Vendredi 16 septembre 2016

Vendredi 16 septembre 2016
« La négociation annuelle sur […] la qualité de vie au travail porte sur : Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. »
Le droit à la déconnexion pour les salariés à l’heure du numérique !
Beaucoup a été dit sur la Loi « travail ». Il y a aussi des mesures innovantes et adaptées à notre monde moderne et numérique.
Ainsi l’article 55 de la Loi a modifié l’article L2242-8 du code travail dont le paragraphe 7 que je cite ci-dessus dispose dans son intégralité :
« 7° Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques. »
Je l’avoue, ce n’est pas la lecture attentive de la Loi mais la  revue de presse du 5 septembre d’Helene Jouan sur France Inter qui m’a informé de cette disposition :
« Etre ou ne pas être…Connecté cette fois ! Le droit à être déconnecté de son smartphone, de ses mails, est inscrit pour la première fois dans la loi travail…en gros, est affirmé le droit de ne pas travailler…en dehors de ses heures de travail ! Quel progrès me direz-vous, sauf que c’est devenu une réalité pour beaucoup ; répondre à n’importe quelle heure du jour et de la nuit à des mails professionnels. Passionnant entretien du philosophe Maurizio Ferraris dans Libération ce matin qui nous révèle surtout comment en réalité cette servitude au smartphone est une servitude volontaire dit-il. Le smartphone dit-il c’est le bâton d’hier, l’arme dans la poche de l’homme, une arme qu’on dégaine parce qu’on est toujours en guerre. Alors l’homme reste cet animal soumis à sa pulsion de décrocher son téléphone, de répondre à un mail en pleine nuit. Une soumission docile difficile à rationaliser d’autant que tout est désormais enregistré…c’est toute une pratique du Web qui reste à inventer dit-il. Article 55 de la loi travail, passé assez inaperçu jusque-là. »
Vous trouverez l’article de Maurizio Ferraris derrière ce lien : http://www.liberation.fr/debats/2016/09/04/maurizio-ferraris-le-smartphone-une-servitude-volontaire_1482631 dont voici des extraits :
« Il est 3 heures du matin, une nuit entre le samedi et le dimanche. Maurizio Ferraris jette un œil à son téléphone et, s’apercevant qu’un mail professionnel est arrivé, y répond immédiatement. Donc, il travaille. Pourquoi n’a-t-il pas pu s’en empêcher ? C’est la question à l’origine de Mobilisation totale, l’appel du portable (PUF, 2016). Dans cet essai, le philosophe italien décrit l’ère post-Jobs comme celle de la militarisation de la vie civile, de l’hyperenregistrement. Le smartphone est une arme, une technologie qui nous mobilise, entraîne une servitude volontaire. Loin d’être une dérive technologique, il permet de révéler nos archaïsmes, notre inconscient social, une nature humaine imparfaite et dépendante. Le penseur travaille à construire une «raison pratique du Web», pour l’avènement d’un Internet heureux.
[…]
Nous avons plutôt découvert quelque chose de surprenant sur la nature humaine. L’ouvrier allant à l’usine pouvait rationaliser sa conduite : c’était pour gagner son salaire. Mais ce qui me pousse à répondre à un message professionnel pendant la nuit révèle une soumission docile et imprévue, une servitude volontaire difficile à rationaliser.
La contrainte fonctionne par responsabilisation : tu as reçu mon message, je sais que tu l’as reçu (surtout si tu utilises WhatsApp). Tout est enregistré, il faut que tu me répondes, sinon c’est comme si tu détournais ton regard du visage de l’autre. Ou par rétorsion : si tu ne me réponds pas, la prochaine fois que tu m’appelles je ne répondrai pas. Ou par menace : si tu ne me réponds pas, il y a des dizaines (des centaines, des milliers) d’autres qui le feront à ta place. La base de l’efficacité est l’enregistrement. Autrefois, à l’époque du fixe, les appels téléphoniques ne laissaient pas de trace : je n’étais pas là, je n’ai pas entendu. Maintenant on est joignable partout, tout le temps. Tout appel laisse une trace, et beaucoup d’entre eux sont écrits – pas de justification possible, on est coupables. On passe de l’irresponsabilité à l’hyper-responsabilité. Le Web, avant d’être un moyen de communication, est un outil d’enregistrement, une grande archive qui garde tout et qui, en l’absence d’une raison pratique, privilégie les bêtises.»
J’avais écouté, il y a quelques mois, une émission très intéressante qui abordait déjà ce sujet et qui avait invité Bruno Mettling, Directeur Général adjoint Orange l’auteur du rapport Mettling sur le droit à la déconnexion et aussi Joël Guerriau, sénateur-maire de St Sébastien-sur-Loire qui a lancé, le 17 décembre dernier, une journée sans e-mail dans sa mairie.