Vendredi 5 février 2016
«Tenter, braver, persister, persévérer,
être fidèle à soi-même,
prendre corps à corps le destin,
étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait,
tantôt affronter la puissance injuste,
tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ;
voilà l’exemple dont les peuples ont besoin,
et la lumière qui les électrise.»
être fidèle à soi-même,
prendre corps à corps le destin,
étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait,
tantôt affronter la puissance injuste,
tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ;
voilà l’exemple dont les peuples ont besoin,
et la lumière qui les électrise.»
Victor Hugo
Patrick Boucheron est un grand historien français. Il a été nommé au Collège de France à la chaire «Histoire des pouvoirs en Europe occidentale (XXIIIe-XVIe siècle)».
Et dans ce cas, avant de commencer son cours, le nominé au Collège de France prononce une leçon inaugurale où les plus grands professeurs et intelligences de Paris se rendent.
La leçon inaugurale de Patrick Boucheron a été particulièrement remarquée. Il a été invité sur France Inter après cette leçon.
Et il a expliqué : « Je suis médiéviste, je ne pouvais pas imaginer que ce que j’avais appris sur le Califat ou la Croisade, pourrait un jour être employé par des personnes mal intentionnées.»
Voici l’introduction de sa leçon inaugurale qui a été prononcée en décembre 2015 et dont le titre est : « Que peut l’Histoire ?» :
« Il y a un mois, je suis retourné place de la République. Comme tant d’autres, avec tant d’autres, incrédules et tristes. Le soleil de novembre jetait une clarté presque insolente, scandaleuse dans sa souveraine indifférence à la peine des hommes.
Depuis janvier 2015, comme une houle battant la falaise, le temps passait sur le socle de pierres blanches qui fait un piédestal à la statue de Marianne.
Le temps passait, les nuits et les jours, la pluie, le vent, qui délavait les dessins d’enfants, éparpillait les objets, effaçait les slogans, estompant leur colère. Et l’on se disait : c’est cela, un monument, qui brandit haut dans le ciel une mémoire active, vivante, fragile ; ce n’est que cela, une ville, cette manière de rendre le passé habitable et de conjoindre sous nos pas ses fragments épars ; c’est tout cela l’histoire, pourvu qu’elle sache accueillir du même front les lenteurs apaisantes de la durée et la brusquerie des événements.
Parmi les fleurs, les bougies et les papiers collés, j’ai vu une page arrachée à un cahier d’écolier.
Quelqu’un, à l’encre bleue, d’une écriture sagement appliquée, y avait recopié une citation de Victor Hugo. Depuis la veille au soir, déjà, la Toile bruissait de ce nom propre, en plusieurs langues et divers alphabets.
Au même moment, un collectif de grapheurs retrouvait dans une vieille locution latine la rage d’espérer, ramenant à la noire lumière d’aujourd’hui la devise parisienne qu’on gravait pour la première fois sur un jeton en 1581 [fluctuat nec mergitur]. Et que ceux qui se flattent de leur désespérance en tenant boutique de nos désarrois, ceux qui s’agitent et s’enivrent aux vapeurs faciles de l’idée de déclin, ceux qui méprisent l’école au nom des illusions qu’ils s’en font, tous ceux qui, finalement, répugnent à l’existence même d’une intelligence collective, que ceux-là se souviennent de ces jours. Car la littérature y fut aussi, pour beaucoup, une ressource d’énergie, de consolation et de mobilisation.
Je rentrais chez moi et me plongeais dans les grands livres illustrés à la reliure rouge qui m’accompagnent depuis l’enfance. A chacun de mes anniversaires, mon grand-père m’offrait un volume de cette édition ancienne et populaire des œuvres complètes de Victor Hugo.
J’y retrouvais, en entier, la chose vue place de la République.
C’est au troisième livre des Misérables, au premier chapitre intitulé « Paris étudié dans son atome », ode au gamin de la capitale qui raille et qui règne.
On y lit ceci.
« Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise. »
Le texte de Victor Hugo qui est un hymne à la gloire de Paris est ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Mis%C3%A9rables_TIII_L1#Chapitre11
Vous pouvez trouver la leçon inaugurale de Boucheron sur le site du Collège de France, comme d’ailleurs les cours qui suivent. Je vous préviens c’est dense et remarquablement érudit. Peut-être que je tenterais de faire de cette leçon une thématique d’une semaine.
Car la littérature fut pour beaucoup, une ressource d’énergie, de consolation et de mobilisation…