Kate Millett vient de mourir, le 6 septembre 2017 à Paris, où elle était venue fêter son anniversaire, avec sa femme, la photojournaliste Sophie Keir. Elle était née le 14 septembre 1934 dans le Minnesota.
Dans la première partie de sa vie, elle avait été mariée à un sculpteur japonais Fumio Yoshimura pendant 20 ans (1965-1985).
Pour ceux et surtout celles qui pensent que le progrès va suivre son cours que l’égalité réelle entre la femme et l’homme dans nos sociétés modernes n’est qu’une question d’un peu de patience encore ou que le droit de la femme de disposer librement de son corps et notamment de pratiquer l’avortement lorsqu’elle le juge nécessaire est acquis: Libération cite un constat que cette grande féministe avait fait, il y a quelques années, pour son pays, les Etats-Unis :
«Rien n’a changé dans ce pays depuis vingt ans, le féminisme n’apporte plus rien dans la vie quotidienne. Et les Américaines risquent toujours de perdre le droit à l’avortement.»
Kate Millett est une des grandes féministes américaines qui a fait avancer les droits des femmes en dénonçant avec force et perspicacité les traditions, les évidences et aussi les théories de certains pseudo scientifiques qui essayaient de cacher, derrière un rideau de fumée conceptuelle, la banalité de leur combat médiocre pour préserver le patriarcat et la domination des mâles.
Dans ce registre, le docteur Sigmund Freud fut une cible particulièrement prisée par Kate Millett.
L’Obs dans son article d’hommage qu’il a intitulé <Kate Millett la grande féministe qui remettait Freud à sa place> la cite :
« Selon elle, en affirmant que le destin psychologique de la femme est irrémédiablement lié à son «envie de pénis», Freud n’a fait que «rationaliser l’odieuse relation entre les sexes, ratifier la répartition des rôles et valider les différences de son tempérament». Et de trancher: S’il est extrêmement regrettable que Freud ait choisi […] de se concentrer sur les distorsions de la subjectivité infantile, son analyse aurait pu cependant présenter un intérêt considérable s’il avait été assez objectif pour reconnaître que la femme naît femme dans une culture dominée par les hommes, portée à étendre ses valeurs jusqu’au domaine de l’anatomie elle-même et capable, par conséquent, d’investir les phénomènes biologiques d’une force symbolique.»
Son grand ouvrage qui la rendit mondialement célèbre fut écrit en 1970 et avait pour titre original : « Sexual Politics », traduit en français et publié en 1971 sous le titre « La politique du mâle »
« La Politique du Mâle » fut d’abord sa thèse à l’Université de Columbia avant de devenir un livre. Son idée principale est que la relation entre les sexes est avant tout une question politique et par voie de conséquence une question de pouvoir et d’organisation sociétale pour préserver le pouvoir mâle.
L’Obs l’avait rencontrée à l’occasion de la sortie française de son livre en 1971 et elle avait résumé ainsi la situation :
« Chaque petit garçon est élevé dans l’idée qu’il peut, s’il a du mérite et de la chance, devenir président des Etats-Unis. Pour les petites filles, le but proposé, c’est d’être élue Miss America. […]
Je me suis crue obligée de parler haut. Je craignais que personne n’écoute. Mais je n’ai fait que mettre en batterie un vieux cliché: le monde appartient aux hommes.»
Dois-je rappeler que les américains malgré leur racisme latent sont parvenus à élire un homme noir à la Présidence, mais pas une femme. Ils ont préféré Donald Trump !
C’est encore cet ouvrage que l’Obs a cité dans le numéro contenant aussi le «Manifeste des 343 salopes» cité dans le Mot du jour de vendredi dernier.
C’est ainsi que l’hebdomadaire cita le jugement sévère de Kate Millett contre Freud, déjà évoqué en début d’article.
Et en continuant à citer son propos sur Freud, le journal écrivait :
« Plus loin, elle critique l’idée selon laquelle l’enfantement trouve également sa base dans le désir de pénis.
Donner le jour finit par devenir une prérogative masculine, puisque le bébé n’est que le substitut du pénis. La femme se fait battre à son propre jeu, celui de la reproduction, le seul que la théorie freudienne lui recommande.»
Ainsi, «donnerait-elle naissance à tout un orphelinat, que ce serait encore autant de petits godemichés.»
Kate Millett remet le psychanalyste autrichien à sa place avec une démonstration implacable :
Il semble que les filles fassent connaissance de la suprématie masculine bien avant d’avoir vu le pénis de leur frère. Elle est si bien intégrée à leur culture, si présente dans le favoritisme de l’école et de la famille, dans l’image que leur présentent de chaque sexe les médias, la religion, tous les modèles du monde adulte perçus par elle, que l’associer à un organe génital du garçon ne leur apporterait rien de plus, puisqu’elles ont déjà appris mille autre signes de différence sexuelle. Devant tant de preuves concrètes de la situation supérieure qui est faite au mâle et sentant de toutes parts le peu de cas que l’on fait d’elles, les filles envient, non le pénis lui-même, mais les prétentions sociales auxquelles le pénis autorise.»
Libération, comme les autres journaux, lui a consacré également un article dont je cite un extrait ci-après :
« Kate Millett a commencé à s’intéresser au féminisme quand elle a découvert le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir pendant ses études à Oxford, «une révélation» (le Monde du 2 avril 1971). Son Sexual Politics, traduit sous le titre la Politique du mâle au printemps 1971 chez Stock, suit d’une poignée d’années l’essai de Betty Friedan la Femme mystifiée (1964), qui analysait comment les bénéficiaires de la société de consommation, les magazines féminins et la publicité, ont recréé une nouvelle mystique de la femme au foyer.
Dans les semaines qui suivent la parution de Sex Pol aux Etats-Unis, Kate Millett se retrouve propulsée sur le devant de la scène. Son essai mêle l’analyse littéraire à la sociologie, la psychologie, l’anthropologie et définit les objectifs du mouvement féministe. C’est une critique du patriarcat dans la société et la littérature occidentale qui pointe le sexisme de romanciers modernes comme DH Lawrence, Henry Miller et Norman Mailer. «Etre femme ou être homme, écrit-elle, c’est appartenir à deux cultures différentes.» Pour elle, l’explosion de la famille traditionnelle permettra de dynamiter l’oppression politique et culturelle fondée sur le sexe. «Notre mouvement s’étend non seulement dans les universités mais aussi dans les classes moyennes et chez les femmes au foyer, mais il est vrai que nous avons des difficultés à toucher les milieux ruraux et ouvriers», expliquait notamment la porte-parole du mouvement féministe en 1971 au Monde. »
Si vous êtes à l’aise avec l’anglais vous pouvez également aller sur <son site personnel>
Son combat doit continuer et même si sous nos latitudes la situation s’est améliorée, une régression est possible et puis il reste tant à faire dans tant de pays dans le monde.
Le mot du jour du 9 septembre 2014 citait la journaliste Annick Cojean :
« C’est juste pas de chance d’être une femme dans la plupart des pays du Monde »
Puisse toutes les femmes de nos pays et tous les hommes respectables garder cette réalité présente dans leurs esprits.
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