Mardi 26 novembre 2019

« Qui est le Colonel Picquart ?»
Question posée dans l’émission Répliques à deux spécialistes qui ont écrit deux ouvrages assez différents.

Je ne suis pas allé voir « J’accuse » de Roman Polanski.

Je suis allé voir « les enfants d’Isadora »

Je rappelle que le titre « J’accuse » est pour l’Histoire le titre de l’article qu’Emile Zola a publié dans le journal l’Aurore dans lequel Georges Clemenceau était éditorialiste..

Mais, la première question que beaucoup se posent aujourd’hui, est de se demander s’il est pertinent d’aller voir un Film de Roman Polanski.

Roman Polanski est en effet accusé par la photographe Valentine Monnier de l’avoir violée après l’avoir frappée, en 1975, dans un chalet à Gstaad, en Suisse, alors qu’elle était invitée avec d’autres amis chez le cinéaste.

Dans <cet article> du Monde, Valentine Monnier explique pourquoi elle n’a pas porté plainte au moment des faits, plainte désormais prescrite.

Elle a cependant rompu le silence pour porter l’affaire devant le tribunal médiatique.

Elle l’a fait parce qu’elle n’a pas supporté la réponse suivante que Polanski a faite à l’écrivain Pascal Bruckner qui l’interrogeait :

«Travailler, faire un film comme celui-là, m’aide beaucoup, je retrouve parfois des moments que j’ai moi-même vécus, je vois la même détermination à nier les faits et me condamner pour des choses que je n’ai pas faites »

Elle n’a donc pas supporté que Roman Polanski puisse se réclamer de l’innocence de Dreyfus pour mettre en cause ses accusatrices et la Justice qui l’ont poursuivi.

Roman Polanski a par la suite rectifié son propos dans « Le Point » le 7 novembre en déclarant :

« Il y a dans le destin de Dreyfus certains aspects que je connais. Mais si on pense que je me compare à lui, je n’ai même pas envie d’en discuter, c’est complètement idiot ! »

Concernant les diverses accusations portées contre lui, une chose est certaine il a bien violé une adolescente de 13 ans, en 1977 aux États-Unis après l’avoir droguée. Il a reconnu ces faits et pour ne pas subir les foudres de la justice américaine, il ne se rend plus aux États-Unis. Samantha Geimer souhaite ne plus entendre parler de cette affaire et demande qu’on ne poursuive pas le cinéaste pour ces faits.

Outre Samantha Geimer et Valentine Monnier, trois autres femmes accusent Roman Polanski de viol, mais la Justice n’a été saisie pour aucune de ces affaires.

Concernant Valentine Monnier, il semble que des voisins du chalet de Gstaad qui l’avaient recueillie traumatisée, apportent de la crédibilité à son accusation.

Je pose cependant la question que si nous prenons pour acquis le crime de Polanski, faut-il pour autant boycotter l’œuvre du criminel.

Un premier aspect me semble important, le film est une œuvre collective. Ne pas aller voir le film, parce que l’un des auteurs est coupable d’un crime, c’est exercer une sanction collective. Une sanction collective n’est jamais la Justice.

Mais il y a un second aspect qui est la différenciation entre l’auteur et l’œuvre. Autrement dit, l’œuvre n’a rien à voir avec l’accusation portée contre l’auteur. Prenons l’exemple souvent cité de Céline. « Voyage au bout de la nuit » est un chef d’œuvre qui n’a rien à voir avec la haine antisémite de Céline. Faut-il se priver de cette lecture ?

En revanche, les pamphlets antisémites de Céline sont l’expression du crime dont on l’accuse. Ce qui parait raisonnable c’est de lire « Voyage au bout de la nuit » mais non Bagatelles pour un massacre.

Le film de Polanski n’a pas pour sujet la violence faite aux femmes. Il n’est pas un pamphlet appelant au viol des femmes. C’est un film sur un sujet historique qui traite de l’antisémitisme et de l’obstination de l’Armée française de refuser de reconnaitre une injustice pour ne pas avoir à se déjuger. Dès lors, à mon analyse, je peux aller voir ce film.

Cependant ce film met en avant le rôle héroïque du Colonel Picquart et selon ce que je comprends parle peu des autres acteurs de ce drame, par exemple de Zola.

Ceci me conduit à un deuxième cas de conscience : celui d’Alain Finkielkraut qui perdant ses nerfs dans l’émission de Pujadas a dit des sottises. Cette émission <La Grande Confrontation> sur LCI qui a duré plus de trois heures est absolument inepte. J’en ai regardé une grande partie pour remettre les propos déplacés de Finkielkraut dans le contexte de l’émission. C’est une émission dans laquelle un nombre exagéré d’intervenants s’invectivent sans s’écouter en cherchant à avoir le dernier mot ou de faire le buzz. C’est intellectuellement navrant et sans intérêt. Je ne comprends pas pourquoi Finkielkraut se compromet dans de telles émissions, surtout que connaissant ses fragilités il y a toujours de forts risques qu’il s’énerve et dise des choses maladroites ou stupides.

Mais rien de tel dans son émission « Répliques » dans laquelle le respect et la hauteur de vue sont la règle.

Et dans sa dernière émission du 23/11/2019 il a invité deux intellectuels qui ont débattu sereinement, en s’écoutant parler, en répondant posément aux arguments de leur contradicteur, en reconnaissant tous les points sur lesquels ils étaient d’accord. Bref un débat qui grandit l’esprit et rend plus instruit.

Résolument Christian Vigouroux qui a écrit une biographie de Georges Picquart : « Un héros méconnu de l’affaire Dreyfus » est dans le camp de ceux qui encensent le colonel et montrent son rôle de premier plan.

Il est, en effet, le chef du service secret militaire français pendant l’affaire Dreyfus. Et c’est lui qui trouve la preuve matérielle de l’innocence d’Alfred Dreyfus et de la culpabilité d’Estherazy.

Deux points sont soulignés par Vigouroux, le premier c’est qu’il garde cette preuve et ne la détruit pas. Ses supérieurs, les généraux qui ne voulaient pas qu’on puisse dire que l’Armée s’était trompée en condamnant Dreyfus, auraient aimé qu’il la détruise.

Vigouroux a un autre argument de poids, c’est que son intransigeance l’a conduit à être d’abord écarté de la carrière fulgurante qui lui était promise, puis être emprisonné et enfin banni de l’armée.

Il n’a pas donc pas choisi sa carrière au profit de son honneur.

Indiscutablement, la preuve qu’il a gardé permettra d’innocenter Dreyfus.

Picquart sera récompensé en fin de compte puisqu’il deviendra Ministre de la Guerre pendant deux ans et demi de 1906 à 1909 dans un gouvernement dirigé par Clemenceau. Il meurt le 19 janvier 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale, des suites d’une chute de cheval en Picardie

Mais Christian Vigouroux n’est pas totalement crédible quand il dit qu’il a refusé de se terrer dans le silence.

Car c’est bien le reproche qu’on pourra lui faire, il est resté longtemps silencieux.

Ce n’est pas un lanceur d’alerte.

C’est quelqu’un qui avec courage certes a voulu convaincre l’armée de l’intérieur.

Car son premier combat n’était pas en faveur de Dreyfus, mais pour l’honneur de l’Armée.

Car lui, contrairement aux généraux, une fois qu’il avait acquis la conviction que Dreyfus était innocent, était persuadé que la vérité éclaterait un jour.

Et que dans ses valeurs à lui, il valait mieux que ce fusse l’Armée qui déclare la vérité que des gens de l’extérieur humilient l’Armée en montrant qu’elle s’est trompée et a persisté dans l’erreur.

Ce combat, il l’a perdu. Il s’est passé exactement le contraire de ce qu’il espérait.

Et c’est l’historien Philippe Oriol qui est l’auteur de l’ouvrage de référence « L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours » (Les Belles Lettres, 2014) et a publié chez Grasset la correspondance inédite du capitaine Dreyfus et de Marie-Louise Arconati-Visconti, Lettres à la marquise (2017) qui nuance les propos laudateurs de Vigouroux :

« Dans la mémoire, collective, l’affaire Dreyfus est l’histoire d’une victime : Dreyfus, et d’un héros : Picquart. Picquart, le brave lieutenant-colonel, qui, découvrant l’erreur qui a fait condamner un innocent, met tout en œuvre pour faire réparer l’injustice, jusqu’à la prison et au sacrifice de sa carrière. En 1906, après la victoire du droit, il est réintégré, nommé général, et bientôt ministre de la Guerre dans le cabinet présidé par Georges Clemenceau.

Ce récit ne correspond pas à la vérité historique que ce livre, sur la base d’une nombreuse documentation inédite, rétablit. Le vrai Picquart, c’est un homme qui, s’il a tenté de faire réparer l’erreur judiciaire, l’a plus fait pour préserver l’armée que pour sauver un homme ; qui, dès le début des représailles, a fait marche arrière ; qui, pour assurer sa propre sauvegarde, a entravé l’action des partisans de l’innocent et ne s’est finalement lancé qu’à son corps défendant, sachant que son propre sort était scellé. Enfin, le « vrai » Picquart s’est acharné sur Dreyfus après sa grâce, faisant courir les plus injurieuses rumeurs, l’attaquant dans la presse avec des propos proches de ceux du camp adverse et, une fois ministre, a refusé de réparer la dernière injustice dont il était victime. Comment cet antisémite obsessionnel est devenu un héros permet de comprendre la manière dont l’histoire de France peut se raconter des histoires, afin de se blanchir… »

Il a écrit un livre à ce sujet : « Le faux ami du capitaine Dreyfus – Picquart, l’Affaire et ses mythes » dans lequel il accuse Picquart d’être un opportuniste et un antisémite.

J’ai écouté l’émission de Finkielkraut dans laquelle ces éminents intellectuels débattaient.

Je ne suis pas allé voir le film de Polanski.

Notre temps est limité, il faut savoir choisir ses priorités.

Sur cette page de France Culture sur Facebook, vous verrez aussi Philippe Oriol développer ses arguments.

Si vous faites le choix d’aller voir le film, sachez qu’il ne s’agit pas de la vérité historique et qu’il faut regarder cela plutôt comme un roman historique qui contient une part de vérité, mais qu’une part.

Lorsque <la fiche du film> déclare :

« L’affaire est racontée du point de vue du Colonel Picquart qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le Capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées. A partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, il n’aura de cesse d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus. »

Vous devez savoir que la première phrase est exacte et que la seconde ne l’est pas dans l’absolu.

Vous pourrez aussi lire avec intérêt <cette critique> du roman de Robert Harris qui a servi de trame au film de Polanski.

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Une réflexion au sujet de « Mardi 26 novembre 2019 »

  • 26 novembre 2019 à 9 h 00 min
    Permalink

    Il y a aussi ce documentaire intéressant dans le cadre d’une série L’ombre d’un doute : https://www.youtube.com/watch?v=fX3uBiU-K3I
    Christian Vigouroux,, Philippe Oriol , Robert Badinter et d’autres interviennent dans ce récit.

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