Lundi 14 octobre 2013

Lundi 14 octobre 2013
«Apprendre ce que je ne sais pas, d’une certaine façon à devenir la personne que je ne suis pas encore»
Patrice Chéreau
Patrice Chéreau est mort à 68 ans, c’était un artiste qui, sans cesse, tentait de côtoyer la perfection.
En 2009, il a écrit un livre « J’y arriverai un jour ». Il me semble qu’il y ait arrivé.
J’hésitais entre ce mot du jour et celui-ci « 87 minutes »
En 1976, Wolfgang Wagner, petit-fils de Richard, a confié la Tétralogie du centenaire à Pierre Boulez qui a fait appel à Patrice Chéreau pour la mise en scène qui a fait appel à Richard Peduzzi pour les décors.
Les milieux culturels allemands ont crié au crime de lèse-majesté : comment confier la célébration de ce monument de l’art allemand (16 heures d’opéra divisé en un prologue et 3 journées) à des « franzosen » ?
A ce premier crime, Chéreau a ajouté un sacrilège : Le Ring commence avec l’or du Rhin. Le premier tableau fait appel au mythe germain : le Rhin sacré et des nymphes qui gardent son or : les filles du Rhin.
Et, lorsque le rideau s’est levé Chéreau a imposé au spectateur un barrage hydro électrique avec, autour, des prostituées qui folâtraient. Scandale après scandale, hurlement, menace de mort. On revivait le scandale d’Hernani.
Un des rares défenseurs du projet dans la salle, Philippe Olivier, raconte comment sa voisine lui a asséné des coups avec son sac à main en criant : « Terroriste » (c’était l’époque de la bande à Baader).
87 minutes, c’est la durée de la standing ovation qui a salué la dernière journée de la toute dernière représentation de la tétralogie Chéreau- Boulez en 1980. Chéreau avait imposé sa vision de ce chef d’œuvre.
Il était inconnu au niveau mondial avant ces 5 ans de Bayreuth, il est devenu incontournable après.
Avant lui, on parlait de la tétralogie des chefs d’orchestre : le Ring de Furtwängler, le ring de Keilberth, le ring de Karajan. Après, on cite le Ring de Chéreau-Boulez, voire le Ring de Chéreau.
Bien sûr les spectateurs de 1980 n’étaient peut être plus tout à fait les mêmes que ceux de 1976.
Toutefois parmi les opposants de 1976, il en est beaucoup qui avaient évolué car ils avaient compris que Chéreau avait fait de Bayreuth ce que Wagner souhaitait « un temple de la modernité », alors qu’il s’était amolli dans le conservatisme.
Bon, il y a divergence entre 85, 87 et 90 minutes d’ovation.
Chéreau a réalisé une dernière mise en scène d’opéra, absolument époustouflante, en juillet, trois mois avant sa mort, Elektra de Richard Strauss.
Elektra est l’opéra de la haine, de la violence, de la mort qui nous vient de la tragédie grecque.
Elektra hait sa mère Clytemnestre parce qu’elle a tué son père Agamemnon.
Mais Clytemnestre haïssait son mari Agamemnon parce qu’il avait sacrifié leur fille Iphigénie pour obtenir les vents favorables pour les bateaux grecs qui devaient voguer vers Troie.
Et Chéreau par sa mise en scène tutoie la perfection et offre de l’humanité à ces monstres
Arte était présent et son site liveweb permet encore de voir ce spectacle pendant 15 jours :
Attention c’est une œuvre exigeante, on n’y entre pas comme dans la flûte enchantée, dans Carmen ou dans Aida.
Dans l’émission la Grande Table, plusieurs des comédiens avec lesquels il a travaillé, ont parlé pour ce spectacle comme de son apogée.
Patrice Chéreau était homme de théâtre, homme de cinéma et homme d’Opéra, mais je ne sais parler savamment que de ce dernier don.
Il a couronné sa flamboyante carrière avec un opéra et il a ainsi suivi le conseil de son mentor Roger Planchon « n’arrête jamais de travailler », car avant d’illuminer le Théâtre des Amandiers de Nanterre, il avait secondé Roger Planchon dans le grand Théâtre de notre ville voisine, « le TNP de Villeurbanne »