Jeudi 8 avril 2021

« Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »
Eugène Varlin
Je m’aperçois, en cheminant dans cette série, que je ne connaissais vraiment pas grand-chose à la Commune.

Quand je m’empare d’un sujet et que j’essaie de l’approfondir un peu, je fais des rencontres.

Et dans mes rencontres avec les femmes et les hommes du passé qui ont fait la Commune, Eugène Varlin occupe une place particulière, comme celle d’un juste. Un juste qui est mort en martyr.

Hippolyte Lissagaray qui participa au combat de la commune mais qui est surtout connu comme le premier historien de la Commune puisqu’il écrivit une <Histoire de la Commune de 1871> dès 1876 disait d’Eugène Varlin que

« Toute sa vie est un exemple »

Quand on parle de lui, on dit « Eugène Varlin, l’ouvrier relieur ». C’est le titre du livre que Michèle Audin, la fille du mathématicien Maurice Audin, déjà évoquée lors du mot du jour du 26 mars, qu’elle lui a consacré.
Ce livre n’est pas une biographie mais le recueil de tous ses écrits retrouvés à ce jour : articles, proclamations, lettres.

Parmi ces textes, on cite souvent cette vision de la société dont j’ai extrait l’exergue :

« Consultez l’histoire et vous verrez que tout peuple comme toute organisation sociale qui se sont prévalus d’une injustice et n’ont pas voulu entendre la voix de l’austère équité sont entrés en décomposition ; c’est là ce qui nous console, dans notre temps de luxe et de misère, d’autorité et d’esclavage, d’ignorance et d’abaissement des caractères, de pervertissement du sens moral et de marasme, de pouvoir déduire des enseignements du passé que tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »

Varlin est né en 1839 dans une famille de paysans pauvres de Claye-Souilly (Seine-et-Marne). Il va à l’école jusqu’à l’âge de 13 ans, puis fait un apprentissage à Paris où il devient ouvrier relieur. Il suit des cours du soir, participe aux premières grèves autorisées en 1864, devient membre et rapidement responsable de la toute jeune Association internationale des travailleurs (AIT), ce qui lui vaut trois mois de prison en 1868. Il mène une inlassable activité d’organisation des ouvriers à Paris et en province. Il est élu à la Commune en 1871 et participe activement à la défense de Paris pendant la Semaine sanglante et est assassiné le 28 mai 1871, dans des conditions atroces.

<Wikipedia> souligne aussi son ouverture au féminisme et son souci de l’égalité entre les hommes et les femmes

«  En 1864-1865, il anime la grève des ouvriers relieurs parisiens. Il devient président de la société d’épargne de crédit mutuel des relieurs qu’il a aidé à créer (partisan de l’égalité des sexes, il y fait entrer à un poste élevé Nathalie Lemel). En 1864 est créée l’Association internationale des travailleurs (AIT), souvent connue sous l’appellation de « Première Internationale ». Varlin y adhère en 1865 et participe, avec son frère Louis et Nathalie Lemel, à la première grève des relieurs. Il est délégué en 1865 à la conférence de l’AIT à Londres, puis en 1866 au premier congrès de l’AIT à Genève, où il défend contre la majorité des autres délégués le droit au travail des femmes. »

Nathalie Le Mel fut aussi une des femmes qui participa activement à la Commune.

Elle a été dans beaucoup des combats d’Eugène Varlin dont elle partageait le métier de relieuse.

Tous les deux avaient adhéré à l’AIT

Eugène Varlin n’était pas que dans le concept, il travaillait aussi dans le concret et les besoins immédiats des ouvriers :

À la même époque, il crée la Société de solidarité des ouvriers relieurs de Paris, dont les statuts évoquent la nécessité de « poursuivre l’amélioration constante des conditions d’existence des ouvriers relieurs en particulier, et, en général, des travailleurs de toutes les professions et de tous les pays, et d’amener les travailleurs à la possession de leurs instruments de travail. » Ses efforts contribuent à la création, le 14 novembre 1869, de la Fédération parisienne des sociétés ouvrières, qui plus tard passe à l’échelle nationale et devient ultérieurement la Confédération générale du travail.

Varlin participe à la création d’une coopérative, « La Ménagère », en 1867, et à l’ouverture, en 1868, d’un restaurant coopératif, « La Marmite ». Ce dernier compte 8 000 adhérents et ne ferme qu’après la Commune. »

Il était donc aussi à l’origine des prémices de la CGT.

Nathalie Le Mel jouera également un rôle essentiel dans l’organisation de « La Marmite » et des sociétés d’alimentation, de consommation et de production qu’Eugène Varlin voulait pour améliorer le sort des ouvrier et des pauvres.

L’historien moderne de la commune Jacques Rougerie écrit :

« Pendant toute la durée de l’insurrection, Varlin ne se consacrera qu’aux tâches concrètes ; il ne s’agit rien moins que de faire vivre et combattre Paris et cela peut tenir au moindre détail. »

Pendant la commune il sera nommé à la commission des finances. Il assure la liaison entre la Commune et les sociétés ouvrières.

<Le Maitron> publie un récit biographique assez détaillé.

Le journal <LES INROCKS> le décrit ainsi :

« Varlin milite sans relâche pour la réduction de la durée de la journée de travail, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté de la presse et d’association, l’instruction laïque et obligatoire ou encore l’impôt progressif. « L’association n’a pas pour but d’organiser les travailleurs en vue de soutenir une lutte permanente contre les détenteurs de capitaux. Elle vise plus haut. Elle se propose de réaliser l’affranchissement complet du travail, en amenant les travailleurs à la possession de l’outillage social et les éléments naturels indispensables à la production. Loin de vouloir organiser la guerre, elle a la prétention d’établir la fraternité entre les hommes sans distinction de race, de couleur, ou de croyance », écrit-il. Sous la Commune, dont il fut délégué aux Finances et membre de la Commission de la Guerre, il prit notamment la décision de suspendre la vente des objets au Mont-de-Piété, cette institution de prêts sur gage qui finissait par ruiner les pauvres. »

Le 28 mai, reconnu et dénoncé par un prêtre rue Lafayette, il est arrêté par le lieutenant Sicre et amené à Montmartre, rue des Rosiers, où il est lynché, éborgné par la foule et, finalement, fusillé par les soldats près de l’endroit où avaient été fusillés les généraux Lecomte et Clément-Thomas. Précision sordide : Les ouvriers relieurs lui avaient offert une montre qui lui fut volée, après qu’il eut été massacré.

<Le Maîtron> précise que : « Dans un rapport à son colonel, le lieutenant Sicre avait déclaré :  » Parmi les objets trouvés sur lui [Varlin] se trouvaient : un portefeuille portant son nom, un porte-monnaie contenant 284 f 15, un canif, une montre en argent et la carte de visite du nommé  » Tridon « . Sicre s’appropria la montre — présent des ouvriers relieurs en 1864»

Voici la description que Louise Michel fait de son assassinat dans ses Mémoires :

« La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros inconnus. Ce dernier coup de canon à double charge énorme et lourd ! Nous sentions bien que c’était la fin ; mais tenaces comme on l’est dans la défaite, nous n’en convenions pas…

Ce même dimanche 28 mai, le maréchal Mac-Mahon fit afficher dans Paris désert : « Habitants de Paris, l’armée de la France est venue vous sauver ! Paris est délivré, nos soldats ont enlevé en quatre heures les dernières positions occupées par les insurgés.

Aujourd’hui la lutte est terminée, l’ordre, le travail, la sécurité vont renaître ».

Ce dimanche-là, du côté de la rue de Lafayette, fut arrêté Varlin : on lui lia les mains et son nom ayant attiré l’attention, il se trouva bientôt entouré par la foule étrange des mauvais jours. On le mit au milieu d’un piquet de soldats pour le conduire à la butte qui était l’abattoir. La foule grossissait, non pas celle que nous connaissions : houleuse, impressionnable, généreuse, mais la foule des défaites qui vient acclamer les vainqueurs et insulter les vaincus, la foule du vae victis éternel. La Commune était à terre, cette foule, elle, aidait aux égorgements.

On allait d’abord fusiller Varlin près d’un mur, au pied des buttes, mais une voix s’écria : « il faut le promener encore » ; d’autres criaient : « allons rue des Rosiers ».

Les soldats et l’officier obéirent ; Varlin, toujours les mains liées, gravit les buttes, sous l’insulte, les cris, les coups ; il y avait environ deux mille de ces misérables ; il marchait sans faiblir, la tête haute, le fusil d’un soldat partit sans commandement et termina son supplice, les autres suivirent. Les soldats se précipitèrent pour l’achever, il était mort.

Tout le Paris réactionnaire et badaud, celui qui se cache aux heures terribles, n’ayant plus rien à craindre vint voir le cadavre de Varlin. Mac Mahon, secouant sans cesse les huit cents et quelques cadavres qu’avait fait la Commune, légalisait aux yeux des aveugles la terreur et la mort. […] Combien eût été plus beau le bûcher qui, vivants, nous eût ensevelis, que cet immense charnier !

Combien de cendres semées aux quatre vents pour la liberté eussent moins terrifié les populations, que ces boucheries humaines ! Il fallait aux vieillards de Versailles ce bain de sang pour réchauffer leurs vieux corps tremblants. »

Wikipedia rapporte que pendant la Semaine sanglante, il avait tenté en vain de s’opposer à une exécution d’otages, rue Haxo.

<France Culture> donne la parole à l’historien de l’action culturelle Mathieu Menghini :

« Eugène Varlin, […] s’est instruit en autodidacte, s’intéressant à de nombreuses disciplines comme la géométrie, le latin, l’orthographe, la grammaire.

A force de fabriquer des livres, Eugène Varlin les a dévorés. On lui connaît une obédience doctrinale qui le situe du côté des communistes non-autoritaires, mais on pourrait mieux le définir par ses combats pour les droits des femmes, pour l’émancipation intellectuelle des travailleurs, pour leur instruction intégrale et polytechnique.

Eugène Varlin a contribué à former la classe ouvrière française, […], à établir parmi les ouvriers une conscience de classe. A une époque où Paris était déjà en train de se gentrifier, un des enjeux pour la classe ouvrière était d’améliorer concrètement leurs conditions matérielles, qui souvent se nourrissait mal tout en payant très cher. Avec sa collègue militante Nathalie Lemel, Eugène Varlin a établi des restaurants ouvriers coopératifs nommés « La Marmite ». Un lieu de vie, et de nourriture intellectuelle.

On raconte qu’une fois les estomacs sustentés, ces cantines ouvrières se transformaient en véritables foyers dans lesquels on rêvait la transformation du monde, entre femmes et hommes de divers courants doctrinaux. Certains artistes, favorables à l’auto-émancipation des travailleurs, venaient y entonner un air lyrique une fois leur spectacle terminé. »

Michèle Audin <parle> du premier article d’Eugène Varlin qu’elle a lu et qui lui a donné l’envie de réaliser son livre sur les écrits de cet homme singulier et épris de justice sociale :

« Il est clair, précis, rigoureux, il s’adresse directement à ses lecteurs et il pense aux lecteurs du futur, nous, qui lirons le journal relié. J’ai trouvé le style et les aspects humains de cet article, la dignité de ce jeune ouvrier, ce qu’il appelle dans un autre article « la timidité ordinaire du travailleur » et en même temps sa confiance en ses compétences, très séduisants. Je n’ai pas lu beaucoup d’articles où un ouvrier parle de ses connaissances et de son goût, avant de les appliquer au sujet. »

<1549>

 

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