Lundi 11 avril 2016

Lundi 11 avril 2016
«Tout se passe comme si on avait une immigration sauvage de vieux »
François Héran, ancien directeur de l’INED
C’est une formule un peu rude, abrupte pour aborder un des sujets essentiel (ce n’est pas le seul) de notre société occidentale contemporaine.  Elle a pour objet de réveiller les consciences et de poser des questions, non de trouver des réponses simplistes et brutales.
Cette formule est de François Héran qui est un sociologue, anthropologue et démographe français né en 1953. Il a été directeur de l’Institut national d’études démographiques de 1999 à 2009. Depuis 2009, il est directeur de recherche à l’INED.
C’est Emmanuel Todd qui revient à ses premiers amours de démographe et d’Historien dans une conférence sur le thème <Le vieillissement de la population, quels effets ?> qui a rapporté ce propos de l’ancien directeur de l’INED.
«Une immigration de vieux » décrit à la fois une vraie réalité de nos sociétés ainsi qu’un vrai déséquilibre.
Un déséquilibre dont il faut être conscient et pour lequel le statu quo c’est à dire un système qui a été imaginé et créé avec peu de vieux retraités et beaucoup de jeunes actifs doit être fondamentalement repensé.
 
Pendant très longtemps, les sociétés humaines avaient un âge médian (l’âge médian sépare la population en deux partie : une moitié en dessous, une moitié au-dessus) entre 20 et 25 ans, la société de la révolution française avait un tel âge médian, la société de la révolution russe avait aussi ce type d’âge médian.
Il reste des pays comme l’Algérie qui reste proche de cette réalité 27 ans en 2014, d’autre sont plus bas le Sénégal est proche de 18 ans.
Mais les pays les plus avancés sont largement au-dessus de 40 ans, le Japon approche de 50 ans et nous allons collectivement vers des sociétés où l’âge médian sera supérieur à 50 ans.
Depuis les années 1970, il y a eu un emballement de l’espérance de vie à 60 ans et personne n’a anticipé cela.
C’est pourquoi que ceux qui pensent que le problème essentiel de l’Europe est un problème d’immigration venant des autres continents sont dans l’erreur au regard du temps long.
Le problème réel, c’est que l’Europe est envahie par des vieux : une immigration massive de vieux et une des solutions réalistes seraient plutôt d’encourager l’immigration de jeunes venant d’ailleurs.
Peut-être que l’adjectif «massive» est plus approprié que «sauvage». Mais ce second terme a été utilisé pour décrire le caractère inattendu de l’ampleur de cette évolution de nos sociétés modernes.
Jamais l’humanité n’a connu cela.
Il ne s’agit pas de nier que pour chaque individu, c’est une merveilleuse nouvelle que cet allongement de la vie. Et il ne s’agit pas non plus de culpabiliser les vieux d’être en bonne santé pendant assez longtemps.
Mais il y a des conséquences pour la société, des conséquences qui ne sont pas réfléchies.
Et le système de redistribution continue comme si nous étions resté dans l’ancien temps, celui d’avant l’immigration.
Sur ce problème de fond se greffe le marasme économique qui n’arrange rien.
France Stratégie, une institution rattachée au cabinet du Premier ministre, chargée de réfléchir à l’avenir de l’Hexagone vient de publier un rapport où les experts constatent que la situation des jeunes s’est sensiblement détériorée par rapport au reste de la population depuis le milieu des années 70, à l’inverse de celle des personnes âgées. « La pauvreté a longtemps touché davantage les personnes âgées que les jeunes. C’est aujourd’hui l’inverse », notent-ils. Cette tendance s’observe tout particulièrement sur la dernière décennie : le taux de pauvreté des 18-24 ans a grimpé de 17,6% à 23,3% entre 2002 et 2012, contre une baisse de 9,9 à 8,3% pour les plus de 60 ans.
Ces différences s’expliquent, au moins en partie, par des « choix collectifs » moins favorables aux jeunes, selon France Stratégie. L’institution remarque, par exemple, que la part des dépenses de protection sociale et d’éducation bénéficiant aux plus de 60 ans a grimpé de 11 à 17% du PIB entre 1979 et 2011. Pendant ce temps, les dépenses consacrées aux moins de 25 ans sont restées stables à 9% du PIB. Ces différences se matérialisent, par exemple, dans le domaine de la santé, où les dépenses publiques se concentrent sur certaines pathologies chroniques souvent liées à l’âge, au détriment de soins comme l’optique ou le dentaire.
Or pour ces experts, cette situation n’est pas tenable vu les perspective de vieillissement de la population. « Si nous avions aujourd’hui la structure démographique de 2030, tout en conservant, à chaque âge, les dépenses (…) de 2011, il faudrait augmenter immédiatement de 21 % les prélèvements moyens qui la financent, pour ne pas creuser davantage les déficits », font-ils valoir.
Alors dans Capital où ils parlent de ce sujet, ils ont fait un sondage et posé la question : Faut-il donner davantage aux jeunes et moins aux vieux ? 
J’ai répondu OUI, mais le résultat après mon vote laissait apparaître 14% de Oui et 86% de Non. Je soupçonne que les votants sont encore plus vieux que moi.
Je trouve cette réponse non raisonnable et preuve d’un déni.
Évidemment, on va trouver des exemples de vieilles personnes qui sont très défavorisées, mais globalement les études se suivent et se ressemblent : les vieux sont bien privilégiés par rapport aux jeunes.
Notre système social doit aider les personnes défavorisées mais sans distinguer entre jeunes et vieux. Je vous rappelle cette question qui s’est posée l’année dernière sur la demi-part supplémentaire des veuves à l’impôt sur le revenu. Les articles des journaux ont quasi tous vilipendé cette mesure, sans s’étonner qu’elle avait pour conséquence qu’un jeune disposant des mêmes revenus qu’une veuve payait de ce fait plus d’impôt.
La note de France Stratégie estime aussi que le modèle français de protection qui se base sur la famille pour l’étudiant et sur le monde professionnel pour le jeune travailleur, n’a su s’adapter suffisamment « aux évolutions de l’entrée dans l’âge adulte depuis le début des années 1980 ». Et que « le renforcement des protections traditionnelles », comme les bourses et aides au logement, « n’a pas éteint la précarité en milieu étudiant. Il a également laissé de côté un nombre croissant de jeunes en situation précaire sur le marché du travail ».
Les deux auteurs évoquent au final quelques pistes de réflexion pour « accompagner plus efficacement la jeunesse vers l’âge adulte »: une action visant à faciliter l’accès de la jeunesse aux marchés de l’emploi et du logement ou encore la mise en place d’aides comme par exemple une allocation d’autonomie sont des options possibles. Concernant l’articulation entre « investissement dans la jeunesse et prise en charge du vieillissement », un des leviers possibles serait « une plus grande mise à contribution des plus âgés ». Car malgré la mise en place de la CSG, les seniors « restent cependant moins imposés que les groupes d’âge plus jeunes ».
Une émission très intéressante et argumentée a aussi abordé ce sujet sur France Culture : <Dimanche et après du 03/04/2016>
Je crois qu’une société ne se développe et n’a de l’avenir que si elle sait s’appuyer sur sa jeunesse.
Cette une vraie question de société.
Penser à ses propres enfants ou petits-enfants ne suffit pas, il faut penser à tous les jeunes.
D’ailleurs si cette évolution et ces équilibres ne sont pas repensés, les jeunes n’accepteront plus de jouer le jeu.
Notre système veut que les actifs cotisent pour payer les pensions des retraités.
Le système a été créé alors qu’il y avait beaucoup d’actifs qui finançaient peu de retraités et que ces actifs avaient la perspective de bénéficier dans l’avenir de la réciprocité avec les nouveaux actifs. C’était un système avec des cotisations maîtrisées et un avenir positif.
Tel n’est plus le cas et on dérive vers des cotisations de plus en plus lourdes pour des actifs qui ont plus que des craintes à penser que le système ne leur profitera plus.