Lundi 25 novembre 2019

« Les enfants d’Isadora »
Film de Damien Manivel autour d’une danse composée en 1923 par Isadora Duncan

Avec Annie, nous allons peu au cinéma. Mais nous avons eu le désir d’aller voir « Les enfants d’Isadora ».

Ce film ne répond pas, mais alors pas du tout aux standards des films américains, films qu’on nomme blockbuster. Si vous voulez en savoir plus sur le sujet des superproductions américaines, vous pouvez lire cet article de « Slate.fr » : « La recette du blockbuster » qui vous renverra vers un livre d’un scénariste américain : Blake Snyder : « Les règles élémentaires pour l’écriture d’un scénario. ».

Pour suivre ce modèle, auquel beaucoup de spectateurs se sont habitués, il faut de l’action, des bons et des méchants, des scènes qui s’enchainent rapidement etc.

« Les enfants d’Isadora » est un film lent, très lent. C’est à ce prix qu’on obtient la poésie et la grâce.

Le film raconte des femmes qui sont fascinées par une danse composée en 1923 par la grande chorégraphe américaine Isadora Duncan : « Mother »

<Isadora Duncan> est née en 1877 à San Francisco, et morte tragiquement le 14 septembre 1927 à Nice.

C’est une danseuse américaine qui révolutionna la pratique de la danse et apporta les premières bases de la danse moderne européenne, à l’origine de la danse contemporaine.

Elle donna une place particulière à l’harmonie du corps, à la beauté. Elle osa des danses presque nue, simplement couverte par quelques voiles avec un retour au culte des corps et au modèle des figures antiques grecques.

Elle fonda plusieurs écoles de danse aux États-Unis et en Europe et même en Russie après la révolution soviétique où elle adhéra, un temps, à l’idéal révolutionnaire.

Elle fut, à Paris, la voisine d’Auguste Rodin, « son ami et son maître » selon son récit « Ma vie » publiée en 1927.

Et, lorsque le théâtre des Champs-Élysées est construit en 1913, son portrait est gravé par Antoine Bourdelle dans les bas-reliefs situés au-dessus de l’entrée, et peint par Maurice Denis sur la fresque murale de l’auditorium représentant les neuf Muses.

Elle fut totalement non conventionnelle dans son art, comme dans sa vie.

Elle eut des enfants sans être marié, fut aussi bisexuelle et de mœurs très libres.

Elle meurt tragiquement le 14 septembre 1927 à Nice : le long foulard de soie qu’elle porte se prend dans les rayons de la roue de la voiture dans laquelle elle était montée. Elle est brutalement éjectée du véhicule et meurt sur le coup dans sa chute sur la chaussée. Elle a été incinérée et ses cendres reposent à Paris au columbarium du cimetière du Père-Lachaise

Avant cela, en 1913 elle vécut une tragédie.

Ses deux enfants, tous deux hors mariage : Deirdre, née le 24 septembre 1906, et Patrick, né le 1er mai 1910, se noyèrent dans la Seine le 19 avril 1913. Les enfants se trouvaient dans la voiture avec leur nourrice de retour d’une journée d’excursion pendant qu’Isadora était restée à la maison. La voiture fit un écart pour éviter une collision. Le moteur cale, le chauffeur sort de la voiture pour faire redémarrer le moteur à la manivelle mais il a oublié de mettre le frein à main ; dès qu’il fait démarrer la voiture, celle-ci traverse le boulevard Bourdon, dévale la pente et les deux enfants et leur nourrice meurent noyés dans la Seine à Neuilly-sur-Seine.

Quelques mois plus tard, le 1er août 1914, Isadora Duncan accouche d’un enfant qui ne vivra que quelques heures. Elle écrira dans « Ma vie » :

« Je crois qu’à ce moment-là, j’atteignis le sommet de la douleur humaine, car avec cette mort il me semblait que mes autres enfants mouraient encore une fois ; c’était comme la répétition de la première agonie, avec quelque chose qui s’y ajoutait encore. »

Et puis, 10 ans plus tard, en 1923 à Kiev, sur une musique de Scriabine, elle créa une danse pour dire Adieu à ses enfants morts. Danse qu’elle appela « Mother ».

Un très bel article de « Libération » explique :

« En 1923, dix ans après avoir tragiquement perdu ses deux enfants, la pionnière de la danse moderne Isadora Duncan créait Mother, un solo funèbre et mythique dont il n’existe ni film d’époque ni photographie. Juste une partition – grâce au système de notation Laban, que peu d’experts savent déchiffrer -, à laquelle s’ajoutent les récits que se sont transmis corporellement et de manière quasi légendaire les disciples de la chorégraphe, et ces quelques lignes : «Ma danse était endormie depuis des siècles et mon chagrin l’a réveillée.»

Et tout le film est la recherche de femmes danseuses, pour retrouver les gestes et les pas de cette danse à partir de la partition pour créer l’indicible et l’émotion.

Le réalisateur Damien Manivel, né en 1981 avait commencé sa vie artistique par la danse contemporaine, il fait partager à ses actrices son désir de retrouver le geste bouleversant de l’immense artiste du début du XXème siècle pour surmonter sa souffrance.

<Slate> qui a également encensé ce film écrit :

« Ce qui est à venir est, malgré l’apparente absolue modestie du film, d’une ampleur immense. Il s’agit du travail, et il s’agit de la mort; il s’agit du deuil et de la manière dont des œuvres peuvent affronter l’abîme insondable de la douleur.

Il s’agit des puissances souterraines et sidérantes de la vie, et de sourcières qui en détectent les possibles résurgences. Qui parfois en permettent les triomphants jaillissements, même dans la pénombre d’une marge. […]

Les Enfants d’Isadora, c’est la promesse, dans le monde, avec les autres, en soi-même, de la possibilité d’une élégance du geste, d’une harmonie de formes, d’un accord entre des rythmes intérieurs et extérieurs. Ce film a su nous approcher de cela; il inspire une infinie gratitude. »

L’intelligence de Damien Manivel est de construire cette quête en 3 actes.

D’abord une jeune danseuse parisienne qui travaille, étudie, réfléchit, essaie la partition avec les doutes qu’on perçoit, il n’y a quasi aucune parole échangée lors de ce premier acte.

L’actrice qui incarne ce premier rôle est Agathe Bonitzer. Quand elle parvient au geste d’émotion, le réalisateur passe au second acte.


Ce second acte se joue dans un théâtre dans lequel une chorégraphe (Marika Rizzi) répète avec une adolescente trisomique (Manon Carpentier), cette même danse. Au début les gestes sont très éloignées de ceux auxquels était arrivée la danseuse précédente. Mais peu à peu, Manon trouve aussi le chemin pour s’approprier « mother ».

Le troisième acte est étrange, on voit une femme noire massive qui assiste au spectacle « Mother », sans que jamais le spectacle ne soit montré, et qui pleure.

Après un long et pénible voyage pour retourner dans son appartement, dans lequel on comprendra qu’elle a également perdu un enfant, elle esquissera aussi des gestes de cette chorégraphie.

Slate m’apprend que l’actrice qui joue ce rôle est Elsa Wolliaston, jamaïcaine et américaine qui vit en France et qui est une grande figure de la danse contemporaine africaine.

Slate écrit à son propos:

« Cette femme a tout d’un monument: une puissance qui sait la fragilité, une légèreté et une détermination qui d’emblée en imposent. Cette femme est
un monument. »


Un acte de grâce et d’humanité.

On trouve une photo sur Wikipedia qui montre Isadora Duncan avec ses deux enfants Deirdre et Patrick en 1912.

Un site consacré à la Danse publie aussi un article sur ce film et rapporte une autre phrase d’Isadora Duncan qui prend tout son sens au bout de la quête poursuivie par ce film :

« La vraie danse est la force de la douceur : elle est commandée par le rythme même de l’émotion profonde »

La musique sur laquelle ce solo a été dansée est l’<Etude opus 2 N° 1 d’Alexandre Scriabine>

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Une réflexion au sujet de « Lundi 25 novembre 2019 »

  • 25 novembre 2019 à 9 h 16 min
    Permalink

    Oui c’est un film vraiment à part. Se laisser porter, toucher…plusieurs personnes ont quitté la salle…
    C est très lent et filmé « genre Arte », de très longs plans fixes.. où on a le temps de respirer, de déguster le mouvement…
    C’est un film hors du temps, qui ne passent que dans 3 salles à Paris et banlieue.

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