Jeudi 25 mars 2021

« La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »
Karl Marx

Pierre Nora prétend que La Commune « n’a pas apporté grand-chose ». J’ai rapporté ces propos lundi.

Dans le numéro de la Revue « L’Histoire » de janvier 2021 que j’ai cité mardi, l’Historien Quentin Deluermoz dans son article « L’impossible République : Gouverner au ras du sol » ne dit pas autre chose :

« L’avis est largement partagé : le bilan concret de la Commune de Paris est mince. Le décret du 20 avril 1871 interdisant le travail de nuit des boulangers est au fond « la seule mesure véritablement socialiste de la Commune », regrettait déjà l’internationaliste Léo Frankel début mai. Les commentateurs et les historiens, qu’ils soient pour ou contre la Commune, ont ensuite évoqué un « brouillon » pour les idéologies à l’œuvre, voire une « ébauche maladroite », un système « balbutié ». »

Marx s’est beaucoup intéressé à cette révolution. Il a écrit « La guerre civile en France » terminé fin mai 1871, alors que la commune venait à peine d’être écrasée. Ce livre a été mis en ligne par nos amis canadiens au <format pdf>

Quentin Deluermoz rapporte les propos que Marx a tenu:

« La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence ».

L’étonnant c’est en effet que cela a pu exister.

Même si en fin de compte cela a raté.

L’article de la Revue « L’Histoire » donne la liste des réformes que la Commune a entreprises :

  • Adoption du drapeau rouge, celui des « travailleurs », à la place du drapeau tricolore jugé trop « bourgeois ».
  • Remise générale des loyers des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871.
  • Suppression de la vente des objets déposés au Mont-de-Piété.
  • Abolition de la conscription.
  • École gratuite et obligatoire pour les filles et les garçons.
  • Séparation des Églises et de l’État, suppression du budget des cultes.
  • Interdiction du cumul, fixation du maximum des traitements à 6 000 francs par an.
  • Fixation des émoluments des membres de la Commune à 15 francs par jour.
  • Traitement des instituteurs et institutrices à 2 000 francs.
  • Suppression de la catégorie « illégitimes » pour les enfants nés hors mariage et reconnaissance des unions libres.
  • Suppression du travail de nuit dans les boulangeries.

On peut quand même noter des réformes très modernes qui vont être reprises un peu plus tard par la IIIème République :

  • L’école gratuite
  • La Séparation de l’église et de l’état
  • L’abolition de la bâtardise, c’est-à-dire du statut infamant et inférieur des enfants nés hors mariage

Ce n’est pas rien, d’avoir ainsi ouvert des voies vers une plus grande justice.

La Commune a aussi donné une bien plus grande place aux femmes que celle que leur accordait la société qui l’a combattue.

Quentin Deluermoz écrit : :

« En soixante-douze jours, le gouvernement de la Commune a soulevé de grands espoirs, mais son bilan est nuancé. »

Mais c’est très court 72 jours. Et puis cette période ne s’est pas passée dans la sérénité mais dans la violence et la guerre que les communards ont eut à affronter contre les versaillais.

La commune avait aussi d’autres projets quelle n’a pas même pas pu mettre en œuvre :

  • Réorganisation de la justice : gratuite et rendue par des jurys élus.
  • Attribution des ateliers abandonnés par les patrons « déserteurs » aux associations ouvrières.
  • Élection des fonctionnaires.
  • Un crédit industriel et ouvrier.

Quentin Deluermoz insiste sur deux points : l’enseignement et la libération de la parole.

L’enseignement devait être laïque :

« Ainsi de l’enseignement sous l’égide des municipalités : remplacement des congréganistes par des instituteurs laïques dans le IIIe arrondissement, multiplication des écoles de filles dans le XVIIe. Mieux : une autre conception pédagogique est alors défendue, celle de l’« éducation intégrale », à la fois professionnelle et intellectuelle. Les objectifs généraux de cette « éducation communale » sont fréquemment rappelés, comme sur cette affiche du IVe arrondissement : « Apprendre à l’enfant à aimer et à respecter ses semblables. Lui inspirer l’amour de la justice ; lui enseigner également qu’il doit s’instruire en vue de l’intérêt de tous. »

La libération de la parole est aussi un grand moment de modernité qui s’accompagne d’un mouvement anti-clérical qui deviendra le combat des radicaux de la IIIème république :

« La « République de Paris » est aussi un moment de libération de la parole. Critiques, attentes, projets, espoirs des Parisiens, notamment des plus fragiles, s’expriment d’une manière inédite. La multiplication des titres de presse, des placards, des affiches, en témoigne : « Nous voulons affranchir le prolétariat, que chacun vive de son travail ; plus de paresseux, plus de parasites, plus d’exploiteurs, plus d’exploités, vivre en travaillant ou mourir en combattant » (avis de la délégation communale du Ier arrondissement, 13 avril) ; « Montrons que nous sommes les dignes fils de 1789 » (appel d’un commandant de la Garde nationale, 20 mars).

Les clubs sont un autre lieu essentiel de cette parole libérée. Les participants y discutent tour à tour de la guerre, de la haine des curés et des propriétaires, de la fin de la misère, de l’harmonie espérée ou du souvenir du coup d’État de 1851. Un certain nombre de clubs se sont installés dans les églises. Dans le cadre d’un mouvement très anticlérical, les bâtiments sont parfois mis à mal. La signification de ces appropriations doit être bien comprise : il s’agit-rien de moins que remplacer l’exercice d’une parole divine, venue d’en haut, par celui d’une parole démocratique et populaire. Ce faisant, les communards sécularisent l’espace urbain et constituent, à partir de l’ancien, des lieux « autres » dans la ville.»

Il y a enfin une aspiration vers une démocratie plus directe et plus proche du terrain. Ainsi les bataillons de la Garde nationale élisent directement leur chef.

La commune prône aussi le mandat impératif, qui oblige les élus à rendre des comptes et les rend révocables à tout instant.

L’historien Jacques Rougerie qui a écrit de nombreux ouvrages sur la commune évoque la volonté « d’être son propre maître » et une « aspiration profonde du peuple de Paris, du moins d’une majorité […], à une démocratie vraie ».

Et pour en revenir à Marx, dans son ouvrage cité, il pensait que la commune était la prémisse de la révolution communiste, une première tentative de prise de pouvoir par la classe ouvrière.

La commune fut d’ailleurs la première à utiliser le drapeau rouge comme symbole.

Mais la pensée de Marx sur la Commune allait évoluer et probablement un peu en raison de sa confrontation avec certains d’entre eux.

D’abord plein de bonnes intentions à l’égard des vaincus, il se heurta bientôt à la part anarchiste d’un certain nombre de communards.

Dans la revue « L’histoire » Michel Cordillot raconte :

«  Au cours des mois qui suivent environ 2 000 communards rescapés arrivent à Londres, souvent dans le plus grand dénuement. Marx joue un rôle essentiel au sein du Comité d’aide aux réfugiés pour récolter des secours et leur trouver du travail. Mais, alors que les dissensions s’aggravent au sein de l’Internationale, il est pris à partie, parfois même accusé d’avoir détourné des fonds ou d’être un complice de Bismarck. Après la conférence de Londres (septembre 1871) et plus encore après le congrès de La Haye (septembre 1872) à l’issue duquel la rupture avec les anti-autoritaires est consommée, ses relations avec la plupart des anciens communards deviennent exécrables sur fond de désaccords politiques et stratégiques. Avec le transfert du Conseil général à New York, la longue agonie de l’Internationale commence, ce qui va permettre à Marx de prendre du recul pour mieux se consacrer à ses travaux théoriques. La lettre adressée par Engels à leur ami américain Friedrich Sorge à la mi-septembre 1874 reflète la lassitude que Marx et lui éprouvent : « L’émigration française est tout à fait divisée […]. Ces gens-là veulent tous vivre sans travailler vraiment, ont la tête pleine de prétendues inventions qui rapporteront des millions […]. La vie irrégulière qu’ils ont menée pendant la guerre, la Commune et l’exil a fait perdre tout sens moral à ces gens. »

Dix ans après la Commune, Marx voit la Commune avec un autre regard :

Dans une lettre citée par Cordillot et qu’il adresse à Ferdinand Domela Nieuwenhuis le 22 février 1881, il dresse d’abord ce constat :

« Outre qu’elle fut simplement la rébellion d’une ville dans des circonstances exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était nullement socialiste et ne pouvait pas l’être. »

Et il ajoute :

« Avec un tout petit peu de bon sens, elle eût pu cependant obtenir de Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple, ce qui était la seule chose possible alors. »

Michel Cordillot suggère donc que Marx semble en être arrivé à la conclusion que la Commune n’avait pas été la révolution ouvrière ouvrant la voie à l’extinction du capitalisme telle qu’il l’avait imaginée.

Cela ne rend que plus pertinent le jugement précédent qu’il avait porté : « La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »

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