Mercredi 23/09/2015

Mercredi 23/09/2015
«Lyon, place du Pont,
La place des Hommes Debout !»
Azouz Begag
Non je ne parlerai pas aujourd’hui de la «deutsche Qualität». Je ne rappellerai que brièvement que Volkswagen signifie littéralement le «chariot» (wagen) du «peuple»(Volk). Les origines de cette marque se retrouvent dans l’Allemagne nazie des années 1930 . Avant la guerre, le désir d’Hitler est que chacun puisse s’offrir une voiture, car l’Allemagne vient de se doter d’un large réseau d’autoroutes qui restent désertes. L’ingénieur Ferdinand Porsche , voyant dans ce projet l’occasion de réaliser son plus vieux rêve : fabriquer un modèle de voiture populaire, lui fit une proposition en ce sens et créa cette voiture du peuple.
Aujourd’hui j’ai l’intention de vous parler de la place du pont de Lyon.
Pour les nouveaux habitants comme pour les visiteurs de Lyon, il y a une place étrange à quelques centaines de mètres de la Place Bellecour, centre de la cité.
Sur un plan moderne on lit que ce lieu s’appelle «Place Gabriel Péri» dans le quartier de la Guillotière.
Mais le lyonnais utilisera le nom de « la Place du Pont».
Le plus souvent, cette place est occupée par des hommes debout originaires de l’autre côté de la Méditerranée qui conversent tranquillement.
Les abords de la place ne révèle pas une propreté qu’on attendrait en proximité du centre de la ville bourgeoise.
Récemment j’ai lu un petit livre de Azouz Begag qui parle de cette place et a pour titre   «Lyon, place du Pont. La place des Hommes Debout !»
Il faut toujours commencer par l’Histoire.
Lyon est appelé la ville entre Rhône et Saône, mais ces deux fleuves n’ont pas eu le même rôle pour la ville. La Saône est le vrai cours d’eau de Lyon, celui autour de laquelle la ville s’est développée.
Le Rhône a longtemps été, pour Lyon et sa province « le Lyonnais », la frontière comme le Rhin pour la France.
Le Rhône séparait deux subdivisions du Saint Empire romain qui vont devenir 2 provinces françaises : Le Lyonnais qui est devenu français après le traité de Vienne du 10 avril 1312 et le Dauphiné qui a été rattaché  en 1349 au royaume de France.
Il y avait à l’époque très peu de ponts qui traversaient le Rhône : Le Pont Bénezet d’Avignon achevé en 1185 et le pont du Rhône pour entrer dans Lyon qui a été achevé 2 ans avant en 1183. Mais ce premier pont ne résistera que 7 ans, c’est un pont en bois qui s’effondre sous le passage des croisés en 1190. Reconstruit en partie en pierre et en partie en bois, il subit de nombreux dégâts et sa construction n’est réellement achevée qu’au début du XIVe siècle.
Et c’est donc pendant très longtemps le seul pont pour rejoindre la riche ville de Lyon quand on venait de l’est.
Et sur la rive est du Rhône, avant d’arriver à ce pont, s’est créé « un quartier de la Guillotière» qui fut pendant des siècles le lieu d’arrivée de migrants qui se sont installés là à deux pas de Lyon.
Le livre de Begag constitue une étude passionnante du point de vue de l’immigration et de l’intégration de populations étrangères en France.
En effet, comme l’écrit la 4ème de couverture : «la Place du Pont constitue le cœur du quartier de la Guillotière, quartier populaire et historique où les immigrés qui ont fait escale à Lyon au cours des siècles s’implantent, se retrouvent… De ce carrefour de l’immigration, Russes, Allemands Grecs, Italiens, Espagnols, Arméniens, Juifs, Bulgares, Maghrébins ont écrit l’histoire. Des décennies durant, la place s est trouvée dans le collimateur des équipes municipales qui ont tenté de la dompter pour la rendre lisse, moins exotique, plus banale. On a parlé de « reconquête » de ce lieu trop visible, trop bruyant, trop délabré, trop sale, trop central. Mais la Place des Hommes Debout fait de la résistance, encore, toujours. Ici, les hommes ont refusé de plier. Ils sont restés debout. La Place est un lieu d’entraide, disent les uns, de confrontations surtout, rétorquent les autres.»
Cette place a en effet fait l’objet de beaucoup de travaux d’urbanisme ou même de leurre pour tenter de la domestiquer et surtout disperser une population si étrange et si peu conforme au style lyonnais. Mais jusqu’à présent rien n’y a fait, elle est toujours le lieu de rencontre de gens “différents”.
Je voudrais partager avec vous 3 extraits de ce livre.
D’abord il raconte la surprise du visiteur :
« Ils regardent ce spectacle les yeux écarquillés et s’inquiètent sans doute du caractère insolite de tels stationnements d’hommes étranges. Est-ce une manifestation ?  Que trafiquent-ils ? […]
Ils ignorent l’histoire, tout simplement : depuis des siècles la place du pont a une tradition de rencontre, on s’y arrête, en discute en groupe, le jour comme la nuit[…] Les maghrébins ne sont pas les inventeurs de cette pratique de sociabilité urbaine.
Elle est totalement associée à la morphologie du lieu. C’est la place des hommes debout.»
Puis il cite la lettre du parquet de la cour impériale de Lyon au ministère de la justice, le 20 avril 1867.
« Depuis quelques mois, une nuée de mendiants et de vagabonds venant de tous les points de l’Italie s’est abattue sur la ville de Lyon
Ils se trouvent dans toutes les rues, sur toutes les places publiques. Sous prétexte de faire de la musique et de montrer des animaux savants, ils mendient et ils volent quand ils en trouvent l’occasion. […] et la plupart exploitent de malheureux enfants qu’ils ont amené avec eux en les obligeant a voler et à demander l’aumône et en les maltraitant quand ils ne recueillent pas une somme déterminée. Ces vagabonds couverts de haillons et de misère, sont devenus pour Lyon un embarras de premier danger…»
Enfin il évoque des rixes entre étrangers :
«Le 7 janvier 1919 un groupe d’hommes grecs envoie une plainte collective à la préfecture pour signaler l’insécurité dont ils sont victimes, à la place du pont où il réside. Les soussignés avons l’honneur de porter à votre connaissance ce qui suit : Depuis quelques temps, le quartier de la place du pont est soumis à une continuelle rixe et des vols de nuit par des bande d’arabes. Les ouvriers étrangers qui travaillent dans les usines de la défense nationale sont arrêtés par ces bandes, volés et blessés. Il nous est impossible de regagner nos chambres dans la nuit. Nous espérons […]que les faits mentionnés attireront votre attention et que vous voudrez bien ordonner le nécessaire pour que ce quartier soit nettoyé de ces bandes qui terrorisent les milieux ouvriers étrangers.»
Rien de neuf sous le soleil donc.
Ce n’était pas mieux avant.
Et il n’y a pas que les grecs qui trichent, les allemands aussi…
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