Vendredi 13 mars 2015
« le problème de l’islam comme force politique est un problème essentiel pour notre époque et pour les années à venir »
Michel Foucault, 1978
Le 16 janvier 1979, le Shah d’Iran quitte définitivement l’Iran pour se rendre en Égypte.
Le 1er février 1979, l’ayatollah Khomeiny arrive à Téhéran où des milliers de personnes l’attendent, l’Iran est en route vers la République Islamique.
A l’époque, j’avais 20 ans, je lisais les journaux de gauche et j’étais très heureux comme la plupart des lecteurs de ces journaux que le dictateur sanguinaire de la Perse, le Shah d’Iran, soit chassé.
J’écoutais aussi tous les jours une émission de Gonzague Saint Bris, « la ligne est ouverte » que j’avais évoqué lors du mot du jour du 9 septembre 2013 et je me souviens d’une jeune iranienne qui a appelé et qui en résumé disait la chose suivante :
« Vous, les jeunes bien-pensants de gauche vous pensez que la révolution iranienne est une révolution contre la dictature et les violations des droits de l’homme que pratique le Shah depuis qu’il est au pouvoir.
Vous vous trompez totalement !
Ce que les meneurs de cette révolte reprochent au Shah ce n’est pas la violation des droits de l’homme, c’est le fait qu’il éloigne l’Iran de ses racines islamiques et qu’il veut occidentaliser son pays et importer des mœurs que les religieux rejettent.
Quand ils seront aux pouvoirs, les droits de l’homme, au sens occidental, seront encore moins respectés »
Cette intervention m’avait interpellé.
Elle m’a secoué depuis puisque cette jeune iranienne avait raison, c’est bien ainsi que les choses se sont passées.
Depuis, je me méfie lorsque les occidentaux entendent chasser les dictateurs, nous voyons comment dès lors ils créent souvent le chaos et une violence plus grande.
Le grand philosophe français Michel Foucault s’était rendu en Iran en 1978, c’est à dire alors que la révolution islamique iranienne était en train de naître.
Un article du Monde, joint au message, rappelle ce voyage et surtout les conclusions du philosophe. J’en tire le mot du jour.
Cet article est l’œuvre de Jean Birnbaum qui dénonce l’aveuglement de la gauche face au djihadisme, en réduisant les raisons du phénomène à des seules considérations d’inégalité sociale et d’oppression politique en refusant de considérer la force autonome et structurante de la religion et de ce que Foucault appelle l’espérance messianique.
Voici des extraits de cet article.
«En 1978, le philosophe Michel Foucault arrive en Iran pour y effectuer un reportage sur la révolution islamique.
Envoyé par le quotidien italien Corriere della sera, il va à la rencontre des insurgés et leur pose des questions.
Bien sûr, cet intellectuel de gauche ne manque pas de s’intéresser aux causes économiques du soulèvement.
Il commence par détailler les inégalités de classe et de statut qui rongent la société iranienne.
Mais son ouverture d’esprit et sa disponibilité à l’événement le rendent sensible à un autre enjeu : » la religion, avec l’emprise formidable qu’elle a sur les gens « .
Après avoir interviewé des étudiants et des ouvriers, il dresse le constat suivant : si les facteurs sociaux sont importants pour expliquer la contestation, seule l’espérance messianique a vraiment pu mettre le feu aux poudres. D’ailleurs, les militants se réclamant du communisme ou des droits de l’homme se trouvent peu à peu balayés par ceux qui en appellent à la charia. A l’évidence, » le problème de l’islam comme force politique est un problème essentiel pour notre époque et pour les années à venir « , prévenait Foucault. Telle est la leçon de ce reportage signé par un philosophe qui a pu observer de près, et avec une certaine bienveillance, la puissance politique de l’espérance religieuse. […]
il n’est pas question de nier que le djihadisme ait des causes économiques et sociales.
Mais à ignorer sans cesse sa dimension proprement religieuse, on se condamne à l’impuissance.»
Les fous de Dieu le répètent : ce qui est enjeu, dans leur esprit, c’est une certaine polarisation du sacré et du profane, un partage du bien et du mal. Et ce qui devrait intriguer tous ceux que cette violence frappe, c’est moins ses racines sociales que sa remarquable autonomie par rapport à elles. Foucault en était bien conscient. Confronté à une situation certes différente, mais qui posait déjà la question du discours religieux et de sa puissance politique, il affirmait que quiconque réduisait la religion à une chimère passait à côté de la révolution islamique.
Il notait d’ailleurs qu’une telle myopie faisait rire à Téhéran :
« Vous savez la phrase qui fait ces temps-ci le plus ricaner les Iraniens ? Celle qui leur paraît la plus sotte, la plus plate, la plus occidentale ? “La religion, opium du peuple.” » […] « J’entends déjà des Français qui rient, mais je sais qu’ils ont tort. » Pas de quoi rire. Voilà donc la leçon de Michel Foucault, celle que nous ferions bien d’entendre aujourd’hui : il arrive que la religion devienne force autonome, qu’elle se fasse puissance symbolique, matérielle, politique. Si nous nous moquons de cette force, alors nous nous condamnons à passer du rire aux larmes. »
Pour ceux qui voudraient ajouter : comme disait Malraux : « Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas », je suis dans l’obligation de freiner leur élan « citationnel » : <Malraux n’a jamais prononcé cette phrase>
Je partage l’analyse de Jean Birnbaum, mes amis de Gauche, pour la plupart, amplifient les raisons économiques et politiques et sous estiment les ressorts religieux de ces évènements.