Mardi 2 mars 2021

« Mais je pense que si les vaccins étaient déjà des biens publics mondiaux, il n’y aurait toujours pas de vaccin. »
Hubert Vedrine

Aujourd’hui, je voudrais partager les échanges très intéressants qu’ont tenu les invités d’Emilie Aubry dans son émission «l’Esprit Public», sur la situation sanitaire, les vaccins et la question de nos libertés et des contraintes que nous acceptons ou que nous accepterons pour vivre dans un monde qui nous paraîtra plus acceptable  : <En finir avec le virus : un choix politique ? >. Cette partie de l’émission a duré 30 minutes.

Les invités étaient Hubert Védrine, Sylvie Kauffmann, Dominique Reynié et Aurélie Filippetti.

Beaucoup de questions ont été abordées notamment les difficultés des campagnes de vaccination et la comparaison des performances entre les différents États, ainsi que l’inégalité planétaire devant la vaccination.

Deux points de vue m’ont particulièrement interpellé :

  • Le premier porté par Hubert Védrine sur la prouesse d’avoir été capable de découvrir des vaccins en quelques mois et l’organisation qui a permis cela.
  • Le second point concerne nos libertés et a été avancé par Dominique Reynié.

Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un questionnement, non d’une quelconque vérité qui serait révélée.

La question de l’échec de l’institut Pasteur a été évoquée et Hubert Védrine a enchaîné ainsi :

« L’échec de Pasteur évoque quelque chose qui m’amène à douter de l’objectif de bien public mondial pour les vaccins que beaucoup évoque.
Cet objectif, je ne peux pas le contester, c’est une très noble aspiration, très justifiée sur un plan humanitaire et planétaire.

Mais je pense que si les vaccins étaient déjà des biens publics mondiaux, il n’y aurait toujours pas de vaccin.
Si c’était un bien public mondial, je ne sais pas qui aurait financé la recherche, je ne sais pas qui aurait décidé, je ne sais pas qui aurait produit et qui aurait distribué.
C’est la compétition capitalistique, c’est l’excitation de l’investissement et il faut le reconnaître la décision énorme de Trump en matière de financement de recherche. »

Ce questionnement évidemment heurte ma zone de confort qui croit en la capacité de coopérer des humains et de se dévouer pour les causes humanitaires.

Mon expérience de presque 40 ans de fonctionnaire de l’État français me conduit cependant à reconnaître que l’administration et la force publique ont beaucoup de mal avec l’innovation.

Quand il s’agit de réaliser des procédures connues et des pratiques qui existent déjà, la bureaucratie est capable d’efficacité et de se mobiliser.

Mais ce qui s’est passé là est tout autre.

D’ailleurs le premier vaccin, n’a pas bénéficié de l’apport d’argent public dans la phase de recherche et de réalisation :

Sur ce <site> on lit

«  Entre autres exemples, on y trouve la trace des financements accordés à Johnson & Johnson en mars. Puis à Moderna en avril ou encore les 1,2 milliard de dollars accordés à AstraZeneca. Mais aucune trace de Pfizer. Jusqu’au 22 juillet. Date à laquelle cette entreprise a bel et bien noué un accord avec les Etats-Unis. Non pas pour la recherche et le développement du vaccin mais uniquement pour sa distribution. « Le gouvernement américain a passé une commande initiale de 100 millions de doses pour 1,95 milliard de dollars et pourrait acquérir jusqu’à 500 millions de doses additionnelles »

C’est une entreprise capitalistique qui a lancé sa puissance de financement vers une entreprise innovante en qui elle avait confiance :

« C’est cette entreprise qui a parié sur le laboratoire allemand BioNtech. Et qui l’a financé. « En gros, je leur ai ouvert mon carnet de chèque pour qu’ils ne puissent se soucier que des défis scientifiques, et de rien d’autre » avait ainsi expliqué le PDG de l’entreprise, Albert Bourla. Interrogé en septembre dernier par CBS, il précisait qu’il voulait par cette méthode « libérer » ses chercheurs « de toute bureaucratie ». Tout en gardant sa société « hors de la politique ».

Pfizer a injecté lui-même des sommes astronomiques dans le projet porté par BioNTech. Le laboratoire « recevra un paiement initial de 185 millions de dollars, dont environ 113 millions de dollars en prise de participation, et pourra par la suite recevoir des paiements d’étape, jusqu’à 563 millions de dollars, soit un montant total potentiel de 748 millions de dollars », faisait savoir l’entreprise dans un communiqué. Car c’est ce laboratoire allemand qui possède la technologie novatrice de l’ARN messager (ARNm). Celle qui présente notamment l’avantage de pouvoir être développée rapidement, sans croissance cellulaire, et qui est au cœur du fonctionnement de ce candidat vaccin contre le Covid-19. On est bien dans un partenariat porté par des intérêts privés. Qui ont d’ailleurs permis au couple à la tête de cette PME d’environ 1.500 employés de faire leur entrée dans le classement des 100 Allemands les plus riches.

La recherche de ce nouveau vaccin prometteur a donc essentiellement été payée par son partenaire américain, qui collabore avec BioNTech sur les vaccins contre la grippe depuis 20108. L’Allemagne a toutefois elle aussi mis la main au porte-monnaie. Mais assez tardivement. Berlin a débloqué une aide totale de 375 millions d’euros pour ce groupe le 15 septembre dernier, après que celui-ci avait sollicité le gouvernement en juillet afin d’accélérer les capacités de fabrication et le développement du vaccin sur le marché national. »

Une administration publique a beaucoup de mal à lâcher autant d’argent en se fondant uniquement sur une question de confiance et de pari.

Ce que ces entreprises ont été capables de faire est unique dans l’histoire de l’humanité. Jamais on n’a su mettre au point un vaccin avec un tel taux de réussite en si peu de temps.

Mais pour ce faire il a fallu un financement gigantesque. Évidemment il y a eu une part considérable de financement public mais qui a suivi des financements privés. Et l’ensemble de l’élaboration des vaccins a été à l’initiative de partenaires privés, réactifs, extrêmement agiles.

Le journal <Les Echos> donne un peu plus de précisions sur le sujet du financement.

La bureaucratie ne permet pas cette réactivité. Or l’administration publique n’a pas su inventer, jusqu’à présent, un autre mode d’organisation que la bureaucratie

C’est pourquoi j’ai peur que Hubert Védrine ait raison.

Le second point concerne notre demande d’efficacité et notre capacité à accepter des contraintes de plus en plus fortes sur nos libertés pour retrouver des marges de manœuvre qui tourne beaucoup autour de la consommation même si dans nos propos ce sont le plus souvent des objectifs plus nobles que nous désignons.

Dominique Reynié a tenu ce discours :

« La question de l’efficacité se pose

La crise est planétaire et globale. Cela peut être très long et ce temps-là est un temps de mutation des systèmes démocratiques. Il fait de nos démocraties des régimes un peu plus autoritaires qu’ils ne l’étaient ». […]

La Chine se pose en modèle, avec un pouvoir plus contraignant et un contrôle beaucoup plus fort sur le comportement de ses administrés.

A quoi sommes-nous prêt pour revenir à la vie d’avant ? »

Et Dominique Reynié pointe le doigt sur ce que cela signifie pour beaucoup : une vie de consommateur, non une vie de citoyen. C’est une grande différence :

« Et nous comme nous sommes tous pris dans ces confinements et couvre-feu.
Dans une situation comme la nôtre aujourd’hui, on est en train de réviser, chacune mentalement peut s’observer à le faire, à la baisse nos exigences de liberté.
On veut des marges pas forcément des libertés.

Le risque qu’on se résolve à dire qu’avec nos grandes libertés, on ne va pas y arriver alors choisissons un régime politique dans lequel on aura plus de marge mais moins de liberté substantielle.

On acceptera de présenter son carnet de vaccination, « son QR code » pour aller au concert, on va consommer, on va se balader, on ira au restaurant, on ira en vacances, au moins on aura cette liberté-là, qui n’est pas une liberté substantielle.
C’est ce que les chinois offrent à leurs administrés.
La liberté politique, la vraie liberté on nous demandera d’en faire le deuil, pour bénéficier de cette liberté de consommateur. »

Et Sylvie Kaufmann ajouta :

« Je me souviens que c’est une question que nous avions abordé il y a quelques mois, la question des QR code.
Et Émilie vous m’aviez demandé alors :  est qu’on va faire comme les chinois, montrer notre QR code pour aller au restaurant ?

Moi j’ai dit non, bien sûr parce qu’on ne va pas faire comme les chinois.

Et puis quelques mois plus tard, on s’aperçoit qu’on en débat sérieusement et cela devient une hypothèse plus que plausible. »

Pour celles et ceux qui ignoreraient d’où sort cette idée de QR code, vous trouverez des explications dans ces articles de journaux : « Le Monde » <TousAntiCovid : vers des QR codes dans certains lieux publics à risque>, « L’indépendant » <Vers un QR code pour aller au restaurant ?>

Des questions dérangeantes mais nécessaire pour avancer dans la compréhension de ce qui se passe.

Je vous invite à écouter cette émission : <En finir avec le virus : un choix politique ?>

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