Ce soir notre jeune président va parler pour nous dire ce qu’il a compris du grand débat et nous annoncer les mesures qu’il a décidées pour le bien des français et de la France. Il s’inscrira comme toujours dans le camp des progressistes pour expliquer le cap qu’il a fixé. Emmanuel Macron est jeune, il est né peu avant Noël 1977 et a donc été élu à moins de 40 ans.
Il est vrai qu’à cet âge Alexandre le Grand avait tout accompli de son œuvre et était déjà mort depuis 8 ans. Et dire qu’on prétend que tout va de plus en plus vite…
La jeunesse n’est pas une tare, même pour diriger. Elle peut même être un atout puisqu’elle permet d’avoir pris moins de mauvaises habitudes que les vieux.
Mais on pourrait penser que lorsqu’on se trouve dans cette position difficile à 40 ans, on s’entoure de conseillers d’expérience, de stratèges ayant du vécu. Quitte à les bousculer, à ne pas toujours les suivre dans leurs conseils prudents.
Mais ce n’est pas ce qu’a fait notre jeune président : il s’est entouré de conseillers encore plus jeunes que lui.
Ismaël Emelien est né en 1987 et a donc dix ans de moins qu’Emmanuel Macron. Il est banalement diplômé de Siences-Po Paris où Strauss Kahn était son professeur. Il est naturellement entré en politique dans les cercles Strauss-Kahnien comme Benjamin Griveaux, Stanislas Guérini ou encore Sibeth Ndiaye tous aujourd’hui dans le premier cercle de Macron. Il a travaillé dans le secteur privé et dans un think-tank : la fondation de Jaurès, toujours dans la communication et la politique. Il est devenu conseiller d’Emmanuel Macron au moment de son entrée au gouvernement comme ministre de l’Économie, en 2014. Comptant parmi les fondateurs d’En Marche, puis directeur de la stratégie de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, il a ensuite été nommé conseiller spécial du Président de la République.
Conseiller spécial du Président de la République !
Pour donner une idée de ce poste on rappellera que fut le rôle joué par le jeune Jacques Attali auprès du vieux François Mitterrand ou d’Henri Guaino auprès de Nicolas Sarkozy.
Wikipedia écrit ;
« il est décrit par le quotidien Le Monde comme faisant partie, avec le président de la République et le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, des trois hommes qui « dirigent la France. » Le Figaro indique qu’« il travaille pêle-mêle sur la stratégie du président, la communication numérique, la gestion de crise, livrant des « éléments de langage » aux communicants du gouvernement par le biais d’une boucle Telegram. Il relit les interviews ministérielles, y rajoute des mots-clés (le « wording », dans le jargon des communicants) ». Il invente le slogan « Make Our Planet Great Again », en réaction à la décision du président américain Donald Trump de quitter l’accord de Paris sur le climat, en référence à son propre slogan de campagne « Make America Great Again »6, ou encore l’expression « premier de cordée ». Il est également à l’origine de la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo où Emmanuel Macron parle des aides sociales qui coûtent, selon lui, « un pognon de dingue».
Si vous voulez en savoir plus vous pouvez lire ce petit article de « l’Obs » <10 choses à savoir sur Ismaël Emelien>
Il vient de quitter l’Élysée, les mauvaises langues disent que c’est à cause de l’affaire Benalla.
Mais ce n’est pas la raison officielle. La raison officielle c’est pouvoir assurer la promotion du livre qu’il a écrit avec David Amiel qui était aussi conseiller du Président et qui a aussi quitté l’Élysée pour la même raison.
David Amiel est encore plus jeune que le jeune Ismaël, puisqu’il a 6 ans de moins.
Il est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (Ulm). En 2015, après un séjour de recherches à l’université de Princeton aux Etats-Unis, il rejoint Emmanuel Macron, alors ministre, comme économiste. Pendant la campagne présidentielle, il coordonne l’élaboration et la rédaction du programme. Il est nommé en mai 2017 conseiller du Président de la République.
Ces deux très jeunes conseillers viennent donc de publier un livre : « Le Progrès ne tombe pas du ciel ».
Ils se placent clairement dans le camp du progrès.
Je ne nie pas la complexité de leur pensée et je dois d’ailleurs concéder que je ne l’ai pas approfondi.
Mais j’ai écouté plusieurs émissions dans lesquelles ils développaient cette pensée, leur vision du monde.
Je les ai entendus une première fois, invités sur France Inter par Nicolas Demorand et Alexandra Bensaid le <26 mars 2019>.
Loin de moi de prétendre qu’ils ne développent pas des analyses intéressantes. Mais reprenons le postulat de départ
Ils sont progressistes et le camp d’en face ce sont les populistes.
Pour eux le clivage gauche / droite ne reviendra pas et les partis politiques qui représentaient ce clivage ne se relèveront pas de leur léthargie actuelle.
C’est tout à fait possible et je pense même probable.
Mais ce qu’il faut comprendre c’est que dans un clivage droite/gauche, les gens qui se font face sont des personnes qui en principe se respectent tout en sachant qu’ils ne pensent pas les mêmes choses et qu’ils ont toutefois en commun beaucoup de valeurs. Ainsi Juppé et Rocard avaient un profond respect l’un pour l’autre tout en se combattant politiquement et dans un autre style et d’autres convictions il en allait de même entre Seguin et Chevènement.
Mais dans le clivage qu’impose ces très jeunes conseillers, nous ne sommes plus dans cette joute maîtrisée et respectueuse.
Le clivage qu’ils proposent, l’Histoire le connaît.
Pour les chrétiens, les croyants contre les mécréants, dans l’islam on opposait les vrais musulmans contre les kouffars et pour le premier peuple du livre : les juifs contre les goys.
Dans la religion laïque du communisme les communistes et les dissidents.
Bref les bons contre les mauvais, une analyse manichéenne.
Ils constatent que dans leur échelle des valeurs, les progressistes perdent beaucoup de batailles dans le monde : Trump, Bolsonaro, brexit, Italie, Hongrie etc., mais en France les progressistes l’ont emporté. Ils ont une vision de l’échiquier politique français :
« Il existe des progressistes ailleurs que dans la majorité présidentielle, mais la majorité présidentielle est la seule force politique exclusivement composée de progressistes »
A ce stade, Alexandra Bensaid a posé la seule question qui vaille : qu’est-ce que le progressisme ?
David Amiel a répondu :
« Le progressisme c’est un objectif, une condition et une méthode.
L’objectif c’est de permettre à chacun de maximiser ses possibles. Donner à chacun la possibilité de choisir sa vie.
La condition est de le faire ensemble. Parce que si chacun cherche à le faire dans son coin, cela ne marchera pas. Ce n’est pas au chômeur de résoudre tout seul le problème du chômage.
La méthode c’est de commencer par le bas. Il faut permettre aux individus d’être acteur du changement.
C’est pourquoi nous avons appelé notre livre : « le progrès ne tombe pas du ciel » »
C’est une vision. Elle est individualiste. Certes on promet de le faire ensemble, donc d’aider chacun à s’en sortir au mieux. A chacun de devenir acteur.
Mais quelle est la contrepartie de cette vision ?
C’est que si vous échouez à « maximiser vos possibles » c’est de votre faute, puisque vous n’avez pas su saisir votre chance, tirer tout le potentiel de l’aide qu’on vous a donnée. Vous n’avez pas su devenir acteur de votre changement.
Dans la vision de gauche, il y avait des classes sociales, un collectif. « Faire ensemble » ce n’est pas tout à fait la même chose. Une armée d’auto entrepreneurs peut faire ensemble mais ce n’est pas un collectif.
Ils le disent d’ailleurs explicitement :
« Les progressistes ne s’adressent plus à des classes sociales, mais à des personnes »
Si vous cherchez sur internet vous verrez de nombreuses interventions des deux auteurs qui défendent leur livre, la politique d’Emmanuel Macron et le cap qui est le bon.
Même la crise des gilets jaunes est analysée comme une confirmation des intuitions du macronisme.
« D’abord ils nous disent exactement ce qu’on avait dit pendant la campagne : leur souci principal est que le travail paie. Ils ne revendiquent pas une redistribution massive, le fait d’augmenter tous les minimas sociaux.
Ensuite ils ne se reconnaissent ni dans la gauche, ni dans la droite, et donc ils nous renvoient quelque part à la figure ce que nous, on a dit il y a deux ans »
Pour répondre plus longuement à ce livre, je vous laisse écouter « Le nouvel esprit public » de Philippe Meyer, émission du 31 mars 2019 que vous trouverez derrière ce lien : https://www.lenouvelespritpublic.fr/podcasts/115
J’ai été particulièrement conquis par l’analyse du « vieux » et brillantissime Jean-Louis Bourlanges qui rappelons est centriste, député du MODEM et donc membre de la majorité présidentielle.
Et cette « nouvelle ancienne » émission a innové et présente désormais un verbatim des échanges verbaux, ce qui me facilite le partage
« Bien que député de la majorité, Jean-Louis Bourlanges (JLB) ne connaît pas les deux auteurs du livre. Il les a seulement écoutés parler sur France Inter et a lu leur livre. Cette écoute et cette lecture lui ont permis de comprendre le malaise qu’il éprouve depuis deux ans en tant que parlementaire de la majorité. Il y a maldonne entre ces ex-conseillers et lui (« lui » en tant que député de base de l’ancien monde, pas en tant que personne). Il a cependant un petit espoir : il semble qu’il y ait aussi un malentendu entre les auteurs et Macron lui-même.
Ce livre a paru à JLB prétentieux, étriqué, erroné sur ses priorités, assez profondément malveillant, et carrément mensonger.
Prétentieux d’abord. On est en face d’un texte ne contenant pas une idée, ni une analyse intéressante. Simplement l’affirmation qu’ils ont tout compris. Ce qui conduit à des bizarreries : pour donner de l’originalité à leur maximisation des possibles, ils disent que ça n’a rien à voir avec l’égalité des chances (ce qu’ils peuvent se permettre de faire en donnant à l’égalité des chances une interprétation totalement restrictive). Il y a certes une différence, mais elle n’est pas à l’avantage de la maximisation des possibles. Maximiser les possibles, c’est se situer dans une perspective « jeune cadre dynamique concurrentiel » de la liberté. Ce qui mène à des déviations : le modèle philosophique de la vie réussie devient celui de l’enrichissement financier. La liberté d’une personne ne consiste pas forcément en la maximisation de ses possibles, on peut aussi faire le choix d’une vie plus calme …
C’est aussi un livre étriqué. Il y a une méconnaissance totale de tous les enjeux collectifs. L’Europe et le monde sont en effet absents. Même la France n’y est pas, c’est là que se situe la différence avec Macron, qui lui au moins fait le chemin mémoriel. Ici, aucun enjeu. La société selon les deux auteurs de ce livre est une RPJ : une Résidence pour Personnes Jeunes. La société est ici un réservoir d’outils, plus ou moins informatisés, qu’on fournit aux gens. Or ce n’est pas cela, une société. C’est un ensemble de solidarités, c’est un destin collectif. Si un bulletin de vote peut avoir un poids, c’est parce qu’il est inscrit dans un parti, un mouvement, quelque chose qui dépasse la seule capacité individuelle. La dimension intermédiaire de l’engagement collectif est fondamentale.
Ensuite, c’est un livre erroné sur les priorités. On pense tout de suite aux livres de Jérôme Fourquet, pour qui le problème français est celui d’une fragmentation du corps social, et le but du président de la République, c’est d’abord d’établir des liens entre ces fragments. C’est cela l’enjeu fondamental, et il est totalement ignoré.
Il y a en outre une grande malveillance. Macron a été élu sur le thème de la bienveillance, du rassemblement, de l’écoute. Ici, on n’a que l’exaltation d’une idéologie « bobo », qui consiste à faire honte aux gens qui ne se comportent pas comme ils le devraient (en matière d’écologie par exemple).
Enfin, c’est mensonger, sur deux points essentiels. La solidarité d’abord, puisque ce livre est un hymne à l’individualisme, qui est la plus grande menace pour la société française. L’autre mensonge est celui du mouvement de bas en haut. Ce qui mène là aussi à des acrobaties stylistiques, car expliquer que le jupitérisme vient d’en bas est une gageure. Par exemple « il faut que le haut fonctionnaire soit au service des agents de terrain ». D’accord, mais qu’est-ce que ça veut dire ?
C’est du baratin. Typiquement ce qu’on appelait en mai 68 « de l’idéologie ».
Le progrès ne tombe pas du ciel, mais il ne tombe pas de ce livre non plus. »
Vous constatez que Jean-Louis Bourlanges est très sévère mais tente de préserver le président de sa majorité.
Mais Philippe Meyer répond à cette prétention en faisant appel à Michel Rocard.
« Pour Philippe Meyer, il est difficile d’épargner Macron en séparant clairement sa pensée des choses lues dans ce livre, car ce livre émane de son entourage très proche. On avait par exemple longtemps reproché à Michel Rocard de s’être fourvoyé dans une campagne pour les européennes (où son score avait été si faible qu’il avait dû abandonner toute espèce d’autre ambition par la suite). Il s’était présenté sur le (mauvais) conseil de son directeur de cabinet Jean-Paul Huchon. Si bien que des années plus tard, quand on lui disait « vous aviez été mal conseillé dans cette affaire », il répondait « oui. J’ai été mal conseillé par des gens que j’ai choisi ». Il n’a jamais accepté que la responsabilité incombe au mauvais conseil. »
J’avais un jour pris comme mot de jour cette phrase de Shakespeare extrait du Roi Lear: « Tis the time’s plague when madmen lead the blind.» ce qui signifie « Quelle époque terrible que celle où des idiots dirigent des aveugles. ».
Aujourd’hui un dramaturge voyant notre monde pourrait peut-être dire : Quelle époque terrible que celle où de jeunes rois inexpérimentés font appel à des stratèges plus jeunes et plus inexpérimentés qu’eux.
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L’idée de base de celles et ceux qui s’appellent les progressistes est de gérer le pays comme on gère une entreprise. Même si on peut admettre l’intérêt de rechercher l’efficacité des politiques publiques, cela ne peut pas constituer l’alpha et l’oméga du vivre ensemble, sauf pour les gagnants bien entendu
Tout à fait d’accord.
D’ailleurs quand ils parlent de maximiser les possibles, j’entends maximiser les profits…