Lundi 5 septembre 2022

« Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev »
Pierre Grosser

Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev était le fils d’un père russe et d’une mère ukrainienne.

Et son épouse, Raïssa Maximovna Titarenko, était la fille d’un père ukrainien et d’une mère russe.

Les choses se passaient ainsi dans l’Union Soviétique que Mikhaïl Gorbatchev avait pour ambition de réformer.

Le système soviétique ne fonctionnait pas économiquement, les citoyens de cet immense empire communiste vivaient dans un univers de pénurie : pénurie de logement, pénurie alimentaire, pénurie de tous les biens de consommation courante.

L’Union Soviétique parvenait à donner le change dans l’Industrie lourde et surtout arrivait à rivaliser avec les États-Unis dans le domaine de l’armement et des ogives nucléaires.

Et quand Reagan arriva au pouvoir le 20 janvier 1981 et lança une accélération de la course des armements avec ce qui fut appelé « la guerre des étoiles », les dirigeants soviétiques pensèrent que leur système économique failli n’arriverait plus à suivre leur rival.

Dans <Wikipedia> on lit :

« En mars 1983, Reagan introduisit l’initiative de défense stratégique (IDS) prévoyant la mise en place de systèmes au sol et dans l’espace pour protéger les États-Unis d’une attaque de missiles balistiques intercontinentaux. Reagan considérait que ce bouclier anti-missiles rendrait la guerre nucléaire impossible mais les incertitudes concernant la faisabilité d’un tel projet menèrent ses opposants à surnommer l’initiative de « Guerre des étoiles » et ils avancèrent que les objectifs technologiques étaient irréalistes. Les Soviétiques s’inquiétèrent des possibles effets de l’IDS186 ; le premier secrétaire Iouri Andropov déclara qu’elle mettrait le monde entier en péril »

Il n’était pas certain que ce projet puisse se concrétiser, mais il mobilisait des ressources financières considérables que les soviétiques n’étaient pas capable de réunir.

Le patron de l’URSS était alors Iouri Andropov qui après avoir été pendant 15 ans le chef du KGB succéda, le 12 novembre 1982, au vieux et malade Leonid Brejnev qui avait prophétisé que le système soviétique n’était pas réformable et que si on tentait de le réformer, il s’effondrerait.

La page wikipédia d’Andropov montre que celui-ci était le contraire d’un tendre, mais il était convaincu qu’il fallait réformer parce qu’en interne comme dans la confrontation avec les États-Unis et l’Occident l’URSS ne pouvait plus faire face aux attentes et aux défis.

Il était le mentor d’un jeune qu’il avait fait entrer au Politburo du Comité central du Parti communiste : Gorbatchev

Andropov ne resta que 14 mois au pouvoir mais il était aussi vieux et malade et décéda. Il souhaitait que Gorbatchev lui succède. Mais le Politburo désigna comme successeur, un conservateur qui n’avait aucune ambition de réformer, Konstantin Tchernenko.

Lui aussi était vieux et malade comme Andropov et Brejnev.

Lors de sa désignation le « Canard enchaîné » dans son numéro du 15 février 1984 afficha cette manchette :

« Le triomphe du marxisme-sénilisme »

Le Canard tenta aussi cet autre jeu de mots : « c’était le vieux placé ».

Jeu de mots salué par « le Spiegel » du 20 février suivant qui titrait pour sa part plus sérieusement

« Tchernenko – La revanche de l’Appareil ».

Sa fiche Wikipédia précise que Tchernenko passa l’essentiel de son court règne, d’un an et 25 jours, à la tête de l’État à l’hôpital et donna ainsi de lui l’image d’un « fantôme à l’article de la mort ».

Le Politburo décida alors de suivre les conseils d’Andropov et de mettre à la tête du Parti Communiste, le 11 mars 1985, un relatif « jeune homme » de 54 ans, en bonne santé (il ne mourra que 47 ans plus tard) : Mikhaël Gorbatchev.

C’était un communiste convaincu. Encore récemment et très vieux dans un documentaire d’ARTE : <Gorbatchev en aparté> il qualifie Lénine, le fondateur de l’URSS de « notre Dieu à tous »

Il voulut réformer pour sauver le communisme et conserver l’Union Soviétique.

Six ans et neuf mois plus tard, il échoua et son rôle politique s’acheva.

Mais pendant cette période :

  • Il retira les troupes soviétiques d’Afghanistan,
  • Il engagea avec les États-Unis une réduction inouïe des armements nucléaires,
  • Les dissidents comme Sakharov furent libérés et purent s’exprimer,
  • Les journaux purent raconter la vérité et exprimer des opinons divergentes. Une liberté qui n’existait bien sûr, pas avant et plus maintenant non plus.
  • Les autres pays communistes de l’Europe de l’est purent faire évoluer leur régime, faire tomber la dictature communiste sans qu’aucun soldat de l’armée rouge n’intervienne.

Qu’on songe qu’il disposait de l’armée rouge autrement puissante que sous Poutine et qu’il avait entre ses mains l’arme nucléaire que le maître actuel du Kremlin brandit sans cesse.

Il était communiste mais il aimait la Liberté, le Droit et il était un homme de paix.

Dans le Documentaire d’ARTE il expliqua :

« J’étais faible, je n’ai coupé aucune tête ».

Mais il exprime aussi sa satisfaction de pas avoir employé « les méthodes de (s)es prédécesseurs, Lénine compris ».

Il y eut bien quelques morts dans des évènements troubles dans les pays Baltes ou la Géorgie lors de la répression de mouvements nationalistes et indépendantistes. Le Monde rappelle dans la nécrologie qu’il lui consacre : <Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS, est mort>

« Le 13 janvier 1991, quatorze personnes perdent la vie lors de l’assaut du Parlement et de la télévision de Vilnius (Lituanie) par l’armée soviétique. Sept jours plus tard, à Riga (Lettonie), un assaut similaire fait cinq morts. A Tbilissi (Géorgie), vingt-deux manifestants sont massacrés à coups de pelle en avril 1989 par l’armée fédérale, tandis que 150 personnes sont tuées par les militaires à Bakou (Azerbaïdjan), en janvier 1990.

Dans ses Mémoires, publiés en 1997 (éd. du Rocher), Mikhaïl Gorbatchev affirme avoir tout ignoré des opérations militaires déclenchées dans les Républiques baltes. Ce n’est que plus tard, en feuilletant un livre écrit par des anciens d’Alpha (les commandos d’élite du KGB), qu’il comprit qu’il s’agissait d’une « opération conjointe des tchékistes [police politique] et des militaires », organisée sans son aval. Imprécis sur le nombre de victimes à Vilnius (« Il y eut des pertes humaines », écrit Gorbatchev), il adhère sans détour à la thèse du complot et évoque une « provocation » des séparatistes locaux. »

Sans passer sous silence ces faits, il me semble légitime de considérer que globalement tous ces immenses évènements eurent lieu presque sans effusion de sang. Et ce dénouement pacifique de la guerre froide doit quasi tout à un seul homme : Mikhaël Gorbatchev

Qu’on songe un instant à tous ces hommes qui à la tête d’une telle puissance militaire et voyant leur pouvoir se désagréger, n’auraient pas laissé faire et auraient lancé des forces de destruction plutôt que d’accepter de partir dans la tristesse mais dans la paix.

Angela Merkel qui subissait en Allemagne de l’Est, la dictature communiste et soviétique a exprimé en toute simplicité ce message à la fois politique et personnel :

« Il a montré par l’exemple comment un seul homme d’État peut changer le monde pour le mieux […] Mikhaïl Gorbatchev a également changé ma vie de manière fondamentale. Je ne l’oublierai jamais »

C’est l’historien Pierre Grosser qui dans un article de Libération exprime le plus justement ce rôle extraordinaire de Gorbatchev : «Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev»

Il fait ainsi ce constat :

« Au XXe siècle, les grandes transformations de l’ordre international, les révolutions et les chutes d’empires avaient été les conséquences de guerres, et en particulier des deux guerres mondiales. Or, les bouleversements de la fin des années 80 eurent lieu sans guère d’effusion de sang, même lors de processus de « décolonisation » dans les pays baltes et dans le Caucase. »

Et il compare cette attitude avec celle du régime chinois :

« Alors que le Parti communiste chinois utilisait la répression au Tibet et contre les mobilisations étudiantes et sociales en juin 1989, Gorbatchev n’utilisa la force ni pour sauver les régimes des démocraties populaires, ni celui de l’URSS, ni l’URSS elle-même. C’était cela aussi qui était inimaginable, tant il était répété depuis des décennies que l’Europe de l’Est était un glacis protecteur indispensable à la sécurité de la Russie, que celle-ci ne pourrait renoncer aux gains obtenus après la Grande Guerre patriotique qui avait coûté 27 millions de vies soviétiques, et que l’usage de la force et de la répression était une caractéristique principale du régime.

Le refus d’utiliser la force, à de très rares exceptions (notamment en Lituanie, le 13 janvier 1991, provoquant infiniment moins de victimes que les violences staliniennes), est en définitive le plus grand héritage de Gorbatchev. Ses réformes ont rendu possibles les actions de peuples à partir de 1989. Ce sont les peuples, mais aussi des membres de partis communistes nationaux, qui ont été alors les moteurs de l’histoire. Gorbatchev fut moins le grand homme qui a organisé de grandes transformations que l’homme qui les a laissées faire. C’est aussi le cas de la réunification allemande, à laquelle il s’est finalement résolu, même si elle se faisait à l’intérieur de l’Otan. Dans les années 90, les observateurs concluaient à un déclin de l’usage de la force et de sa légitimité dans les sociétés développées et nanties à partir des années 70. L’usage répété de la force par Vladimir Poutine montre bien a posteriori qu’il y eut un vrai choix de Gorbatchev. Le Parti communiste chinois assume, lui, d’avoir utilisé la force en 1989, ce qui aurait sauvé le régime et le potentiel de réussite de la Chine. Il dénonce les cadres et les membres du Parti en URSS et en Europe qui ne se sont pas levés pour défendre leur régime, et éduque donc les communistes chinois à vouloir virilement défendre le Parti. »

Pierre Grosser rappelle aussi que Gorbatchev est resté persuadé que le monde et les États-Unis auraient mieux fait de suivre ses conseils :

« Depuis les années 90, Gorbatchev a répété que s’il avait été davantage écouté, et si les États-Unis n’avaient pas été saisis d’hubris après la guerre du Golfe et la réunification allemande, le monde aurait été beaucoup plus sûr et pacifique.  »

Pour ce rôle, l’Humanité, à mon sens, doit une immense reconnaissance à cet homme qui vient de mourir à 91 ans, le 30 août 2022.

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