Pierre Boulez est mort le 5 janvier 2016.
Ce début d’année a été marqué par beaucoup de décès d’artistes célèbres. Cette accumulation a même eu pour conséquence que le compte twitter du président de la république est devenu un journal d’avis de décès, à force d’hommages.
Pour ma part, je ne saurai avoir un avis, un minimum original, que sur Pierre Boulez.
Pour moi, c’est d’abord un souvenir de 1987, je venais d’arriver à Paris pour travailler au Ministère des Finances.
Je m’étais abonné aux concerts de l’Orchestre de Paris, salle Pleyel.
A mon premier concert, Daniel Barenboim dirigeait l’orchestre. J’étais loin d’être convaincu, je ne trouvais pas l’orchestre très bon, ni d’ailleurs l’acoustique de Pleyel.
Et puis, moins d’une semaine plus tard, le même orchestre, la même salle et Boulez qui dirigeait Petrouchka de Stravinsky.
Je me souviens d’être allé à ce concert très fatigué et ma crainte de m’endormir. Dès les premières mesures j’ai été subjugué, un orchestre fabuleux, précis, dont le son remplissait la salle. Une expérience unique.
Mon frère qui avait joué sous sa direction à l’Opéra de Paris, m’avait confié que l’Orchestre de l’Opéra avait répété et joué le sacre du printemps de Stravinski avec lui. Expérience remarquable, mais c’est surtout la suite qui est intéressante :
« Lorsque nous jouions, par la suite, le sacre avec un autre chef, il n’arrivait pas à nous faire jouer le sacre autrement que de la façon avec laquelle Boulez nous avait appris à l’interpréter. »
C’est justement par l’interprétation du Sacre du Printemps de Stravinsky que Pierre Boulez fut découvert par le Tout-Paris mélomane. C’est à lui qu’il fut demandé, le 18 juin 1963, de diriger cette œuvre au Théâtre des Champs Elysées avec l’Orchestre National de l’ORTF.
Le critique musical du Monde Jacques Lonchampt écrivit alors cet article dithyrambique : <Un grand chef d’orchestre : Pierre Boulez >
« Quel beau spectacle nous a donné Boulez ! Très droit, ramassé sur lui-même, toujours prêt à bondir mais dompté, la tête vigoureuse un peu écrasée sur l’encolure, il dirige sans baguette avec des gestes d’une pureté vraiment lumineuse, non pas en pétrisseur de glaise, mais avec une sorte de perfection, comme un vol d’oiseau dans ses vastes mouvements planants ou ses plus fines arabesques. Les doigts sont expressifs comme dans une étude de Durer ou de Léonard, et tantôt s’écartent en dégradé, le pouce et l’index se touchant en forme d’anneau, tantôt se rassemblant, la main très droite, coupante à la verticale, ou bien à l’horizontale pacifiante et protectrice.
En tout cela, pas l’ombre de contorsion, de cabotinage ou de recherche de l’effet ; c’est la beauté ferme du geste parfaitement harmonisé à sa fonction. La magie de l’art de Boulez est une poésie de l’exactitude, informée par une science extrême et une extrême sensibilité, où la subtilité et la force de la polyrythmie, les progressions et les ruptures dynamiques, et au suprême degré l’équilibre et le mélange des timbres, se recomposent comme par miracle dans une vision tantôt apollinienne, tantôt dionysiaque, et toujours vivante. »
Tel était Pierre Boulez un homme avec une autorité et une personnalité hors norme.
Un extraordinaire interprète de Stravinsky, de Bartok, de la nouvelle école de Vienne, de Debussy, de Ravel et aussi de Wagner et de Mahler.
Mais comme Gustav Mahler, ce n’est pas cet aspect de son art qui lui était le plus cher.
Lui se vivait, avant tout, comme compositeur, un compositeur à la pointe de la modernité. L’exergue du mot du jour est cité par <Par le site de France Culture>
Il était né à Monbrison à 40 km de Saint Etienne et à 100 km de Lyon.
Il était entré en mathématiques supérieures aux Lazaristes de Lyon, mais avait rapidement quitté cette voie pour aller apprendre la musique à Paris. Et dans la musique qu’il a défendu et créé, les mathématiques n’étaient jamais très loin.
Il a été dans un courant musical dont il est devenu le chef de file. Pour ces compositeurs, les mathématiques, l’intellect, les expériences sonores étaient premiers.
Et ces gens-là, dont Boulez considéraient que tous ceux qui n’étaient pas dans cette réflexion et dans cette recherche étaient dans l’erreur.
Ainsi Boulez n’a jamais interprété ni dit des choses positives sur les deux compositeurs que je considère comme les plus grands du XXème siècle à savoir Benjamin Britten et Dimitri Chostakovitch.
Par exemple en 1989, Pierre Boulez déclarait (dans des propos recueillis par la revue Diapason) :
« Quant à Chostakovitch, l’ombre de Mahler pèse lourdement sur lui, ce qui n’arrange rien. Je ne pense pas du tout qu’il y ait actuellement nécessité d’un retour vers la tonalité. Faire du pseudo-Mahler, est-ce bien nécessaire ? Ce qui est fait et bien fait, pourquoi le refaire dans l’inactualité et l’amoindrissement ? ».
Et même la musique de son maître Messiaen ne trouvait pas grâce à ses oreilles, il a traité sa Turangalîla–Symphonie (1946-1948) de « musique de bordel ».
Messiaen qui était un homme plus bienveillant a dit de lui :
« Lorsqu’il entra dans la classe pour la première fois, il était très gentil. Mais il devint bientôt en colère contre le monde entier. »
Il détestait aussi le compositeur André Jolivet, <Jacques Drillon rapporte> que son ire débordait même sur la femme de ce compositeur à qui il a dit :
« Madame, avec un chapeau comme le vôtre, on ne parle pas, on pète. »
Le même Drillon raconte aussi son humour : ainsi le percussionniste de son ensemble, arrivé en retard à la répétition parce qu’il ne s’était pas réveillé, donne son premier coup de timbale, et crève la peau de l’instrument. Boulez :
« Si je comprends bien, toi, tu n’as pas le sommeil réparateur ! »
Il avait synthétisé son attitude en affirmant : «préférer une bonne polémique avec les épées et les sabres qu’une espèce de politesse de convenance»
C’était ainsi un polémiste qui pouvait traiter les autres avec un souverain mépris, ce qui lui a créé bien des inimitiés.
André Malraux a nommé directeur de la musique Marcel Landowski, alors que Pierre Boulez considérait que ce poste lui revenait de droit.
Mais il ne faut pas s’arrêter à cet aspect de sa personnalité qui je pense s’était beaucoup adouci avec l’âge qui n’est pas toujours un naufrage.
C’était aussi un homme très intelligent, d’une très grande culture, un pédagogue et un bâtisseur.
Il a créé l’IRCAM, l’ensemble intercontemporain et c’est grâce à son impulsion que la cité de la musique et il y a peu de temps la Philharmonie de Paris ont été bâtis.
Selon de nombreux témoignages, il savait être très bienveillant et disponible pour tous ceux qui acceptaient d’entrer dans son monde.
C’était aussi un perfectionniste qui plutôt que de multiplier les œuvres, revenait sans cesse sur celle qu’il avait déjà écrite pour les modifier et les approfondir.
Comme j’étais en congé, j’ai écouté la musique de Boulez, je n’en avais jamais écouté autant.
Et finalement on peut y trouver du plaisir.
J’ai particulièrement aimé une œuvre assez courte (8mn) pour 7 violoncelles « Messagesquisse » dont vous trouverez une interprétation étonnante <ICI>.
Au premier rang se trouve la lumineuse flûtiste Emmanuelle Ophèle qui fut notre voisine lorsque nous habitions Montreuil sous-bois. Alors que je lui concédais mon peu de goût pour la musique de Boulez et de ses épigones, elle me répétait ce conseil :
« Alain, il faut que tu viennes nous écouter en live, l’expérience est alors complètement différente ».
Je n’ai pas suivi ce conseil, aujourd’hui je le regrette.
Quoi qu’il en soit Pierre Boulez restera un musicien et une référence incontournable de la musique même si la voie qu’il a creusée a peut-être mené vers une impasse.
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