Jeudi 10 mars 2016
« [Les Etudiants d’aujourd’hui] devront se remettre en question en permanence. Le monde va si vite que nous sommes d’ailleurs bien incapables de leur enseigner ce qu’ils devront savoir ne serait-ce que dans dix ans. »
John Hennessy Président de l’université Stanford
Stanford, cette extraordinaire université américaine !
Stanford a donné au monde Google, Cisco, Paypal, Netflix, Snapchat, Instagram, Yahoo, LinkedIn…
Mais René Girard y a enseigné et aussi Michel Serres ainsi que le philosophe Jean-Pierre Dupuy, chercheur au centre d’étude du langage et de l’information de Stanford et ancien directeur d’études à Polytechnique. Ces trois français montrent que les sciences humaines sont aussi très présentes à Stanford.
John Steinbeck fut aussi élève de cette université.
« Si vous avez une idée, vous trouverez toujours quelqu’un sur ce campus pour vous aider », assure une étudiante dans cet article consacré à Stanford. Article dont je tire aussi ce qui suit :
En 1996, c’est dans le sous-sol du bâtiment Gates de sciences informatiques (le fondateur de Microsoft avait offert 6 millions de dollars pour la construction) que les deux étudiants en doctorat Larry Page et Sergueï Brin ont mis au point l’algorithme du futur moteur de recherche Google. L’université, qui avait déposé le brevet, a reçu 1,8 million d’actions Google. En 2005, l’université a vendu ses parts pour 336 millions de dollars. Depuis, le pipe-line ne s’est pas tari. Selon le Stanford Daily, Google offre chaque année 1 million de dollars au département d’informatique. La « tech » finance Stanford, qui lui envoie ses meilleurs éléments.
John Hennesy est la tête de l’université depuis 2000, il a chamboulé le cursus académique. Stanford ne doit plus être seulement un lieu de recherche fondamentale, mais un endroit où l’on « cherche des solutions », a-t-il décrété en 2009. « Si les universités ne travaillent pas sur les grands problèmes du monde, qui le fera ? »
Récemment il est venu en France et le journal Le Monde l’a interviewé : «Le défi majeur est d’apprendre à apprendre tout au long de la vie»
Voici des extraits de cet entretien :
Vous avez placé les approches interdisciplinaires au cœur de tous vos cursus. En quoi cela répond-il aux besoins des entreprises ?
Un dirigeant doit bien sûr avoir un domaine d’expertise. Mais il doit de plus en plus être en capacité d’interagir et de travailler avec d’autres personnes, d’autres disciplines. Regardez le problème du changement climatique. Il n’existe pas de solution magique. Climatologues, économistes, politiques, experts en technologies alternatives doivent travailler ensemble. Les défis auxquels nous faisons face, en économie, en politique ou en environnement nécessitent des capacités de collaborations pour être résolus. Cela s’apprend.
Est-ce facile de faire dialoguer les disciplines ? En France, cela ne va pas de soi…
Rassurez-vous, aux Etats-Unis non plus ! Dans l’industrie, les approches transversales sont plus faciles à initier car, au final, un produit doit sortir, de la valeur doit être créée. Dans le monde académique, les personnes ont plutôt tendance à travailler en silo. Nous avions néanmoins un atout : l’existence d’un campus réunissant, sur un faible périmètre, de multiples disciplines. Nous avons ensuite créé des incitations pour que chercheurs et étudiants travaillent ensemble, par exemple des facilités de financement pour les recherches transdisciplinaires.
Plus inattendu au cœur de la Silicon Valley : vous avez placé l’art au cœur du campus. Qu’en attendiez-vous ?
Les grandes sociétés ont de grands artistes : la culture apporte de la profondeur, ce que l’on respire d’ailleurs partout en France. En outre, nous voulions permettre aux étudiants d’avoir accès à quelque chose qui pourrait devenir une source de joie pour toute leur vie. Mais l’art a aussi une vertu pédagogique : sa fréquentation et sa pratique stimulent la créativité, nous confrontent à des cultures différentes, à des idées qui sortent des cadres établis. Nous avons donc cherché à donner aux étudiants ce que j’appelle la confiance créative. Leur apprendre à émettre et aussi à recevoir les critiques sans en prendre ombrage. Cette compétence est de grande valeur.
Même les entreprises qui se disent en quête de créativité ont parfois du mal à accepter ces idées « qui sortent des cadres établis »…
Le défi, pour une entreprise, est de garder l’étincelle de l’innovation, notamment dans les grandes organisations. Google, par exemple, consacre beaucoup d’énergie à conserver cette agilité. Dans la Silicon Valley, les idées qui sortent de l’ordinaire jaillissent à chaque coin de rue. D’ailleurs, les universités devraient être ce lieu où les idées émergent en permanence, et elles devraient se réinventer en permanence.[…]
Il s’agit donc d’« apprendre à apprendre » tout au long de la vie ?
Absolument. C’est le défi majeur. Notamment pour trouver un emploi. A mon époque, je savais que j’aurais trois ou quatre employeurs au maximum. Maintenant, les jeunes ne pensent plus en termes de carrière linéaire. Ils se projettent dans une multitude de carrières et travailleront pour dix ou quinze employeurs différents. Ils devront se remettre en question en permanence. Le monde va si vite que nous sommes d’ailleurs bien incapables de leur enseigner ce qu’ils devront savoir ne serait-ce que dans dix ans.
Si vous deviez néanmoins désigner une évolution majeure pour la prochaine décennie, quelle serait-elle ?
Le big data. Il devient l’outil central d’aide à la décision dans une multitude de domaines.
L’accès à ces données massives et personnelles donne un pouvoir considérable à des entreprises privées. Quel contre-pouvoir peut déployer l’université ?
Enseigner l’éthique. C’est ce que nous faisons depuis 2014 dès la première année pour tous les étudiants. Ils suivent des cours sur les enjeux éthiques attachés à leur spécialité – ingénierie, informatique, médecine, etc. Ils ont aussi des cours de philosophie à proprement parler. Le monde devient extraordinairement complexe et rapide. Leur donner accès à une capacité de penser pour prendre les bonnes décisions est central, avant qu’ils exercent le pouvoir qui sera le leur dès qu’ils entreront dans le monde du travail, où ils devront réagir en temps réel. Il est crucial que nous leur donnions les bons réflexes.
L’université s’oppose à des intérêts privés surpuissants. N’est-ce pas utopique ?
Nous pouvons lutter. Expliquer. Développer des arguments. Dire ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Je ne sais pas si nous gagnerons cette bataille. Mais il est de notre responsabilité de la mener.