Mardi 22/04/2014

Mardi 22/04/2014
« On me mit, pendant trois mois environ, à un régime spécial
pour stimuler mon imagination. »
Germaine Tillion
C’est ainsi que cette immense Dame (1907-2008) parlait de la torture qu’elle venait de subir dans une lettre qu’elle a écrite à la Gestapo et que Slate.fr vient de publier.
La France a décidé de transférer les cendres de Germaine Tillion au Panthéon.
Si l’actualité avait dû dicter l’agenda, le mot du jour aurait dû être “conflit d’intérêt” et il eut fallu faire un développement sur cette incapacité d’une grande partie de nos élites qui prônent une vie frugale pour l’ensemble des français à se l’appliquer à soi-même, voire même à comprendre ce que signifie le concept du conflit d’intérêt.
Mais la lecture de l’article de Slate.fr, me conduit à préférer parler d’une figure lumineuse : Germaine Tillion était d’abord ethnologue et entre 1934 et 1940, dans le cadre de sa thèse, elle a effectué quatre séjours en Algérie pour étudier l’ethnie berbère des Chaouis présente dans l’Aurès.
Puis, de retour en France au moment de l’armistice de 1940, son premier acte de résistance est de donner les papiers de sa famille à une famille juive qui sera ainsi protégée jusqu’à la fin de la guerre. Elle devient, de 1941 à 1942, chef de la filière d’évasion de prisonniers de guerre fondée par le colonel Hauet.
Arrêtée le 13 août 1942, Germaine Tillion est déportée le 21 octobre 1943 à Ravensbrück. Elle perd sa mère, résistante comme elle, déportée en 1944 et gazée en mars 1945. Avant sa déportation en Allemagne et pendant sa détention en France elle a écrit cette lettre pleine d’ironie, d’intelligence et de courage.
Après la guerre elle s’engagera dans plusieurs combats politiques notamment contre la torture en Algérie et l’émancipation des femmes.
Wikipédia rapporte un propos tenu à la fin de sa vie, elle a quand même vécu jusqu’à 100 ans : « Au terme de mon parcours je me rends compte combien l’homme est fragile et malléable. Rien n’est jamais acquis. Notre devoir de vigilance doit être absolu. Le mal peut revenir à tout moment, il couve partout et nous devons agir au moment où il est encore temps d’empêcher le pire. »
Voici le début de cette lettre étonnante
Fresnes, 3 janvier 1943
Messieurs,
J’ai été arrêtée le 13 août 1942, vous le savez, parce que je me trouvais dans une zone d’arrestation. Ne sachant encore au juste de quoi m’inculper et espérant que je pourrais suggérer moi-même une idée, on me mit, pendant trois mois environ, à un régime spécial pour stimuler mon imagination. Malheureusement, ce régime acheva de m’abrutir et mon commissaire dut se rabattre sur son propre génie, qui enfanta les cinq accusations suivantes, dont quatre sont graves et une vraie:
1. Assistance sociale. J’ai en effet fondé et dirigé personnellement pendant un an un service dont le but était de venir en aide à tous les prisonniers de nos colonies relâchés immédiatement après l’armistice. Des appuis officiels sont venus, et mon organisation a fini par prendre une telle ampleur que je devais cesser de la diriger ou renoncer à mes travaux scientifiques, ce qui ne se pouvait pas. J’ai eu la chance de pouvoir confier mes équipes de visites d’hôpitaux et de confection de colis dans de très bonnes mains (un commandant de l’armée coloniale) en juillet 1941. À partir de cette date, je me suis consacrée exclusivement à mon œuvre d’ethnologie berbère, mais sans renoncer à venir en aide (à titre strictement privé et personnel) aux malheureux que le hasard mettait sur mon chemin. Je demande donc: En quoi cela est-il contraire aux lois de l’occupation ou à une loi quelconque?
 2. Espionnage. Je nie formellement avoir jamais fait quoi que ce soit pouvant être qualifié ainsi. Depuis mon retour à Paris, je ne suis pas sortie une fois des limites du département de la Seine, fait que la police allemande ne conteste pas
Nous ne pouvons que nous incliner devant le courage, l’intelligence, la lucidité et le choix des beaux et des bons combats.