Vendredi 19 février 2016

Vendredi 19 février 2016
«Ils semblaient, par la Voie Sacrée, monter, pour un offertoire sans exemple,
à l’autel le plus redoutable que jamais l’homme eût élevé.»
Paul Valéry
Dimanche nous serons le 21 février 2016.
Il y a 100 ans, le 21 février 1916, commença la bataille de VERDUN, une ville de ma Lorraine natale, à 130 km de mon lieu de naissance.
Chaque fois que je m’y suis rendu, j’ai été écrasé par un sentiment de désarroi, de vide et de compassion.
Anna de Noailles visitant  le champ de bataille exprima ces sentiments dans un poème :
«Jaillis de tous les points du sol français : le sang
Est si nombreux ici que nulle voix humaine
N’a le droit de mêler sa plainte faible et vaine
Aux effluves sans fin de ce terrestre encens. »
Selon les historiens, il y eut 2 batailles plus meurtrières encore que la bataille de Verdun : La plus meurtrière Stalingrad où l’Armée Rouge résista puis vainquit l’armée hitlérienne (1942-1943) et la seconde qui fût une autre bataille de la guerre 14-18, la bataille de la Somme qui eut lieu de juillet à novembre 1916.
Mais Verdun fût une première dans la fureur destructrice industrialisée dont est capable l’espèce humaine.
J’ai lu le livre glaçant « L’enfer de Verdun évoqué par les témoins» et commenté par J.H Lefebvre édité en 1976 chez G. Durassié et Cie
Voici la description qui est faite par ce livre du début de la bataille
« Il avait neigé la veille, puis le gel était venu. On dut le matin du 21 février, évacuer des hommes pour pieds gelés.
A 7h15, un bombardement furieux se déchaîna [sur 60 km de front]
Le sol tremblait comme au passage ininterrompu de trains souterrains.
Des volcans par milliers projetaient leurs cônes de terre, de pierraille et d’acier où volaient des troncs d’arbre fracassés, des rondins d’abris, des fragments de canons, des débris d’équipements, d’armes et de corps humains.
Le nuage des éclatements était si dense que les Hauts-de-Meuse et la plaine de la Woëvre semblaient une fabuleuse région industrielle vomissant la fumée.
Nos rares aviateurs ne voyaient, d’un bout à l’autre du front, qu’une seule flamme continue, tant les batteries allemandes tiraient côte à côte…
9 heures durant, ce bombardement de fin du monde continua. Une cadence aussi précipitée, l’intervention de si gros calibres, un tel pullulement de batteries, une pareille durée de canonnade créaient le sentiment de “jamais vu”»
A cette horreur va s’ajouter la suite, décrite par les témoins comme un acte de désespoir, de rage et de vengeance. Les allemands croient qu’après ce déluge de feu, leurs sections d’assaut  vont pouvoir progresser sans résistance jusqu’à Verdun.
«À 16 heures, tandis que la neige a recommencé de tomber, le tir des canons allemands s’allonge brusquement au centre du front.
Cet étroit secteur n’a pas plus que 12 km de large à vol d’oiseaux. Dans ce mince espace, les débris de deux divisions françaises, derrière lesquelles il ne reste plus en état de tirer qu’un nombre dérisoire de canon, vont, après neuf heures d’écrasement, subir le choc de huit divisions d’élite allemandes, appuyée par une colossale artillerie.
Le tir s’est allongé derrière ce barrage roulant ; s’avancent à présent à découvert dans la fumée, l’obscurité naissante et le brouillard de neige, des colonnes d’infanterie précédées de lance-flammes.
Elles vont d’un pas rapide mais sans courir. Leurs chefs n’escomptent aucune réaction, considérant que tout a été détruit devant eux. La marche, de 50 à 900 m, s’effectue l’arme à la bretelle. Certaines de ces colonnes franchissent sans s’en apercevoir l’emplacement fumant de ce qui a été notre première ligne, tant il a été pioché et retourné.
Les sections d’assaut progressent, en différents points, de 3 km sans se heurter à la moindre résistance.
D’autres sections voient avec stupeur des fantômes titubants se dresser au bord des trous d’obus. Hébétés, épuisés, sourds, à demi-fous, les survivants obéissent à un réflexe de désespoir, de rage et de vengeance. Nos hommes balancent des grenades, s’ils en ont ; tirent, si leur fusil s’y prête malgré la terre qui le couvre ; ils ont mis baïonnette au canon. Les fantassins allemands s’aplatissent au sol, dégoupillent des grenades, placent en batterie des mortiers de tranchées, lancent des fusées, téléphonent à l’artillerie ; ils ont beau être à 10 contre un, ils sont stoppés !»
C’est dans ce même livre que j’ai trouvé ce poème, car avec la musique c’est la poésie mieux que l’historien qui sait décrire les sentiments et la détresse humaine :
«Nous vous sentons trop hauts pour gémir sur vos tombes.
Le vent qui tour à tour se soulève ou retombe
Passera seul immensément par les grands bois
Pour tirer de chaque arbre une plainte profonde
Et vous jeter ainsi tous les regrets du monde,
Sans que s’y mêle notre voix.»
Émile Verhaeren, Les ailes rouges de la guerre. Mercure de France, Paris 1916
Et c’est toujours de ce livre que j’ai tiré l’exergue de ce mot du jour consacré à Verdun.
«Tous vinrent à Verdun,
comme pour y recevoir je ne sais quelle suprême consécration ;
comme s’il eût fallu que toutes les provinces de la patrie eussent participé à un sacrifice d’entre les sacrifices de la guerre,
particulièrement sanglant et solennel,
exposé aux regards universels.
Ils semblaient, par la Voie Sacrée, monter, pour un offertoire sans exemple,
à l’autel le plus redoutable que jamais l’homme eût élevé.
Il a consumé, Français et Allemands, 500 000 victimes en quelques mois.»
Paul Valéry – 31 janvier 1931
Ce n’est que lors de la préparation de ce mot que j’ai constaté que ce très beau texte de Valéry avait été prononcé lors de l’accueil du Maréchal Pétain à l’académie française où il succéda à Ferdinand Foch le 20 juin 1929 (à 73 ans) et fut reçu par Paul Valéry le 31 janvier 1931.
J’ai hésité un instant à l’utiliser, car il est reste tabou de mettre en valeur Pétain après ce qu’il fit lors de la seconde guerre et à la tête du régime de Vichy.
Mais je pense qu’il n’est pas possible d’écarter Pétain de l’Histoire de France notamment pour son action lors de cette bataille.
Et à la fin de tout cela Wikipedia donne le résultat de ce carnage :
« Les pertes ont été considérables, pour un territoire conquis nul. Après 10 mois d’atroces souffrances pour les deux camps, la bataille aura coûté aux Français 378 000 hommes (62 000 tués, plus de 101 000 disparus et plus de 215 000 blessés, souvent invalides) et aux Allemands 337 000. 60 millions d’obus (une estimation parmi d’autres, aucun chiffre officiel n’existe) y ont été tirés, dont un quart au moins n’ont pas explosé (obus défectueux, tombés à plat, etc.) ; 2 millions par les allemands pour le seul 21 février 1916. Si l’on ramène ce chiffre à la superficie du champ de bataille, on obtient 6 obus par mètre carré.
Du fait du résultat militaire nul, cette bataille, ramenée à l’échelle du conflit, n’a pas de conséquences fondamentales
La bataille s’acheva le 16 décembre 1916.
Je vais prendre quelques jours de congé.
Le mot du jour reviendra le 29 février.
Ce n’est que tous les 4 ans que je peux écrire un mot du 29 février, je ne veux pas rater cela !