Vendredi 21 juin 2024

« Timeo hominem unius libri »
Parole attribuée à Saint Thomas d’Aquin et qui signifie « Je crains l’homme d’un seul livre »

Thomas d’Aquin est considéré comme l’un des plus grands maîtres de la théologie catholique. Les procédures religieuses l’ont proclamé « Docteur de l’Eglise » catholique.

Il est né autour des années 1225 en Italie et il est mort le 7 mars 1274 à l’abbaye de Fossanova dans les États pontificaux. C’était un religieux de l’ordre dominicain.

Il aurait dit :

« Je crains l’homme d’un seul livre. »

La rigueur nous oblige à dire qu’il n’est pas certain que cette citation soit exacte.

<Cette page anglaise> prétend que c’est l’évêque Jeremy Taylor (1613-1667), qui affirmait que Thomas d’Aquin aurait prononcé cette phrase.

Aujourd’hui, il est devenu banal de citer cette phrase et de l’attribuer au théologien dominicain du XIIIème siècle.

Ainsi Delphine Horvilleur a écrit sur un réseau social, en utilisant un dessin de Plantu, le 29 octobre 2020 :

« Thomas d’Aquin a écrit un jour: « je crains l’homme d’un seul livre ». Le fanatique est toujours un mono-lecteur. Ce soir, tandis que nos portes se ferment, promettons-nous de lire DES livres, et surtout ceux qui nous délivrent. »

La citation n’est pas certaine, mais l’Histoire nous a appris qu’elle était juste.

Un <mot du jour récent> a rappelé le combat noble, visionnaire et juste de Simon Leys contre Mao et les maoïstes. Ces fanatiques intolérants étaient les prisonniers intellectuels du « Petit livre Rouge ».

Spontanément on songe aux livres des religions monothéistes : La Torah, la Bible, le Coran qui au cours des siècles et encore aujourd’hui ont nourri des fanatiques qui en croyant comprendre et puiser à une seule source ont commis ou commettent des crimes sans l’once d’un doute ou d’une humanité.

L’ironie de cette citation est que son invention dans le monde chrétien catholique conduisait à une toute autre explication.

On voulait souligner par cette phrase que :

« L’homme qui ne connaît qu’un livre unique mais le connaît à fond est redoutable par la parfaite connaissance qu’il en a…. »

Ce sens primitif, sans grand intérêt, a donc évolué vers deux interprétations :

  • Tout d’abord l’idée qu’il faut craindre l’homme qui ne connaît ou ne jure que par un seul livre ce qui conduit à des visions simplistes et intolérantes du monde en prétendant que leur opinion ou leur croyance constitue « la vérité ».
  • Ensuite pour fustiger ceux qui n’ayant lu qu’un seul livre croient tout connaître et se retrouvent sur la Montagne de la stupidité, première étape de l’effet Dunning-Kruger

Nous sommes dans une situation très préoccupante : Par la décision solitaire du Prince élu qui nous gouverne, la France peut être, le 8 juillet de cette année, dirigée par un parti démagogue, xénophobe et très peu outillé pour comprendre la complexité de notre monde d’interdépendance, de conflictualité, dans lequel l’arrogance de l’Occident est de plus en plus dénoncée et son leadership contesté par des forces puissantes et déterminées.

Et pour expliquer cette situation, beaucoup ne donne qu’une raison principale, voire unique.

Pour quelles raisons, les citoyens français qui se sont exprimés, ont donné près de 40% des suffrages à des partis d’extrême droite ?

LFI prétend que c’est la question sociale : le pouvoir d’achat, la peur du déclassement et les politiques « ultra libérales » du gouvernement français.

Les médias d’extrême droite prétendent que cette raison est à trouver dans les flux migratoires qui submergent notre pays, l’insécurité qu’ils provoqueraient et l’attaque de notre identité nationale par des groupes venant d’autres pays et portant une vision de la société et des valeurs incompatibles avec la République.

D’autres font porter toute la responsabilité à l’Union européenne et son droit de la concurrence libre et non faussée et les traités de libre échange qu’elle négocie.

Enfin les plus simplistes expliqueront que tout est de la faute d’Emmanuel Macron.

Je crois qu’il est alors possible de reprendre la citation attribuée à Saint Thomas d’Aquin en l’adaptant de la manière suivante : « Je crains l’humain qui croit que le problème complexe qui se pose à lui n’est la conséquence que d’une seule cause. »

Parce que si on est persuadé comme je le suis que l’arrivée au pouvoir du RN serait une catastrophe pour la France, parce qu’il n’a aucune solution réaliste aux problèmes qui se posent et qu’en outre les valeurs qui sous-tendent son action sont xénophobes, racistes, il faut bien comprendre les raisons de ce vote pour essayer de trouver des solutions réalistes et conformes aux valeurs humanistes.

La complexité du vote RN, notamment dans les campagnes, est un peu approchée par Camille Bordenet, journaliste au Monde, chargée des ruralités et Benoit Coquard Sociologue à l’INRAE à Dijon dans « les Matins de France Culture » du mercredi 19 juin 2024 : <Vote RN>

La première raison évoquée est le recul des services publics, la lente désaffection des services publics dans nos campagnes.

Camille Bordenet a observé ce phénomène et explique :

« Des guichets de poste, écoles, centres des impôts, services de maternité et d’urgence ou encore des tribunaux, ont progressivement fermé au gré des plans de restructurations nationaux des vingt dernières années. [C’est un processus] très douloureusement vécu par les habitants et les élus et qui entraîne un sentiment de déclassement et de désengagement de la puissance publique »

Le gouvernement a tenté de pallier ce manque par des guichets France Service qui ont pour vocation de constituer, en un lieu unique, un accueil de premier niveau de quasi tous les services publics. Il ne s’agit, pour l’essentiel, pas de résoudre et de répondre aux besoins des gens mais de les accompagner vers des outils numériques qui constituent, dans l’esprit des technocrates qui nous administrent, le dispositif efficace pour répondre aux demandes de services publics des usagers.

Selon la journaliste ni les habitants ni les agents ne sont à l’aise avec cette organisation : pour les uns le service est insuffisant, pour les autres ils se sentent débordés par l’exigence des populations.

Ce dispositif se heurte aussi au problème de la « fracture numérique » car énormément de personnes dans notre pays ne sont pas à l’aise avec le tout numérique

«  Ils sont alors renvoyés à un sentiment d’incapacité qui peut nourrir une aigreur ».

De cette insatisfaction, le Rassemblement national s’est nourri construisant le récit des deux France : celle des villages abandonnés par l’État face à celle de la « France des banlieues nécessairement immigrée et trop aidée » décrit Camille Bordenet.

Benoit Coquard insiste sur l’implantation locale des militants RN et le message délétère qu’ils propagent :

« [Le discours] reconnait que les gens ont beaucoup perdu, assure que la France est en décrépitude et que plus rien ne fonctionne. Mais il rassure aussi en promettant qu’il y aura toujours plus bas socialement que soi ». Un nouvel bouc émissaire est donc créé, la figure de l’assisté social vivant sur les aides d’État, et dont les représentations se recoupent souvent avec celles de l’immigré. »

Il y a donc les difficultés économiques, la peur de s’appauvrir et que les enfants soient encore plus mal lotis, le sentiment de déclassement personnel et du pays, le constat d’être délaissé par l’État, si important en France, la fracture numérique et plus généralement de la modernité.

Mais ce n’est pas tout.

Une grande dame de la Culture, âgée de 85 ans, fondatrice du théâtre du Soleil a publié une Tribune dans « Libération » le 12 juin 2024 :

«A quel moment doit-on cesser de faire du théâtre sous un gouvernement RN ?»

Ariane Mnouchkine fustige l’acte d’Emmanuel Macron :

« et soudain, ce geste du président de la République – ce geste d’adolescent gâté, plein de fureur, de frustration et d’hubris […] Il déverse un bidon d’essence sur le feu qui, déjà, couvait. Il met le feu à notre maison, à notre pays, à la France. »

Elle exprime un espoir à l’égard du nouveau front populaire, mais dit son rejet de la NUPES :

«Je ne pourrais accepter ce qui ne serait qu’un nouveau masque de certains leaders de cette Nupes qui nous a fait tant de mal, car la politique ne doit pas être que tactique cynique au service de convictions plus brutales que sincères. Elle doit se fonder sur la vérité et l’amour de l’humanité. »

Mais elle fait surtout cet aveu :

«Macron est bien trop petit pour porter, à lui seul, la totalité du désastre. Je nous pense, en partie, responsables, nous, gens de gauche, nous, gens de culture. On a lâché le peuple, on n’a pas voulu écouter les peurs, les angoisses. Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Ce n’était qu’un sentiment trompeur, leur disait-on. Puis, comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. On a insulté un gros tiers de la France par manque d’imagination. L’imagination, c’est ce qui permet de se mettre à la place de l’Autre. Sans imagination, pas de compassion. »

Elle parle d’un déni.

Elle parle aussi d’une posture, celle d’un camp du bien, d’un camp « qui sait » et qui traite de salauds celles et ceux qui ne sont pas d’accord.

On évoque là l’insécurité physique et l’insécurité culturelle dont la gauche ne veut pas parler.

Melenchon vante la vertu de la créolisation, c’est-à-dire du mélange des cultures. Cela peut se révéler pertinent sur la longue durée, mais pas en l’espace d’une génération.

Le nouveau front populaire, parle de lutte contre « l’islamophobie », c’est une erreur, il faudrait parler de la lutte contre le racisme anti-musulman.

Il veut abroger la Loi sur le séparatisme, c’est une autre erreur, il faut peut-être l’amender, non la supprimer.

Il faut défendre avec vigueur et force, la laïcité, les sciences, l’Histoire dans l’éducation nationale contre toutes les menaces, les pressions qui s’exercent contre elle par des hommes fanatisés qui croient trouver toutes les réponses dans un seul livre et dans une seule interprétation de celui-ci.

Et puis parallèlement, « les beaux esprits » de la gauche des villes, exactement comme les croyants d’un seul livre, proclament des opinions comme s’il s’agissait de la vérité : s’agissant du colonialisme, du genre, de la culture woke dont ils prétendent, en outre, qu’elle n’existe pas etc…

Sur tous ces sujets, il faut s’éloigner du déni, du dogme et trouver des réponses de gauche, humanistes, universalistes.

Ce sont aussi des raisons qui expliquent le vote RN.

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