Jeudi 15 décembre 2016

Jeudi 15 décembre 2016
«Puisque vous allez revoir Kennedy, soyez un messager de paix. »
Fidel Castro
à Jean Daniel qui était venu le rencontrer avec un message de John F Kennedy après la crise des missiles
Je ne sais pas si vous connaissez cet épisode raconté par le fondateur du nouvel Obs, Jean Daniel qui en 1963 avait rencontré John F Kennedy puis était allé voir Fidel Castro qui l’ a bien accueilli et exprimait des sentiments très bienveillants à l’égard de ce président américain. Peut être que la situation entre Cuba et les Etats-Unis aurait pu évoluer dans le bon sens dès 1963, mais Pendant le séjour de Jean Daniel à Cuba, Kennedy fut assassiné à Dallas.
« Un mois après avoir été invité par J. F. Kennedy à la Maison-Blanche, Jean Daniel se rend à Cuba, et rencontre Fidel Castro. […] Fidel se révélant inaccessible, et malgré la tristesse de nos nouveaux amis, nous décidâmes de quitter La Havane. Nous devions prendre l’avion pour Mexico le lendemain. Raoul Castro et Armando Hart, deux des plus importants personnages du régime, m’avaient écouté. Je me dis que, après tout, le message dont je me croyais porteur devait laisser Fidel indifférent.
Il était 22 heures. Nous étions occupés à faire nos bagages. Le concierge me téléphona du ton le plus naturel pour m’informer que le Premier ministre m’attendait à la réception. Je pris l’ascenseur où n’étaient marqués que quatorze étages alors que l’hôtel en avait quinze : le chiffre treize était interdit à La Havane, qui était, avant la révolution, et plus que Las Vegas, le rendez-vous de tous les joueurs du monde.
Je n’eus pas à sortir de l’ascenseur. Fidel me dit : ‘Remontons. Pour parler, nous serons mieux dans votre chambre’.  Fidel, le commandant Valejo, son aide de camp, le romancier-interprète Juan Arcocha, Marc Riboud, Michèle et moi devions rester dans cette chambre de 10 heures du soir à 4 heures du matin.
Au début, Fidel m’a écouté – je veux dire a écouté Kennedy – avec un intérêt dévorant : frisant sa barbe, enfonçant et redressant son béret noir, ajustant sa vareuse de guérillero, jetant mille lumières pétillantes depuis les cavernes profondes de ses yeux.
Un moment, nous avons touché au mimodrame. Je jouais ce partenaire avec lequel il avait une envie aussi violente de s’empoigner que de discuter. Je devenais cet ennemi intime, ce Kennedy dont Khrouchtchev pourtant venait de lui dire que ‘c’était un capitaliste avec qui on pouvait parler’. Si pressé qu’il fût de me répondre, Castro s’imposa de me laisser aller jusqu’au bout en me faisant préciser souvent trois fois une expression, une attitude, une intention. Juan Arcocha traduisait en virtuose.
Sur quel ton Kennedy m’avait-il parlé du colonialisme de Batista et de ses alliés américains ? Quelle expression exacte avait-il employée lorsqu’il avait d’une coexistence possible avec des collectivismes comme ceux de Yougoslavie et de Guinée? Est-ce qu’il m’avait donné, à moi, Jean Daniel, une impression de sincérité? Etc.
A la fin de cette nuit extraordinaire, Fidel m’a dit : « ‘Puisque vous allez revoir Kennedy, soyez un messager de paix. Je ne veux rien, je n’attends rien. Mais dans ce que vous m’avez rapporté il y a des éléments positifs. »
Nous sommes enfin sortis de l’hôtel. Je dis « enfin » non pour moi – j’aurais encore pu écouter longtemps Castro -, mais pour Juan Arcocha épuisé, pour le commandant Valejo qui n’osait pas s’endormir tout à fait, et Marc Riboud qui avait depuis longtemps cessé de prendre toutes les photos possibles.»
Et Jean Daniel et ses amis vont encore rester à Cuba sur l’invitation de Fidel Castro et ils seront ensemble quand ils apprendront l’assassinat de Kennedy. Et Jean Daniel rapporte encore deux propos de Fidel Castro :
« Il faut que naisse aux Etats-Unis un homme capable de comprendre la réalité explosive de l’Amérique latine et de s’y adapter. Cet homme, ce pourrait être encore Kennedy. Il a encore toutes les chances de devenir, aux yeux de l’histoire, le plus grand président des Etats-Unis. Oui ! supérieur à Lincoln ! Moi, je le crois responsable du pire dans le passé mais je crois aussi qu’il a compris pas mal de choses et puis, en fin de compte, je suis persuadé qu’il faut souhaiter sa réélection. »
Et puis après sa mort, il s’indigne devant certains reportages des médias occidentaux et dit :
« Est-ce que vous êtes comme ça en Europe ? Pour nous, les Latins d’Amérique, la mort, c’est quelque chose de sacré. C’est non seulement la fin des hostilités mais aussi celle des injures, cela impose la dignité, vous savez ce que c’est que la dignité ? Il y a des voyous qui deviennent des seigneurs devant la mort !
A propos, cela me fait penser à quelque chose, quand vous écrirez tout ce que je vous ai dit contre Kennedy, ne citez pas son nom, parlez de la politique du gouvernement des Etats-Unis. »
Jean Daniel,
« Le Temps qui reste »
Gallimard, 1984
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