Quatre fonctionnaires de police ont été assassinés, le jeudi 3 octobre 2019, dans les locaux de la Préfecture de Police par un autre fonctionnaire de la préfecture exerçant des missions informatiques. L’assassin était doté d’une habilitation secret-défense, qui lui permettait d’avoir accès à des informations protégées.
Il y a probablement eu des dysfonctionnements dans l’organisation de la préfecture qui ont conduit à ces conséquences dramatiques.
Qu’on s’interroge sur la nature des dysfonctionnements et de la manière à essayer d’y remédier semble raisonnable.
Mais cela conduit à nouveau à des propositions de nouvelles lois, de nouvelles règles, pour essayer de détecter la « radicalisation » au plus tôt et des propositions toujours plus liberticides voient le jour.
François Sureau a été aussi invité par Olivier Duhamel sur Europe 1 dans l’émission <Médiapolis du 12 octobre 2019> et a me semble t’il avancé des explications qui sont intéressantes à partager.
Les propos que j’ai essayé de transcrire commencent à la minute 18. C’est d’abord Olivier Duhamel qui donne son analyse après les assassinats de la préfecture :
«On a l’impression d’avoir entendu, cette semaine, des choses terrifiantes sur les propositions concernant la lutte contre le terrorisme islamiste.
On a l’impression que plus personne, quand il se produit un attentat, plus personne ne se pose la question : jusqu’où peut-on aller dans les mesures à prendre, sans toucher aux libertés fondamentales ?
C’est une question qui n’existe même plus !»
Et voici ce qu’a répondu François Sureau :
« Il y a un concours Lépine délirant de la répression.
Il y a en plus un oubli fondamental de ce que nous sommes. Notre système a été pensé pour qu’il permettre une répression extrêmement dure, y compris pour les actes terroristes, sans pour autant s’écarter des principes.
On peut trouver, sans difficulté, des juges anti terroristes pour signer des mandats. On a tout à fait les moyens pour arrêter les gens.
Ce n’est pas comme si nous vivions dans un Droit pénal de bisounours. Notre Droit pénal est extrêmement sévère et répressif, il n’y a rien à y ajouter.
La question est pourquoi on y ajoute quelque chose ?
La première raison est comme le dit Olivier Duhamel que la question de savoir si on ne touche pas de manière disproportionnée aux libertés fondamentales a disparu de l’esprit de tout le monde.
A la fin, il y a les 9 sages du Conseil Constitutionnel qui de temps en temps retoque une mesure. Mais avant ça, il n’y a absolument plus rien. Et ceci me parait extrêmement dangereux
La deuxième raison je crois c’est aussi un déséquilibre institutionnel. J’ai lu le premier tome des mémoires de Cazeneuve, c’est très intéressant. Lors des attentats terroristes, la totalité de cette question : l’arbitrage « sécurité – liberté » passe dans la cervelle du ministre de l’Intérieur et de lui seul. Comme s’il n’y avait pas de Ministre de la Justice, comme s’il n’y avait pas de Parlement, pas de commission des Lois, comme s’il n’y avait personne. C’est extrêmement gênant et c’est du probablement à l’évolution institutionnelle de la Vème République.
Il y a une troisième raison, nous sommes devenus une Société qui est incapable de supporter la présence du Mal en elle-même. Le Mal doit être extérieur, il doit être étranger. Il doit être éradiqué sans que l’on ne regarde d’aucune manière aux principes qui peuvent gouverner aux procédures de son éradication.
Le Mal est quelque chose que nous ne pouvons plus penser. Nous n’avons plus d’idée du salut individuel, nous n’avons plus d’idée du progrès politique.
Le Mal doit être éloigné de nous !
Et tout ce qu’on voit en matière de concours Lépine, tout comme la rétention de sureté, tout comme la déchéance de nationalité manifestent cette idée que nous allons expulser le mal parce que nous sommes des purs.
Ceci m’inquiète énormément. »
J’insiste sur ce sujet des libertés, parce que nous sommes vraiment dans une dérive de plus en plus inquiétante.
Surtout que l’imagination liberticide de certains technocrates semble débordante.
Et je considère qu’un homme comme François Sureau reste un port d’attache de nos valeurs qui dit les choses simplement :
Les moyens répressifs et de contrôle existent.
Il existe des difficultés d’organisation et de mise en œuvre.
Mais il est nul besoin d’alourdir sans cesse les contraintes et les libertés de tout le monde pour lutter contre ce type de criminalité.
Surtout sans se poser les questions des libertés fondamentales.
Et je trouve ce rappel que le mal existe, qu’il faut l’affronter avec nos valeurs, constitue un rappel salutaire.
<1287>
Le fait de proposer une nouvelle loi à chaque fois qu’un problème grave se produit permet de donner le change à celles et ceux qui essaient de profiter de l’événement pour discréditer les institutions et surtout permet d’éviter des interrogations sur l’application réelle des lois actuelles et les moyens qu’on affecte à leur mise en place
Je suis tout à fait d’accord avec toi Daniel, d’un coté une inflation législative et de l’autre pas de vrai réflexion sur les moyens, l’organisation et l’application des lois existantes. Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires disait Montesquieu.
http://lemotdujour.fr/?p=2015