Jeudi 16 Juillet 2015

Jeudi 16 Juillet 2015
«L’étain meurtrier»
Un des écocides
Bangka est une petite île d’1,2 million d’habitants au large de l’Indonésie.
Le tiers de la production mondiale d’étain provient de Bangka.
Sans ce minerai la fabrication d’un téléphone portable Apple ou Samsung, d’un microprocesseur Intel et de milliers d’autres produits électroniques ne serait pas possible.
Un article du Monde joint à ce message explique dans quelles conditions se passe l’extraction de ce minerai et quelles sont les filières d’approvisionnement.
L’article utilise le terme d’Ecocide, par analogie au génocide, ici c’est la nature qui fait l’objet d’une destruction de masse : (quelques extraits)
«A quelques centaines de mètres des côtes, dès qu’un gisement d’étain offshore est découvert, les mineurs rassemblent leurs pontons, souvent illégaux et aspirent le sable dans le vacarme des moteurs et la fumée des moteurs. Le sable est ensuite nettoyé et tamisé à bord des embarcations de fortune pour en extraire la cassitérite. […]
Des hommes protégés par des foulards ou des capuches agitent frénétiquement une poutrelle pour piquer le fond de la mer. Dans un nuage de fumée noire, une pompe motorisée recrache à bord le sable aspiré. Les premiers granulats noirs apparaissent sur les tamis et les regards des quatre membres de l’équipage se mettent à briller. Le sable contient de la cassitérite, qui sera ensuite, lors d’un long processus industriel, transformée en étain. Il en faudra entre 1 et 10 grammes pour souder les composants électroniques à l’intérieur d’un téléphone portable, et jusqu’à 30 grammes par ordinateur, soit des milliers de tonnes de terre arrachées, chaque année, à la petite île.
[…] Les géants du secteur s’approvisionnent ici, discrètement, souvent de façon indirecte, via une longue chaîne d’intermédiaires, faisant prospérer mafia minière et extractions illégales, avec de graves répercussions sociales et environnementales. Le chemin qui mène de la petite mine artisanale au géant de l’électronique est long, tortueux et réserve de nombreuses surprises.[…]
Ce mineur illégal risque la mort. Certains ne peuvent plus remonter à la surface lorsqu’un bras ou une jambe reste aspirée par le tuyau. D’autres meurent ensevelis dans des glissements de terrain sous-marins, provoquées par l’extraction minière qui creuse des cavités dans le sous-sol. […]
Dans le téléphone ou le microprocesseur, personne ne fera la différence entre l’étain légal ou illégal, et les géants de l’électronique pourront tranquillement promouvoir leur engagement dans le développement durable. […]
« L’eau des municipalités a été contaminée et, dans certains cas, les services fermés. Les pêcheurs locaux ne peuvent plus attraper de poissons dans les eaux affectées, et l’industrie du tourisme se plaint des plages et de l’eau sales », écrivent les auteurs du rapport. Les autorités forestières ont admis, en 2007, que 65 % des forêts, soit près de 430 000 hectares, étaient dans une situation « critique ». A l’ouest de l’île, la rivière Selan peut bien mourir, c’est désormais la cassitérite qui fait vivre les habitants.
L’extraction minière a aussi des conséquences sur la santé des habitants. Outre les conditions de travail des ouvriers exposés à la poussière, souvent sans protection, « la présence de bassins d’eau stagnante favorise l’émergence de maladies transmises par les moustiques comme le paludisme », reconnaît Fery Afryanto, membre du département local de la protection de l’environnement. Abdullah, qui partageait son temps entre la pêche et l’agriculture, a tout abandonné. Il vit dans une maison en ciment entourée d’arbres fruitiers. « Venez, lance-t-il en se faufilant sur un petit chemin qui mène à la rivière, regardez comme l’eau a perdu de sa clarté. Même les gros bateaux ne peuvent plus remonter la rivière. Pour pêcher, on était obligé d’aller toujours plus loin à cause de la sédimentation qui faisait fuir les poissons. Et à force d’aller toujours plus loin, on a préféré tout abandonner et travailler dans les mines. »[…]
Penang, une petite île située au large de la Malaisie, où se situe l’une des plus grandes fonderies d’étain au monde. Aller de Bangka à Penang, c’est changer de monde. C’est passer des bas-fonds de la mondialisation à sa vitrine. […] Penang abrite la fonderie du deuxième producteur mondial d’étain et tous les géants mondiaux de l’électronique. Dans la zone industrielle, le campus d’Intel est l’un des plus imposants. Des centaines d’ingénieurs y travaillent. « Bientôt 8 milliards d’objets connectés dans le monde, rendez-vous compte de ce que cela représente pour Intel ? », lance Chris Kelly, responsable du Centre de développement d’Intel en Malaisie. Ici, on préfère parler de la matière grise qui invente les nouveaux microprocesseurs, plutôt que de l’étain à partir desquels ils sont fabriqués. La chaîne de production ultrasécurisée ne peut être visitée. « L’origine de nos matières premières ? s’étonne M. Kelly, en répondant à côté de la question. Nos minerais extraits en Afrique ne financent pas les groupes armés. » Comment Intel s’assure-t-il que l’étain provient de concessions légales ? Quels sont ses critères de sélection pour choisir les fonderies ? a demandé Le Monde. La réponse viendra quelques semaines plus tard, sous forme d’un communiqué du groupe : « Tout notre travail s’est concentré jusqu’à présent sur les minerais achetés en République démocratique du Congo. » Intel prétend n’avoir jamais visité aucune mine de Bangka, où le groupe s’approvisionne. En décembre 2012, la responsable de la chaîne d’approvisionnement d’Intel, Carolyn Duran, s’est pourtant rendue à l’Hôtel Novotel de Bangka pour tenir une conférence sur l’« achat responsable de minerais ». Mais elle n’aurait vu ni les adolescents travaillant pieds nus chez son fournisseur, à 1 km de son hôtel, ni les cratères défigurant l’île. Carolyn Duran a refusé de répondre aux questions du Monde.
Comme Intel, de nombreuses autres entreprises électroniques préfèrent ignorer le coût environnemental de l’extraction des minerais qu’elles consomment.»
En conclusion, le rappel du mot du jour du mardi 14 mai 2013 : « Sommes-nous capables de regarder en face (la vie de) ceux qui nous permettent de consommer comme nous le faisons ? » Michel Wieviorka & Anthony Mahé