Gaël Faye est tutsi. Enfin, sa mère est rwandaise et tutsi. Son père est français et natif de Lyon.
Il est né en 1982 à Bujumbura au Burundi, l’état voisin du Rwanda.
Il avait 12 ans, en 1994 quand le génocide et les massacres des tutsis par l’ethnie majoritaire des hutus se sont réalisés.
Il fuit son pays natal pour la France, à l’âge de treize ans.
Il a raconté son histoire partiellement dans un roman autobiographique « Petit Pays »
Ce roman publié en août 2016, reçoit de nombreux prix :
- Le prix Goncourt des lycéens
- Le Prix du roman Fnac
- Le Prix du premier roman français,
- Le prix du roman des étudiants France Culture-Télérama
Ce livre va permettre à Gaël Faye de gagner en notoriété.
Mais sa première passion est la musique. Il est y entré par le rap.
Le rap est un moyen d’expression assez éloigné de ma sensibilité.
Mais Gael Faye a dans son dernier album « Lundi méchant » fait beaucoup de chemin vers ma sensibilité.
Je l’ai entendu dans les matins de France Culture du 15 juillet 2021 invité par Chloë Cambreling <Les mots ont toujours été mes petites armes dérisoires pour résister>
J’ai aimé sa voix douce et l’intelligence de ce qu’il disait.
La profondeur et la beauté des textes qu’il chante m’ont touché.
Et pour la musique, il a expliqué pour cet album qui est son deuxième, qu’il a d’abord commencé par la musique avant de poser des paroles, le contraire de ce qu’il faisait jusqu’alors. Et il a ajouté :
« Cela a apporté plus de musicalité que j’avais l’habitude de faire. Cela a apporté plus de respiration. J’ai eu moins peur des silences. Il y a un travail avec le temps pour apprivoiser le silence. Je viens d’une musique qui est une transe de mots. Le rap c’est une transe de mots. Plus le temps passe, plus je me rapproche d’une façon de composer qui ressemble à ce qu’on peut faire quand on écrit une chanson. J’ai l’impression de me renouveler. De redonner un souffle à mon envie de fabriquer des chansons. […] On peut dire autant de chose en creux que de façon frontale. Et les silences qui peuvent exister, les instruments qui peuvent s’exprimer cela peut raconter une histoire. […] Il y a quelques années, j’aurais pris les quatre temps pour mettre des mots, et ça c’est un travail qui m’intéresse de plus en plus. [ne pas saturer le temps par des mots] »
Ne pas saturer l’espace et le temps par des mots.
Laisser la place au silence, car le silence est aussi musique.
Schubert et Beethoven ne disaient pas autre chose.
Il a donc présenté pendant cette émission son album paru le 6 novembre 2020, mais qu’il n’a pu commencer à chanter en public que récemment, pour les motifs que vous connaissez.
J’ai d’abord été séduit par cette chanson « Respire »
Le texte stimulant qui exprime toutes les agressions et aussi les défis auxquels nous sommes soumis et cet appel à la sérénité qui passe par le souffle, la respiration.
« Respire, respire, respire, espère…
Encore l’insomnie, sonnerie du matin
Le corps engourdi, toujours endormi, miroir, salle de bain
Triste face-à-face, angoisse du réveil
Reflet dans la glace, les années qui passent ternissent le soleil (OK)
Aux flashs d’infos : les crises, le chômage
La fonte des glaces, les particules fines…
Courir après l’heure, les rames bondées
Les bastons d’regards, la vie c’est l’usine
Hamster dans sa roue
P’tit chef, grand bourreau
Faire la queue partout, font la gueule partout
La vie c’est robot
T’as le souffle court (respire)
Quand rien n’est facile (respire)
Même si tu te perds (respire)
Et si tout empire (espère) »
Il dit que son album est un album tendre :
« La tendresse c’est pour l’idée d’un amour qui est ancré dans le quotidien. Qui ne s’use pas. Qui se renouvelle tous les jours, avec de petits gestes. Et chalouper c’est tout à fait la chanson qui résume cet album. Parce qu’on veut reprendre du plaisir et pas oublier la fugacité des instants et leur importance. D’ailleurs j’aime terminer les concerts par la chanson chalouper »
Cette chanson qui évoque la vieillesse, la tendresse et ce besoin jamais rassasié d’être ensemble de se toucher, de bouger ensemble :
«Un jour viendra le corps tassé
Les parchemins sur nos visages
Ceux qui racontent la vie passée
Tous les succès et les naufrages
Et nos mains qui tremblent au vent
Comme des biguines au pas léger
Continueront de battre le temps
Sous des soleils endimanchés
Un jour viendra on f’ra vieux os
Des bégonias sur le balcon
Un petit air de calypso
Photo sépia dans le salon
Malgré la vie, le temps passé
Malgré la jeunesse fatiguée
Personne ne pourra empêcher
Nos corps usés de chalouper
Chalouper, chalouper
Chalouper, chalouper
Chalouper, chalouper
…»
J’ai été séduit par la musique, mais ce qui frappe d’abord c’est la qualité des textes.
Il avait aussi été l’invité le 19 novembre de Tewfik Hakem dans son émission « le Réveil culturel » : < Parler de choses graves avec des musiques douces> vient de la culture de la retenue dans laquelle j’ai grandi au Rwanda »
Sur la page du site, il est cité :
« J’écris pour garder une trace. Tout disparaît à une vitesse incroyable, la mémoire efface tout. Ma famille a connu des génocides, on a disparu en masse. Des pans entiers d’histoires humaines ont été anéantis. Mon père est français, ma mère est rwandaise mais j’ai grandi avec mon père dans un petit pays d’Afrique Centrale, où être métis n’a pas de réalité : j’étais un petit Blanc. Puis subitement en France je suis devenu Noir. C’est sans doute à cause de ce sentiment de me sentir perpétuellement à la marge que je me suis bâti sur l’écriture. »
Gaël Faye
S’il y a de la tendresse, il y aussi de la révolte. Et s’il écrit ses textes il accepte aussi de prendre des textes écrits par d’autres, notamment ce poème de Christiane Taubira : « Seuls et vaincus ». Il explique que la révolte est aussi indispensable que la tendresse
« Je cite souvent un professeur d’espérance, René Depestre, qui m’a appris cet équilibre important chez l’être humain entre la révolte et la tendresse. Je pense qu’il ne peut pas y avoir de la tendresse, s’il n’y a pas aussi de la révolte en face du monde tel qu’il ne va pas.
On peut déployer son amour que si on est aussi révolté par les injustices, dans ce monde qui nous met en position de dominé. Il faut ce balancier. C’est pourquoi je voulais collaborer avec des gens qui ont œuvré toute leur vie entre ces deux positions comme Harry Belafonte et Christiane Taubira. »
L’ancienne ministre dans son texte fustige les xénophobes et tous ceux qui mènent selon elle un combat d’arrière-garde.
«Vous finirez seuls et vaincus
Sourds aux palpitations du monde
À ses hoquets, ses hauts, ses bas
Ses haussements d’épaules veules
Au recensement des ossements
Qui tapissent le fond des eaux
Vous finirez seuls et vaincus
Aveugles aux débris tenaces
De ces vies qui têtues s’enlacent
De ces amours qui ne se lassent
Même lacérées de se hisser
À la cime des songeries
[…]
Et vos enfants joyeux et vifs
Feront rondes et farandoles
Avec nos enfants et leurs chants
Et s’aimant sans y prendre garde
Vous puniront en vous offrant
Des petits-enfants chatoyants
Vous finirez seuls et vaincus
Car invincible est notre ardeur
Et si ardent notre présent
Incandescent notre avenir
Grâce à la tendresse qui survit
À ce passé simple et composé »
A la fin de l’émission il donne ce chemin :
« La dignité c’est une valeur qui m’importe beaucoup, c’est ce qui nous permet de traverser la vie en se sentant digne de cette petite parenthèse qui est l’existence. La fête permet de transcender la rage en une énergie plus grande. »
Et il finit son album par cette sublime chanson dans laquelle le texte est d’une finesse et d’une poésie à se pâmer :
C’est une chanson en mémoire du Rwanda, de son Rwanda :
« Au-dessus d’ces collines s’élève ma voix à jamais
Ô mon petit pays, ô Rwanda bien-aimé
Un million de gouttes d’eau qui tombent de terre en ciel
Un million de nos tombes en trombes torrentielles
De nos fosses profondes à nos points culminants
Nous sommes debout maintenant les cheveux dans le vent
À conjurer le sort qu’un désastre engloutit
À se dire qu’on est fort, qu’on vient de l’infini
Je rêve de vous (kwibuka)
I’m dreamin’ of you (kwibuka)
Je rêve de vous, chanson d’un soir d’ivoire
Je rêve de vous, mes mots sont dérisoires
Je rêve de vous quand l’Histoire nous égare
Je rêve debout au jardin des mémoires
Et vu que je renais déjà de nos abysses
Je fais de nos sourires d’éternelles cicatrices
[…]
Je rêve de vous
Vous mes lumières invaincues
Mon souvenir
Mes silences nus
Je rêve de vous
Dissipe les ténèbres
Je n’oublie pas
Je m’habille de vos rêves »
C’est un moment de grâce.
J’ai bien sûr acheté cet album de cet artiste, de ce poète, de cet humaniste qui a pour nom Gael Faye et qui nous vient du Rwanda.
<1604>
Merci pour ces découvertes inspirantes..
Comme celle de cette peintre lumineuse hier.. Ou avant hier, je ne sais plus.