Jeudi 7 avril 2016
« L’évasion fiscale est un des instruments de domination des plus riches pour obtenir, avec la construction de déficits publics, le consentement des peuples à rembourser des dettes qui ont pour réelle vocation d’enrichir toujours plus les déjà nantis. »
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
Le couple Pinçon / Pinçon-Charlot dénonce à travers leurs livres et leurs études le rôle des riches dans les dérives et les perversions du système capitaliste ainsi que l’arrogance de cette classe.
Ils ont commis un article dans le Monde du 5 avril suite à la dénonciation des Panama papers. Vous trouverez cet article en pièce jointe ainsi qu’un autre qui éclaire également cet évènement.
Certains les accusent d’être trop catégoriques dans leur dénonciation. Peut-être, mais il est utile de lire leur analyse qui montre un des fondements de toute cette évasion fiscale:
«Si l’évasion fiscale finit sa course sous les palmiers d’îles lointaines ou de pays d’Amérique du Sud comme le Panama, elle s’organise en réalité au cœur des pays les plus développés avec l’Etat du Delaware, aux Etats-Unis, et les paradis fiscaux qui sont au cœur de l’Europe comme le Luxembourg, le Royaume-Uni ou la Suisse.
L’évasion fiscale est un des instruments de domination des plus riches pour obtenir, avec la construction de déficits publics, le consentement des peuples à rembourser des dettes qui ont pour réelle vocation d’enrichir toujours plus les déjà nantis. Le refus des plus riches de contribuer aux solidarités nationales en payant leurs impôts à hauteur de leur fortune est donc confirmé avec les dernières révélations sur les montages opaques d’une société panaméenne. Il s’agit bien d’une oligarchie qui, à l’échelle de la planète financiarisée pour le seul profit de ses membres, organise, dans le secret, le plus grand casse des temps dits « modernes […]».
Et ils continuent : « En Europe, le dumping fiscal a de beaux jours devant lui puisque, dans le domaine de la fiscalité, les décisions doivent être votées à l’unanimité. Si bien que chaque Etat dispose de fait, que ce soit le Luxembourg ou l’Autriche, d’un droit de veto pour maintenir la concurrence fiscale entre les pays.
Cette volonté a été confirmée par l’oligarchie lorsqu’elle a choisi de coopter, en juillet 2014, à la tête de l’exécutif, Jean-Claude Juncker qui a été, de 2002 à 2010, à la fois premier ministre et ministre des finances du Luxembourg, tout en étant président de l’Eurogroupe, instance de réunion des ministres des finances de la zone euro. Mais ce n’est que grâce à un ancien salarié d’un des plus gros cabinets d’audit, PwC, Antoine Deltour, et au formidable travail du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), que les 548 arrangements fiscaux négociés, pendant cette période par le Luxembourg, avec des multinationales et de grosses entreprises, sont désormais tombés dans le domaine public.
Ces rescrits fiscaux sont une sorte de commercialisation de la souveraineté nationale du Luxembourg. Le signal donné aux peuples européens est clair : celui qui occupait toutes les responsabilités ayant à voir avec ces Tax rulings est nommé président de la Commission Européenne et celui qui a eu le courage de les dévoiler doit comparaître, à partir du 26 avril, devant la justice luxembourgeoise, avec une possible peine de cinq ans d’emprisonnement et une amende de plus d’un million d’euros.
L’impunité de ceux qui concentrent toutes les formes de richesse et de pouvoir est démontrée par le fait que les délinquants en col blanc sont dénoncés auprès de l’opinion, non par le résultat de la traque fiscale et des échanges automatiques d’informations entre pays mis en place par l’OCDE, mais de manière massive, par des lanceurs d’alerte, des salariés sous anonymat, et l’aide précieuse de ces journalistes de l’ICIJ et de leur belle solidarité pour arriver à travailler ensemble et dans le secret pendant des mois. Secret qui renvoie en creux à toutes les formes de secret mobilisées par les puissants : secret bancaire, fiscal, fiduciaire, des affaires ou encore le secret défense.
Toutes ces formes de secret sont révélatrices de la montée des malversations à maintenir cachées. […] »
Sur ces développements, il n’y a rien à redire. Les Etats ne font pas leur travail et ce sont toujours des lanceurs d’alerte qui vont révéler les informations qui obligeront les Etats à bouger un peu.
Les lanceurs d’alerte ne sont pas protégés bien au contraire.
Dans l’article ci-avant est cité Antoine Deltour qui avait révélé le Lux leaks, son procès a commencé mais une pétition de soutien a été lancé : https://support-antoine.org/
L’informaticien français qui avait révélé les swissleaks et les dérives du système HSBC a déjà été condamné à 5 ans de prison, fin 2015, mais par contumace, il n’est plus en Suisse : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/proces-hsbc-herve-falciani-condamne-a-5-ans-de-prison_1740209.html
Dans le mot du jour du 25 novembre 2014, j’évoquais Stéphanie Gibaud qui avait été embauchée par la branche française d’UBS en 1999, et a été jusqu’en 2012 directrice de la communication, chargée en particulier d’organiser les événements de la banque en France.
Apprenant le caractère illégal de l’activité d’UBS en France, elle révèle le scandale de l’évasion et de la fraude fiscale. En 2014, elle publie « La Femme qui en savait vraiment trop » (éd. Cherche midi).
<Le 24 mars, elle annonçait sur son blog dur Mediapart qu’elle a dû quitter son appartement>, En effet, elle ne dispose pas d’aide et elle est poursuivie par la Banque UBS par une troisième procédure en diffamation et elle n’a plus les moyens d’assumer le loyer de son appartement. <Ici> elle lance un cri : l’Etat m’a complétement abandonnée.
Ce sont des faits, les délinquants financiers sont épargnés, les lanceurs d’alertes sont poursuivis. Je sais bien qu’il y a quelques fraudeurs qui sont rattrapés par la patrouille, mais le Directeur de la Société Générale ? Lui ne risque pas une peine d’emprisonnement de 5 ans, alors qu’il participe au crime contre l’Etat social.
Le couple de sociologues démythifie aussi la bienveillance et le caractère « moral » de l’action des Etats Unis :
«Les Etats-Unis genre Zorro Le pactole de l’évasion fiscale est l’objet de toutes les convoitises. Les Etats-Unis prennent volontiers la posture avantageuse du courageux justicier de bandes dessinées, genre Zorro, pour mieux dissimuler ce qui les symbolise le mieux, l’oncle Picsou. La loi Fatca (Foreing Account Tax Compliance Act) conçue en 2010 par les Etats-Unis, « est une législation extraterritoriale américaine unilatérale assurant aux Etats-Unis toute l’information dont ils ont besoin », a déclaré devant les sénateurs français le directeur du Centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE, Pascal Saint-Amans.
Les banques étrangères doivent en effet transmettre les indications concernant leurs clients américains avec le montant de leurs comptes, sous peine d’un prélèvement à la source de 30 % de leurs revenus réalisés aux Etats-Unis. Mais sans réciprocité. « L’évasion fiscale est un des instruments de domination d’une oligarchie » Cette loi entend favoriser leurs propres paradis fiscaux dont celui du Delaware, le plus important et le plus connu, mais aussi ceux du Nevada et du Wyoming, sans compter quelques îles sous contrôle. Les Etats-Unis persistent dans leur refus de réciprocité des règles qu’ils imposent aux autres. En effet, ils n’ont pas signé l’accord multilatéral d’échange automatique sur les comptes bancaires mis au point par l’OCDE en octobre 2014 et signé par plus de 100 pays.
Cet accord se réalisera entre administrations fiscales sans contrainte, sans contrôle et sans vérification sous le sceau du secret. Le Panama, lui, a bien signé cet accord mais il en a été expulsé le 26 février car, selon Pascal Saint-Amans, ce pays « n’a pas l’intention d’échanger ses informations conformément au standard défini par l’OCDE à la demande du G20, mais au cas par cas, avec le pays de son choix et selon ses propres règles. Nous le sortons donc de la liste officielle des pays engagés dans l’échange automatique. » Le hasard fait tout de même parfois bien les choses car les responsables de cet accord piloté par les pays les plus riches auraient été bien gênés avec la publication de l’affaire « Panama papers ».
Les dizaines de milliards d’argent volage à travers le monde font l’objet non seulement d’une guerre de classe que mènent les plus riches à leur profit, mais également d’une guerre entre les pays développés et ceux en état de développement, mais toujours pour le bonheur des riches et la prospérité de leurs arrangements entre amis, tout en faisant croire, comme d’habitude, que l’évasion fiscale, c’est ter-mi-né !»
Et pour les pauvres naïfs qui pensent que le FN serait capable de laver plus blanc, ce Parti est également un bon utilisateur de ces réseaux opaques, comme le révèle aussi les Panama papers.