Vendredi 7 septembre 2018

« Meine Zeit wird kommen » (Mon temps viendra) »
Gustav Mahler

Bernstein fut un formidable interprète de Mahler. Mais sa relation avec Mahler fut bien plus profonde. Et il me paraît naturel de finir cette série sur Léonard Bernstein en associant ces deux noms : «Gustav Mahler» et «Léonard Bernstein».

Ils ont tellement de points communs…

Et le premier étant évidemment qu’ils étaient tous deux d’exceptionnels chefs d’orchestre reconnus parmi les plus grands par tous les critiques et musiciens et qu’en parallèle ils étaient compositeurs et voulaient avant tout s’imposer comme tel, et que dans ce domaine les critiques étaient beaucoup moins favorables.

Mahler, comme musicien juif fut banni totalement des concerts dans le monde nazi donc à Berlin et à Vienne, et cet ostracisme continua bien au-delà de la fin officielle du nazisme.

Dans le reste du monde, entre sa mort en 1911 et les années 1960, il n’était pratiquement pas joué. Seul son disciple Bruno Walter, et quelques grands chefs comme Otto Klemperer ou Jasha Horenstein parvinrent parfois à imposer aux responsables des salles de concert une de ses symphonies. Il y avait une exception aux Pays-Bas avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam et Willem Mengelberg.

Peu avant de mourir, Gustav Mahler avait eu cette phrase en parlant de son œuvre de compositeur : « Mon temps viendra ! »

Une statistique récente a montré que le compositeur le plus souvent joué de nos jours, par les plus grands orchestres symphoniques, est Gustav Mahler.

Gustav Mahler avait donc raison, son temps allait venir et il est venu.

Et je fais le pari que le compositeur Bernstein poursuivra une trajectoire parallèle et que son temps viendra aussi et qu’il est déjà en train de venir comme le prouve le succès de son œuvre « Mass » qui n’avait plus été joué pendant de nombreuses années et dont on redécouvre aujourd’hui l’incroyable richesse et beauté.

Bernstein ne fut pas le seul à défendre l’œuvre de Mahler dans les années 1960, mais il fut le premier qui enregistra toutes les symphonies de Mahler avec son Orchestre Philharmonique de New York de 1960 à 1967 pour CBS.

Un autre évènement donna une grande notoriété à Mahler ce fut « Mort à Venise » de Lucchino Visconti qui débute avec l’adagietto de la 5ème symphonie de Mahler.

Vous trouverez derrière <Ce lien> ce morceau interprété par Bernstein avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne.

Mais si on creuse un peu on peut déceler bien d’autres points communs entre Bernstein et Mahler.

Tous les deux étaient juifs.

Les parents de Léonard Bernstein, des juifs ukrainiens débarquent à Ellis Island au même moment que Gustav Mahler, un peu avant 1910.

Car Gustav Mahler après avoir révolutionné la musique à Vienne et s’être fait quelques ennemis est venu à New York diriger au Metropolitan Opéra un peu avant de mourir. Bernstein a fait le chemin inverse révolutionnant d’abord la musique à New York avec le philharmonique de New York avant de venir briller à Vienne avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne, l’orchestre que Mahler avait amené vers des sommets de qualité inconnus, au début du XXème siècle.

Quand Bernstein débarque en 1966 à Vienne, le Philharmonique n’avait plus joué Mahler depuis l’Anschluss en 1938. Les archives de l’Orchestre Philharmonique de Vienne sont désormais ouvertes, on sait qu’avant l’anschluss une proportion importante de musiciens de l’orchestre avaient adhéré au Parti Nazi autrichien, alors qu’il était officiellement interdit à ce moment. Une fois les nazis au pouvoir, les juifs sont chassés de l’orchestre et les nazis deviennent largement majoritaires. Après la guerre, il n’y eut quasi aucune épuration en Autriche ni à l’Orchestre. Dans ce dernier cas c’était pour préserver la fameuse tradition viennoise ce qui a eu pour conséquence aussi de préserver « la tradition antisémite ».

C’est dans cette atmosphère hostile que Bernstein est venu à Vienne surmonter les réticences et même les haines pour refaire de l’Orchestre Philharmonique de Vienne un orchestre mahlérien. Il a entendu, lors des premières répétitions des musiciens dirent à voix basse « musique de merde ».

Il va affronter les démons, les vrais, les nazis cachés dans les replis de l’histoire. Il va les débusquer avec son sourire, son énergie et sa formidable intelligence de l’autre, et il va les faire plier par amour de la musique.

Il va les convaincre que Mahler fait partie de leur tradition et que c’est une trahison de ne plus le jouer.

Il va en résulter des concerts, des disques, des vidéos qui sont autant de réussites et de diamants éternels.

Et Bernstein au bout de son combat victorieux a pu déclarer :

«  La ville est si belle et si pleine de traditions. Tout le monde ici vit pour la musique, en particulier l’opéra, et je semble être le nouveau héros. Ce qu’ils appellent « la vague de Bernstein » qui a submergé Vienne et produit un étrange résultat ; tout à coup, il est à la mode d’être juif.. »

Tout ceci est développé dans cette remarquable émission de France Musique : <Léonard Bernstein : A nous deux Vienne !>

Mahler et Bernstein avait aussi en commun un goût pour l’humour noir, le théâtre, le folklore…

Dans l’œuvre des deux compositeurs on retrouve la même fascination pour l’innocence de l’enfance la même obsession du paradis qu’il soit terrestre ou céleste. Léonard Bernstein dans une des émissions consacrées à Mahler a dit :

«  Quand Mahler est triste, il est dans une détresse totale, rien ne peut le réconforter, c’est comme un enfant qui pleure. Et quand il est heureux il est heureux comme un enfant sans retenue. C’est là une des clefs de l’énigme Mahler, il est comme un enfant ! »

Et il signifie ainsi que lui était probablement aussi comme cela.

Renaud Machart a écrit dans sa biographie de Bernstein :

« Bernstein s’est identifié de manière quasi obsessionnelle à Gustav Mahler. Les raisons de cette identification sont multiples […]
L’identification quasi gémellaire que Bernstein ressentait quand il dirigeait la musique de Mahler est frappante dans la plupart de ses déclarations orales ou écrites. Au risque de faire sourire certains, il n’hésitait pas à dire, en ces moments d’exaltation dont il était coutumier, qu’il se sentait comme la réincarnation du Viennois »
Page 106-107

En plus d’être un formidable interprète de Mahler, il revenait à ses talents de pédagogue pour parler de Mahler et le défendre avec des mots.

Dans son émission « Young People’s Concerts » l’une d’entre elle a pour titre : «  Qui était Gustav Mahler ? » et vous pouvez la voir sur le site d’ARTE jusqu’au 25 novembre 2018.

Il a enregistré d’autres vidéos où il fait partager sa passion pour Gustav Mahler comme ce dvd : «  the Little Drummer Boy: An Essay on Gustav Mahler by and With Leonard Bernstein »

Lui qui disait : « On ne vend pas la musique, on la partage »

France Musique a également consacré une émission passionnante sur cette relation entre un génie mort en 1911 et un autre né en 1918 : <Léonard Bernstein : Une vie avec Mahler>

Je ne résiste pas à vous donner aussi ce lien vers le final de la 2ème symphonie « Résurrection » qu’il dirige à Londres dans un moment d’extase.

Bernstein s’est fait inhumer avec une copie de poche de la partition de la 5e symphonie de Mahler et aussi un exemplaire du conte Alice au pays des merveilles !


<Goodbye Lenny !>

<1104>

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