Jeudi 27 novembre 2014

« L’Épigramme contre Staline »
Ossip Mandelstam

Ceci est le 400ème mot du jour.

Pour cet instant particulier je vous offre un moment d’Histoire, un poème politique écrit il y a 80 ans (81 pour ceux qui aiment la précision – novembre 1933) par un des grands poètes russes :  Ossip Mandelstam

L’épigramme d’Ossip Mandelstam demeure, en seulement seize vers, l’un des textes les plus engageants jamais écrits. L’intransigeance du poète, face à Staline et à la Tchéka, font de lui un homme exceptionnel, un exemple de désobéissance civile et de courage contre la barbarie.

Voici ces seize vers :

« Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,
Et là où s’engage un début d’entretien, —
Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.

Ses gros doigts sont gras comme des vers,
Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.

Ses moustaches narguent comme des cafards,
Et tout le haut de ses bottes luit.

Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,
Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.

L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,
Il n’y a que lui qui désigne et punit.

Or, de décret en décret, comme des fers, il forge —
À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.

Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète. »

D’abord, ce poème a été composé à la voix, de tête, puis Mandelstam livre cette épigramme à un cercle restreint de connaissances.

En 1934, le poète confie à sa femme Nadejda Mandelstam : « Je suis prêt à mourir. »

Un jour, il croise Boris Pasternak et lui récite son poème.

Effrayé, Pasternak ajoute :

« Je n’ai rien entendu et vous n’avez rien récité. Vous savez, il se passe en ce moment des choses étranges, terribles, les gens disparaissent ; je crains que les murs aient des oreilles, il se pourrait que les pavés aussi puissent entendre et parler. Restons-en là : je n’ai rien entendu. »

Mandelstam, reçoit la visite de trois agents de la Guépéou dans la nuit du 16 au 17 mai 1934. Ils lui présentent un mandat d’arrêt et perquisitionnent jusqu’au matin et l’arrêtent.

Mandelstam quitte sa femme Nadejda et ses amis à 7 heures du matin pour la Loubianka.

Tous les manuscrits sont confisqués, lettres, répertoire de téléphone et d’adresses, ainsi que des feuilles manuscrites. Mais pas d’épigramme…

Ce poème ne fut écrit que devant le juge d’instruction de la Loubianka où « le poète coucha ces seize lignes sur une feuille à carreaux arrachée d’un cahier d’écolier. Il a défendu « sa dignité d’homme, d’artiste et de contemporain, jusqu’au bout. »

Cette épigramme sera plus tard cataloguée comme « document contre-révolutionnaire sans exemple » par le quartier général de la police secrète.

Pour Vitali Chentalinski, c’était « plus qu’un poème : un acte désespéré d’audace et de courage civil dont on n’a pas d’analogie dans l’histoire de la littérature. En réalité, en refusant de renier son œuvre, le poète signait ainsi sa condamnation.

<Un article de Wikipedia sur l’épigramme contre Staline>

<Ici la page Wikipedia sur Ossip Mandelstam>

<Un magnifique texte sur Mandelstam>
Et puis il me semble indispensable aussi de dire quelques mots sur son extraordinaire épouse Nadejda Iakovlevna Khazina née à Saratov le 31 octobre dans une famille juive de la classe moyenne, Elle épouse en 1921 Ossip Mandelstam. Quand Ossip est arrêté en 1934 pour son Épigramme contre Staline elle est exilée avec lui à Tcherdyne, dans la région de Perm, puis à Voronej.

Après la deuxième arrestation et la mort de son mari dans le camp de transit de Vtoraïa Rechka (près de Vladivostok) en 1938, Nadejda Mandelstam mène un mode de vie quasi-nomade, fuyant parfois à une journée près le NKVD, changeant de résidence à tous vents et vivant d’emplois temporaires.

Elle s’est fixé comme mission la conservation de l’héritage poétique de son mari. Elle a appris par cœur la majeure partie de son œuvre clandestine, parce qu’elle ne faisait pas confiance au papier.

Après la mort de Staline, elle achève son doctorat en 1956 et est autorisée à revenir à Moscou en 1958.

En 1979, elle fait don de toutes ses archives à l’Université de Princeton.

Nadejda Mandelstam meurt à Moscou le 29 décembre 1980 à l’âge de 81 ans.

<400>