Jeudi 3 mars 2022

«  Guerre : quand un mot redécouvre son sens propre.  »
Clément Viktorovitch

Hier soir, le Président Macron a dit :

« Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie. »

C’est factuellement exact.

Camus a écrit : « Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, car le mensonge est justement la grande misère humaine, c’est pourquoi la grande tâche humaine correspondante sera de ne pas servir le mensonge. »

Mais il y a bien la guerre sur le continent européen.

Hier, je citais Clausewitz qui conceptualisait « la montée aux extrêmes » quand deux puissances s’affrontaient dans une lutte pour leur existence.

De manière moins martiale, quand nous parlons nous avons aussi parfois tendance quand nous voulons dire notre colère, notre sidération ou notre perception de l’importance d’un évènement, de faire monter la rhétorique aux extrêmes.

C’est particulièrement le cas pour le mot « guerre ».

Ces dernières années, nous avons fait la guerre au virus. Le Président Macron, moins mesuré de ce temps-là, c’était il y a deux ans, s’est exclamé :

« Nous sommes en guerre ! »

Lors du mot du jour du <19 mars 2020>, j’avais repris le beau texte de Sophie Mainguy : « Nous ne sommes pas en guerre et n’avons pas à l’être ».

Après le 11 septembre 2001, George W. Bush a déclaré la guerre contre la terreur.

Et lors des attentats qui ont frappé le sol français, beaucoup de responsables ont affirmé « Nous sommes en guerre ! ».

C’était faux, nous n’étions pas en guerre alors.

Dans le monde commercial ou publicitaire, on parle aussi souvent de guerre, notamment de guerre des prix.

Par exemple cet article : « La guerre des prix fait rage sur les smartphones 5G ». D’autres veulent faire la guerre au gaspillage.

Mal nommer un objet…

Clément Viktorovitch dans son émission « Entre les lignes du 24/02/2022 » a remis le nom de l’objet à l’endroit, redonné le sens exact, on dit propre, du mot « guerre » :

« En droit international, la guerre se définit comme un conflit armé entre plusieurs groupes politiques constitués, et notamment des États : c’est ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine. Mais ce qui est intéressant, c’est justement que nous semblons presque redécouvrir, en Europe, le sens véritable de ce mot.

Voilà près de 20 ans, en effet, qu’il est utilisé dans le débat public de manière plus ou moins métaphorique. Tout a commencé le 20 septembre 2001, quelques jours après l’attaque contre le World Trade Center, le Président George W. Bush déclare la guerre contre la terreur. Or, la terreur n’est pas un groupe politique constitué. C’est une stratégie, un moyen : on « lutte » contre, mais on ne lui fait pas « la guerre ».

Le mot, ici, était déjà employé en partie dans un sens métaphorique. En partie parce que, de fait, cette déclaration a été suivie d’une série d’interventions militaires à l’extérieur, en Afghanistan puis en Irak. En revanche, sur le sol américain, son emploi était contestable. D’ailleurs, il y a un autre contexte, similaire, dans lequel cette expression a été employée : c’est en France, à la suite des attentats de 2015 par le Premier ministre de l’époque Manuel Valls. « La France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical ».

Cette phrase a été très critiquée, à l’époque, par une partie des chercheurs en relations internationales. Jean-Baptiste Jeangene Vilmer, le directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École Militaire, l’a par exemple qualifié de « non-sens sémantique », en rappelant que si la France était bien  »en guerre » contre les terroristes du Nord Mali, elle ne l’était pas sur son sol. À force de parler de guerre pour évoquer autre chose qu’un conflit armé, on a fini par en diluer le sens. »

Comme le dit Clément Viktorovitch, c’est un mot trop lourd pour être utilisé avec légèreté

Et il ajoute :

« Maintenant qu’elle frappe l’Europe sur son sol, nous redécouvrons la guerre dans toute sa matérialité. Les bombardements aveugles, les déplacements de population, les morts. Cette réalité qui n’est que trop familière pour tant d’hommes et de femmes qui la subissent chez eux, mais que nous regardions d’au loin, sans trop y prêter attention. Peut-être cela serait-il une bonne occasion pour réfléchir, aussi, à la manière dont nous parlons. La guerre est un mot trop lourd pour être invoqué avec légèreté. »

Il existe d’autres mots lourds qu’il n’est pas raisonnable d’invoquer avec légèreté, par exemple le mot « dictature » que certains ont eu tendance à beaucoup utiliser en France.

Ils nommaient mal un objet…

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