Mardi 17/11/2015
«Le moment est venu pour […] accroître la division et détruire la zone grise»
Article de Dabiq, le magazine en ligne du califat
Nous sommes en guerre disent le premier ministre et le Président.
Ainsi, lundi après-midi à Versailles, devant le Parlement réuni en congrès, le Président, n’a eu aucune hésitation : «La France est en guerre. Les actes commis vendredi soir à Paris et près du Stade de France sont des actes de guerre. Ils sont le fait d’une armée jihadiste qui nous combat ».
Mais d’autres considèrent que ce mot est largement inapproprié. Libération pose la question «sommes nous en guerre ?» et répond plutôt non, ce que je pense aussi.
<Un philosophe Philippe-Joseph Salazar a écrit un livre Paroles armées : Comprendre et combattre la propagande terroriste > où ils poussent le raisonnement de cette rhétorique de guerre dans sa logique intrinsèque. Il dit par exemple : si nous sommes en guerre, toute personne qui d’une manière ou d’une autre prend le parti de l’ennemi est un traitre. Et s’il est un traitre à son pays, ce dernier réagit immédiatement et le met hors d’état de nuire.
Mais laissons ce débat pour nous intéresser à notre ennemi. Car si nous ne sommes pas certain d’être en guerre, selon les normes habituelles, ce qui est certain c’est que nous avons un ennemi.
C’est une grande erreur de penser que cet ennemi n’est constitué que d’une bande de psychopathes en mal d’exaltation.
Il y a des paumés et il y a des délinquants qui sont récupérés et utilisés pour réaliser les basses besognes.
Mais le califat, car je pense que c’est la manière la plus signifiante de désigner notre ennemi est surtout comme l’écrit Eric Leser dans un article de <Slate> un groupe religieux et militaire organisé, disposant de dirigeants compétents avec une stratégie cohérente au service de la guerre sainte.
C’est excessivement compliqué pour nous de comprendre. Nous nous sommes tant éloignés des croyances religieuses que nous avons du mal à nous convaincre que ces hommes sont des idéologues qui ne pensent absolument pas avec les mêmes raisonnements que nous. Mais ils pensent, il raisonnent et ils ont une stratégie.
Et parmi les concepts qu’ils manipulent il y a ce concept de «zone grise»
Ainsi, Slate nous apprend que dans un texte de 10 pages publié sur le magazine en ligne de l’Etat islamique, « Dabiq » et intitulé «La zone grise», ces idéologues décrivent l’incertitude dans laquelle se trouvent aujourd’hui la plupart des musulmans «entre le bien et le mal, le califat et les infidèles… «Le monde est divisé» et le «moment est venu pour un nouvel événement… d’accroître la division et de détruire la zone grise».
Bref il y a un monde en noir et blanc (je ne sais pas qui est le monde noir et qui est le monde blanc) mais qui oppose le califat et les autres, les mécréants, les renégats.
Au milieu il y a une zone grise, lieu de l’échange, de la mixité, du partage.
Cette zone doit être détruite.
Slate ajoute : «C’est exactement l’objectif des attaques du 13 novembres 2015 à Paris et à Saint-Denis. Elles contribuent à faire disparaître la zone grise en augmentant l’antagonisme entre les communautés et elle montre aux jeunes islamistes qu’avec des moyens finalement assez limités, des kalachnikovs et des ceintures d’explosifs, ils peuvent semer le chaos et le faire savoir au monde entier.»
Abdennour Bidar dit la même chose dans <Libération> : « ils nous ont pris comme cible pour ce que nous représentons dans le monde, ils cherchent à nous détruire comme ce peuple, cette société éprise de paix, de liberté, de justice, qui incarne la force de la vie et de l’amour contre lesquelles le néant ne peut rien. Ils ont cherché à frapper assez fort pour briser notre unité, pour anéantir ce qui est plus fort que leur néant.Et pour cela, ils cherchent à ce que, sous l’effet de la peur et du sentiment d’impuissance, nous nous retournions les uns contre les autres : non musulmans contre musulmans»
Ils ont un objectif dans ces attentats, nous conduire à nous diviser et notamment à pousser les non musulmans contre les musulmans avec une telle force et une telle haine que ces derniers se sentent obligés à basculer dans le camp du califat.
Ces gens, nos ennemis ne sont pas fous, ce sont des idéologues qui ont des convictions et surtout des croyances.
Dans le monde musulman ils ont une capacité de séduction évidente.
Je doute fort qu’une riposte uniquement militaire puisse avoir raison de cet ennemi
Notre environnement intellectuel ne nous permet ni de comprendre cette capacité de séduction auprès des masses sunnites ni ce que Slate appelle « l’intensité de la haine et de la détestation dont nous faisons l’objet.»
Et je poursuis la lecture de l’article de Slate : « Contrairement au discours officiel tenu à Paris comme à Washington, l’Etat islamique est vraiment islamique. Les musulmans qui expliquent que Daech n’a rien à voir avec l’Islam sont «vraiment mal-à-l’aise, politiquement corrects et ont une vision à l’eau de rose de leur propre religion qui passe sous silence ce qu’elle exige historiquement et légalement» explique Bernard Haykel de l’Université de Princeton, l’un des plus grands experts de l’Islam radical.»
Notre ennemi vit dans un autre monde que nous, avec d’autres repères et d’autres valeurs.
Quand des gens sérieux essayent d’évaluer le nombre de combattants du Califat, ils parlent de 50 000 à 60 000 hommes.
C’est ridicule par rapport à la masse de ceux qui se prétendent leurs ennemis.
Il est vrai que ceux qu’on appelle les alliés, sont tout sauf unis dans leurs objectifs. L’objectif principal de la Russie est de sauver le régime d’Assad, même s’ils semblent quelquefois accepter qu’Assad lui même sorte du jeu, les turcs ont comme ennemi principal les kurdes, l’Arabie saoudite a pour ennemi principal l’Iran et réciproquement, la France jusqu’à présent refusait de choisir entre le califat et Assad. Cette rapide description montre la complexité des relations militaires et permet de comprendre que le califat puisse profiter de cette désunion.
Mais je pense que c’est une erreur de croire qu’on pourra mettre fin à notre ennemi par la seule réponse militaire fusse t’elle massive selon les propos de notre gouvernement.
La bataille idéologique est encore plus importante.