mercredi 12 avril 2017

mercredi 12 avril 2017
«Il manque à Emmanuel Macron la logique globale du modèle scandinave, fondé sur l’égalité »
Bruno Palier
Emmanuel Macron et l’économiste Jean Pisani-Ferry ont déclaré que le programme qu’ils préconisaient était inspiré du modèle scandinave.
Le Monde a interrogé Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po et coauteur, avec l’économiste danois
Gosta Esping-Andersen, de Trois leçons sur l’Etat-providence (Seuil, « La République des idées»,2008), sur l’authenticité de cette comparaison.
Nous apprenons d’abord que le  chercheur danois Gosta Esping-Andersen a identifié trois modèles de protection sociale :

l’Etat providence social-démocrate scandinave,

les systèmes anglo-saxons, qui privilégient le marché sur l’intervention de l’Etat

les systèmes d’assurances sociales de l’Europe continentale qui sont en vigueur en France et en Allemagne.

Le modèle français s’inscrit dans la continuité des mutuelles créées au XIXe siècle. Il s’agit d’un système contributif fondé sur le travail : pour avoir droit à des prestations sociales, il faut payer des cotisations. Il vise moins la réduction des inégalités que la protection de l’emploi et la sécurité du revenu en cas de problème – maladie, chômage ou vieillesse.
L’universalité de la couverture sociale dépend donc de la capacité de la société à assurer du travail à tout le monde. Ce modèle présente le défaut majeur de ne pas protéger les personnes qui ne sont pas encore entrées dans le monde du travail, ni celles qui en sont restées longtemps exclues. Il protège en outre mal les femmes qui travaillent dans des conditions d’emploi atypiques et qui dépendent de leur mari.
Dans les pays nordiques, [prétendument inspirateur d’Emmanuel Macron] que ce soit en Suède, au Danemark, en Islande, en Finlande ou en Norvège, la protection sociale est garantie à tous les citoyens par l’Etat.
Il s’agit de droits sociaux universels, comme l’accès aux crèches et à l’éducation, la formation, la santé, la sécurité et la retraite de base. Leur financement se fait principalement par l’impôt : ils ne sont pas, sauf exception, liés au versement de cotisations, comme en France. Tous les citoyens bénéficient de ces droits, quelle que soit leur situation sur le marché du travail.
Bruno Palier explique : « Gustav Möller, le « père » social-démocrate de l’Etat-providence suédois, disait : « Seul le meilleur est assez bon pour le peuple. »
Dans les pays scandinaves, la protection sociale promeut une société active et entreprenante. Elle cherche à soutenir la productivité et la qualification de la population, et donc à garantir des emplois de qualité et de bons salaires à tous.
Les pays scandinaves ont pris conscience que, pour être prospères et donner du travail à tout le monde, il fallait produire des biens de qualité innovants que l’on peut vendre cher et exporter. Pour arriver à ce résultat, ils garantissent la qualification de la main-d’oeuvre et la qualité des emplois, un système d’éducation et de formation professionnelle efficient, un niveau de vie élevé, en plus d’une aide sociale accessible à tous. Il faut beaucoup d’impôts pour le financer – donc des emplois bien rémunérés. »
Je vous laisse lire l’article dans son intégralité, mais je retiens que si Bruno Palier reconnaît que beaucoup des propositions de Macron se rapprochent du système nordique. Notamment « il a compris la nécessité, pour l’Etat, de protéger les personnes et d’accompagner les parcours de vie ; il propose de mettre en place une assurance universelle pour tous les chômeurs et toutes les professions ; il entend réformer le système opaque du financement de la formation professionnelle, ce qui serait une avancée importante, car les plus âgés et les moins éduqués y accèdent peu ou pas du tout. »
Il montre aussi qu’Emmanuel Macron s’éloigne des fondements et de la logique de ce système admirable en bien des points :
«  il ne semble pas avoir saisi que l’un des fondements du modèle, c’est l’égalité – pas seulement l’égalité des chances, mais aussi l’égalité des conditions. Une des conditions de la réussite est la compression de la fourchette des salaires. Ce n’est pas seulement un principe éthique égalitaire : il faut mettre en place une politique redistributive.
Quand les hauts salaires ne sont pas trop élevés, les secteurs les plus productifs engrangent des surplus, qui alimentent l’investissement et autorisent de meilleurs revenus dans les secteurs moins efficients. Et quand les bas salaires sont rares et les minima sociaux élevés, les activités à valeur ajoutée se développent, pas les boulots inutiles et mal payés dont personne ne veut.
Même si elles ont augmenté ces dernières années, les inégalités de revenus, au Danemark et en Suède, sont les plus basses du monde. Cette philosophie favorise une mobilité sociale ascendante et garantit une plus forte cohésion sociale. Je ne vois pas ce type de proposition chez Emmanuel Macron. […]
Pour créer des emplois, Emmanuel Macron veut baisser les cotisations sociales, notamment en pérennisant le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Mais il ne fait que reprendre les recettes mises en œuvre depuis trente-cinq ans en France. Selon lui, la baisse des coûts du travail va sauver l’emploi.
Nous sommes effectivement trop chers pour ce que nous produisons, mais la solution n’est pas de réduire nos cotisations : elle est de monter en qualité. […] En présentant la baisse des cotisations sociales comme sa façon de défendre le travail, Emmanuel s’éloigne du modèle scandinave. »
Et en s’éloignant du modèle scandinave, Il se rapproche du modèle anglo-saxon dont je pense que nous autres français ne voulons pas.