Mardi 13 novembre 2018

«Les puissances centrales perdent la guerre parce que le temps joue contre elle »
Arndt Weinrich, chercheur à l’Institut historique allemand, spécialiste de la Première Guerre mondiale

Pourquoi l’Allemagne et les Puissances Centrales ont-elles perdu la guerre 14-18 ?

Les allemands répondent : « parce qu’on a poignardé l’armée allemande dans le dos ». D’abord le gouvernement civil qui n’a pas assez soutenu l’armée, puis les communistes qui ont commencé à faire la révolution dans tous le pays et ont affaibli la nation. Bientôt d’autres viendront et diront que c’est la faute des juifs.

Les tenants de cette thèse présentent un argument factuel, l’Armée allemande était toujours sur le territoire français et belge, chez l’ennemi donc. Elle n’était donc pas vaincue.

Un dessin vaut mieux qu’un long discours, et si on regarde la carte du front au 11 novembre 1918, on voit que c’est exact. En 1918, Metz était en Allemagne mais le front ne l’avait pas encore atteint. Quand on regarde les autres villes sur le front Mons, Maubeuge, Mézières … pas de ville allemande.

Dès leur retour à Berlin, on leur dira : « Vous n’avez pas été vaincu ». Vous constaterez aussi qu’en face du Maréchal Foch, l’autorité allemande n’a pas envoyé un de ses généraux mais un civil : Matthias Erzberger.

Les français répondent autre chose. La France a gagné la guerre grâce à ses généraux. Le Maréchal Foch a gagné la guerre, voici ce qu’on lit encore dans les livres d’histoire et puis on associe d’autres généraux et maréchaux à cette célébration.

Mélenchon qui, une fois de plus aurait mieux fait de se taire, a twitté : « Le maréchal Joffre est le vainqueur militaire de la guerre de 14-18. »

Le maréchal Joffre qui était partisan de « l’offensive à outrance » qui a couté tellement de vies de soldats sans faire avancer pour autant les lignes ou de manière si dérisoire.


« Attaquons comme la lune »

Philippe Meyer dans son émission de ce dimanche attribua ce mot contre l’attaque à outrance et contre Joffre à Lyautey. Mais il se trompait, je sais depuis que ce mot était en réalité du général Lanrezac qui fut (limogé dès le 3 septembre 1914) par Joffre lui-même.

Les généraux français ont peut-être pu parfois décider d’une bonne stratégie ponctuelle, ils ont surtout, comme les généraux allemands d’ailleurs, été de grands pourvoyeurs d’assauts inutiles et meurtriers.

Je ne pense pas qu’ils méritent la gloire que l’on a voulu leur donner.

Et pour essayer de comprendre pourquoi l’Allemagne a perdu, je vous propose de lire l’analyse de cet historien d’origine allemande mais qui travaille en France : Arndt Weinrich. L’article dont je donne des extraits est encore une fois extrait de cette remarquable revue historique : « L’Histoire » et le titre de l’article est : « Pourquoi les puissances centrales ont perdu »

Il faut rappeler pour bien comprendre le texte qui suit que les « Alliés » ou l’«Entente » représentent la France, la Grande Bretagne, la Russie etc alors que l’Allemagne, l’Autriche Hongrie et l’Empire Ottoman sont appelés « Les puissances centrales ».

« A bien des égards, la question de savoir pourquoi les Puissances centrales ont perdu doit être inversée, pour s’interroger sur pourquoi elles ont réussi à tenir si longtemps ?.

Un rapide survol sur quelques chiffres clés permet de comprendre à quel point l’Allemagne, et cela est encore plus vrai pour son allié le plus proche, l’Autriche –Hongrie, était particulièrement mal inspirée de poursuivre une politique d’escalade en juillet 1914 : l’éclatement de la guerre met aux prises 118 millions d’Allemands et d’Autrichiens-Hongrois avec plus de 260 millions de Français, Russes, Britanniques et Serbes.

Un rapport de force démographique qui ne tient même pas compte des empires infiniment plus importants du côté de l’Entente (400 millions). Cela se traduit sur le plan militaire, par une nette supériorité numérique : ainsi, au début de la guerre, les puissances centrales mobilisent 6,3 millions de soldats contre quelques 9 millions du côté Allié. Sur toute la durée du conflit, et en tenant compte des différents pays venant renforcer les deux camps, 26 millions de mobilisés des puissances centrales se sont trouvés en face de presque 47 millions de mobilisés Alliés.

Sur le plan économique, ô combien important dans une guerre industrielle comme la Grande guerre, la situation est également très favorable à l’Entente : l’Allemagne avait beau être une puissance industrielle et technologique de tout premier plan, le PIB de l’Entente, était déjà en 1914, supérieur de 60 % à celui des puissances centrales. En 1917, avec l’entrée en guerre des États-Unis, première puissance économique mondiale, la situation devint rapidement intenable pour ces dernières.

Le rapport des forces économiques paraît encore plus déséquilibré si l’on tient compte du fait que l’économie allemande était très intégrée dans le commerce global et dépendait des importations de matières premières, importation compromise avec le blocus mis en place par la Royal Navy dès 1914, mais aussi parce que l’Allemagne, et l’on tend aujourd’hui à négliger cet aspect, faisait la guerre à ses principaux fournisseurs !

Avant 1914, l’état-major allemand avait évidemment conscience de cette infériorité structurelle, mais, au lieu d’en tirer la conclusion qu’il fallait éviter la guerre à tout prix, il en va à considérer que celle-ci pouvait être gagnée à condition qu’elle soit courte, c’est-à-dire si l’on arrivait à arracher, en frappant le plus dur et le plus rapidement possible, une victoire décisive.

Le plan Schlieffen, avec lequel l’Allemagne attaqua en août 1914 en lançant très vite l’offensive sur la France à travers le Luxembourg et la Belgique, est l’illustration la plus parlante de cet état d’esprit. […]

On comprend le désarroi du chef d’état-major allemand Helmuth von Moltke après la bataille de la Marne, en septembre 1914 qui permet aux Français d’arrêter l’avancée allemande. […]

Évidemment tout n’était pas perdu pour les puissances centrales ; après tout, la guerre n’est pas un exercice d’arithmétique où il suffirait de compter les effectifs, le potentiel démographique et économique pour déterminer le vainqueur. Reste que, à partir de ce moment-là, le temps de cessa de jouer en faveur des Alliés. […]

D’où la tentation de prendre des risques pour en finir à tout prix : c’est sur cette toile de fond qu’il faut comprendre la décision allemande de déclarer la guerre sous-marine à outrance en février 1917, décision qui s’est révélée non seulement inefficace pour arracher la victoire, mais qui a tout au contraire contribué à rendre la situation désespérée en entraînant les États-Unis et donc leur potentiel militaire et économique dans la guerre.

Fondamentalement donc, les puissances centrales perdent la guerre parce que le temps joue contre elle ; c’est un premier élément de réponse à la question de départ. […]

Et à partir de 1916, la situation alimentaire devient extrêmement préoccupante. Au début de 1917, à la sortie d’un hiver particulièrement rude l’apport calorique de la ration journalière, à l’arrière, tomba à 1000 calories, ce qui est largement insuffisant déclenchant des émeutes de la faim dans bon nombre de villes allemandes. En Autriche-Hongrie la situation était encore plus préoccupante.

Or, au lieu de chercher à tout prix une issue politique, les gouvernements misèrent, et la pression du Haut commandement allemand joua un rôle déterminant, sur une paix victorieuse, politique à risque, dont la poursuite tendit à aggraver la situation jusqu’à ce qu’elle devienne intenable. Dans une certaine mesure, la défaite est donc aussi dû, et cela est un deuxième élément de réponse, à un problème de gouvernance, le pouvoir civil s’éclipsant progressivement devant le militaire, qui arrive à imposer la décision. […]

Dans ce contexte, la plus importante des causes immédiates de la défaite a sans doute été la décision allemande de repasser à l’offensive sur le front occidental [début 1918] afin de tenter le tout pour le tout : obtenir une victoire décisive avant l’arrivée massive des troupes américaines. […]

Chacune des cinq offensives allemandes […] avait certes permis une avancée parfois assez spectaculaire, in fine, elles se sont toutes enlisées et ses échecs répétés ont porté le coup de grâce au moral des troupes, d’autant plus que les pertes ont été élevées : quelques 900 000 morts et blessés, qu’il était impossible de remplacer.

Erich Ludendorff, l’homme fort du Haut commandement allemand depuis 1916, avait joué sa dernière carte et il avait perdu. Avec le succès des offensives alliées à partir du 8 août, la « journée noire de l’armée allemande» (selon les propos mêmes de Ludendorff ) il devenait clair que celle-ci n’était plus en mesure de s’opposer pour longtemps aux coups de butoir de l’Entente et des Américains qui jouissaient d’une double supériorité technologique et numérique allant crescendo (plus de 2 millions de soldats américains étaient en France au moment de l’armistice).

Ludendorff est obligé de le reconnaître lui-même quand il demande le 28 septembre 1918, au gouvernement de négocier le plus rapidement possible, ce qui ne l’empêchera pas de devenir, dans l’immédiate après-guerre, l’un des promoteurs les plus farouches de la légende du coup de poignard. »

Et il ajoute

« Ce n’est qu’une fois convaincus (à très juste titre au vu du rapport de force militaire) de l’inévitabilité de la défaite que les soldats et les marins refusent d’obéir. […] Ce fut, en d’autres termes, la défaite qui engendra la révolution et non l’inverse n’en déplaise aux propagandistes de la légende du coup de poignard. »

J’ai lu cette même thèse chez d’autres historiens. Le romantisme et l’exaltation du récit c’est bon pour faire rêver. Mais la réalité est plus prosaïque, l’Allemagne a perdu parce que démographiquement, économiquement et du point de vue des ressources en énergie et en alimentation, les puissances centrales disposaient de moyens largement inférieurs à ceux de l’Entente. Et devant ce déséquilibre, si la guerre avait continué, l’armée française aurait continué jusqu’à Berlin. C’est ce que savait le Haut commandement militaire allemand qui pressait le gouvernement de demander la paix.

Elles n’ont pas gagné, en outre, parce qu’elles ne disposaient pas d’un général génial capable par des manœuvres audacieuses et déstabilisantes de surpasser au début de la guerre ce déséquilibre de moyens.

Et l’Entente et les français n’avaient pas non plus de général génial sinon ils auraient dû gagner bien avant.

En revanche, les soldats des deux côtés et les officiers qui se battaient avec eux, au-delà de toute raison, ont été d’un héroïsme que je qualifierai d’inhumain.

J’avais consacré le <mot du jour du 19 février 2016> à la bataille de Verdun qui avait commencé le 21 février 1916.

Et j’avais cité un livre que j’avais lu : «  L’enfer de Verdun évoqué par les témoins».

Pour débuter la bataille, les allemands ont déclenché sur 60 km de front un bombardement qui a duré 9h.

Les généraux allemands ont alors lancé leurs fantassins sur le terrain pensant qu’ils ne rencontreront que des cadavres et qu’ils pourront progresser sans résistance jusqu’à Verdun et voilà ce qui va se passer :

«  Leurs chefs n’escomptent aucune réaction, considérant que tout a été détruit devant eux. La marche, de 50 à 900 m, s’effectue l’arme à la bretelle. Certaines de ces colonnes franchissent sans s’en apercevoir l’emplacement fumant de ce qui a été notre première ligne, tant il a été pioché et retourné.

Les sections d’assaut progressent, en différents points, de 3 km sans se heurter à la moindre résistance.

D’autres sections voient avec stupeur des fantômes titubants se dresser au bord des trous d’obus. Hébétés, épuisés, sourds, à demi-fous, les survivants obéissent à un réflexe de désespoir, de rage et de vengeance. Nos hommes balancent des grenades, s’ils en ont ; tirent, si leur fusil s’y prête malgré la terre qui le couvre ; ils ont mis baïonnette au canon. Les fantassins allemands s’aplatissent au sol, dégoupillent des grenades, placent en batterie des mortiers de tranchées, lancent des fusées, téléphonent à l’artillerie ; ils ont beau être à 10 contre un, ils sont stoppés !»

Et ces hommes hagards vont arrêter l’avancée allemande laissant le temps aux renforts de venir se positionner devant l’armée du Kronprinz.

Je ne vois pas pour quelle raison on honore les maréchaux et généraux davantage que les autres soldats. Comme eux, ils ont fait leur travail, quelquefois bien, souvent mal en ne tenant aucun compte des enjeux au regard des vies humaines dont ils exigeaient le sacrifice.

Dans la revue l’Histoire, j’ai vu cette reproduction d’un tableau de William Orpen qui était le peintre officiel de l’armée britannique. Celui-ci est un hommage au soldat inconnu britannique en France. Dans un premiers temps il était prévu de représenter, autour de ce cercueil, des dignitaires britanniques. Finalement Orpen décida de les supprimer de ce tableau.

Je pense qu’il a eu raison quand on sait ce que nous savons aujourd’hui.

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Une réflexion au sujet de « Mardi 13 novembre 2018 »

  • 13 novembre 2018 à 8 h 16 min
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    Je parlais hier de l’avènement d’un nouveau monde avec la guerre de 14-18, le “commencement de la fin” de l’irrespect de la vie humaine du peuple en particulier en fera partie

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