernstein.

Il est né dans le Massachusetts, de parents juifs ukrainiens. <TELERAMA> nous apprend que son père voulait en faire un rabbin. Mais la musique le saisit d’abord comme interprète puis comme compositeur.

Il devint, bien sûr, mondialement célèbre en composant la musique de la comédie musicale « West Side Story »

C’était un homme charismatique, plein de fougue et d’excès, j’y reviendrai dans un mot du jour ultérieur, plus proche de sa date anniversaire.

Mais c’était un musicien extraordinaire. La grande cantatrice allemande Christa Ludwig qui a beaucoup travaillé avec le musicien dit en toute simplicité :

«Leonard Bernstein ne faisait pas de la musique, il était la musique!»
(Propos rapportés par le Figaro du 18 mars 2018)

Lors de sa disparition subite, le 14 octobre 1990, des suites d’une crise cardiaque, le New York Times titrait : « Music’s Monarch, Dies » (Le seigneur de la musique est mort).

Il était surtout très éclectique et s’intéressait à toutes les musiques, le jazz, le rock.

Et <France Musique> nous apprend que dans une émission diffusée en 1967 sur CBS, Inside Pop – The Rock Revolution, Léonard Bernstein a osé cette comparaison :

« Les Beatles sont les Schubert de notre temps »

Je ne partage pas cette vision …

D’ailleurs je pense que les mélomanes spécialisés dans la musique classique auront plus de mal à entrer en résonance avec « Mass » que ceux qui se sentent plus proches du jazz et du rock. Il n’est pas rare que des musiciens de rock aient introduit dans leurs spectacles des morceaux de musique classique, le contraire est quasi inexistant. Léonard Bernstein l’a fait pour la première fois, à ma connaissance

Mais si les habitués de la musique classique auront du mal, il est aussi possible que les croyants catholiques aient du mal : car Mass n’est pas une messe, mais un « oratorio scénique » pour chanteurs, musiciens et danseurs qui se base sur le texte liturgique catholique mais pour en faire une chose très différente : une interrogation sur la spiritualité, une interpellation très vive de Dieu.

<Le site Qobuz> explique :

« Difficile de classer Mass de Bernstein, créée en 1971. Il ne s’agit pas vraiment d’une messe à proprement parler, […] et l’argument pourrait être celui d’une sorte de service divin qui tournerait au vinaigre avant de retrouver, finalement, la paix universelle. Au début, tout le monde semble d’accord, puis les « musiciens de rue » commencent à questionner la nécessité, voire même l’existence, d’un dieu. La cacophonie qui s’installe jusqu’à l’Élévation catastrophique est finalement apaisée après que le serviteur de la messe rassemble tous les esprits autour de la divinité et un dernier « allez en paix ». Bernstein a rassemblé dans sa partition tous les éléments possibles et imaginables de la musique du XXe siècle : jazz band, blues, ensemble de rock, Broadway, expressionnisme, dodécaphonisme, modernisme qui n’est pas sans rappeler Britten, musique de rue, fanfare, voix classiques mêlées aux voix de rock et de jazz et aux récitations du Gospel : une véritable Tour de Babel qu’il n’est pas nécessairement facile de rassembler autour d’un même souffle. »

Mais revenant au commencement. Léonard Bernstein, de nombreux signes le montrent est profondément ancré dans la tradition juive et hébraïque. Par exemple dans ses œuvres plus académiques : ses symphonies, la première est consacrée au grand prophète juif « Jérémie » et la troisième porte pour titre « Kaddish », la prière juive par excellence.

Donc cela peut sembler une incongruité que Jacqueline Kennedy demande à Léonard Bernstein de consacrer une œuvre « religieuse » en l’honneur du président assassiné, premier président et il me semble toujours seul président des États-Unis catholique. Car il faut quand même rappeler qu’au centre de cette liturgie catholique, plus précisément dans le « Credo » se trouve cet acte de Foi « Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique.  » prompte à éloigner tous ceux qui ne partagent pas cette croyance

Et c’est ainsi que « Mass » est né et a été interprété pour la première fois au John F. Kennedy Center for the Performing Arts, le 8 septembre 1971

Il faut noter que Léonard Bernstein fut très ami avec la famille Kennedy.

Bernstein s’entoura d’un groupe de collaborateurs dont certains illustres pour créer cette pièce de théâtre pour chanteurs, comédiens et danseurs comme par exemple Alvin Ailey, Gordon Davidson, Roger LM. Stevens. Les textes complémentaires au texte liturgique furent écrits par Léonard Bernstein lui-même mais aussi en partie par Stephen Lawrence Schwartz.

MASS commence par un Kyrie sur le texte traditionnel dans une musique très moderne et assez chaotique mais très vite remplacé par un chant de l’officiant qui joue un rôle central dans cette pièce.

Le livret qui accompagne l’enregistrement de Bernstein écrit :

« Il existe pour accéder à cette œuvre une clé qui réside dans les toutes premières paroles chantées par le célébrant : « Chantez au Seigneur un chant simple ».

Vous pouvez entendre dans la version de Bernstein ce « Simple song »

« Mass était probablement « un chant simple » pour Léonard Bernstein, cet homme au génie créateur le plus complexe que l’Amérique ait jamais produit. Il voulait s’exprimer sur la nécessité pour chacun de nous de posséder et de cultiver une vie spirituelle au sein de notre vie de tous les jours. »

<Le site de la Cité de la Musique donne aussi des clés> :

« 1971 : les États-Unis sont en pleine guerre du Vietnam et Leonard Bernstein compose sa messe. Pour l’anecdote, le chef du FBI aux États-Unis, J. Edgar Hoover, envoya un message au procureur général du président Richard Nixon pour l’informer que cette œuvre, programmée pour l’ouverture du nouveau centre d’arts et concerts de Washington – le Centre Kennedy – pouvait contenir un texte subversif. Faisait-on allusion au texte « Dona Nobis Pacem » ? Toujours est-il que Richard Nixon n’est pas venu à la première.

Mass est une œuvre complètement liée à son époque. […] On sent, d’un côté, le désespoir de ceux dont les repères moraux et religieux ont été bousculés, mais aussi l’optimisme de ceux qui cherchent un nouveau chemin spirituel. […]

Les véritables intentions de Bernstein étaient d’une part d’ouvrir la messe catholique à un œcuménisme spirituel et musical, d’autre part de protester contre l’indifférence de Dieu face aux horreurs de la guerre en cours au Viêtnam.

La crise de foi du jeune célébrant qui, après le « Dona nobis pacem », jette violemment par terre les sacrements et, vêtements liturgiques et linge de l’autel arrachés, saute sur l’autel et commence à danser, exprime l’inquiétude et la rage de la génération soixante-huitarde. Dans le contexte socio-politique de l’époque, il était évident que la contestation du jeune célébrant ne concernait pas seulement Dieu et le formalisme liturgique, mais aussi les responsables de la guerre du Viêtnam, le président Nixon en tête qui, à l’occasion de la création de Mass, laissa volontiers sa place à la veuve du président assassiné, Jacqueline, désormais épouse d’Onassis. »

Le Monde est très élogieux sur l’interprétation qui a été produite à la philharmonie de Paris : « « Mass », de Bernstein, une œuvre pop, classique et hippie »

Les deux acteurs principaux de cette réussite sont « Jubilant Sykes » qui incarne le « célébrant et le chef d’orchestre anglais « Wayne Marshall ».

Le replay d’ARTE n’est plus actif, mais vous pouvez trouver des extraits : <ICI> ou <ICI>

Et si vous avez besoin d’un aperçu plus court (2mn) écoutez cet extrait du Gloria dans une autre interprétation au Prom’s de Londres : « Mass – Gloria – BBC Proms 2012 ».

Je pense cependant que toutes ces versions, très bonnes du point de vue musicales, restent un peu statiques par rapport à la version initiale dont la chorégraphie était l’œuvre  d’Alvin Ailey. J’ai trouvé des extraits d’un spectacle sur un  site entièrement consacré à léonard Bernstein, je pense que l’organisation scénique est plus proche de ce qu’avait imaginé Bernstein et Ailey : <Trailer de Mass>

<1065>

Une réflexion au sujet de « Lundi 7 mai 2018 »

  • 9 mai 2018 à 17 h 39 min
    Permalink

    Quel bel OVNI !!!
    Merci de nous faire partager de tels moments…

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